Beatles ou Stones : pourquoi choisir ?

C’est la question la plus ancienne de l’histoire du rock : es-tu Stones ou Beatles ? Dans ce domaine, personnellement j’avoue que je suis bi ! Pourquoi vouloir toujours opposer ces 2 monstres sacrés qui ont chacun tant apporté à la musique ? Leurs discographies prouvent qu’ils ont toujours été complémentaires, et pas si rivaux que ça…

Les Beatles et les Rolling Stones en 1964 © Getty

Une rivalité toute relative…

Ennemis les Beatles et les Stones ? Ce serait oublier plusieurs faits qui ont émaillé leur carrières parallèles et ont fait se croiser les deux groupes à plusieurs reprises, et dans un esprit tout sauf belliqueux :

  • Un des premiers tubes des Pierres qui roulent leur a été offert par le duo Lennon-McCartney : il s’agit de I wanna be your man, que les Stones sortent en single début 64 et que les Beatles enregistrent pour leur album With the Beatles, fin 63. ► Plus d’explications sur Wikipedia.
  • Mick Jagger invite John Lennon à participer au Rock’n’Roll Circus en décembre 1968. Le Beatle joue même avec Keith Richards (ainsi qu’Eric Clapton et Mitch Mitchell) dans un supergroupe éphémère monté pour l’occasion : The Dirty Mac, qui interprète Yer blues. Jagger et Lennon semblent visiblement bons amis, et le Beatle se prête de bon cœur au jeu des intermèdes introduisant les groupes invités. C’est ainsi qu’on peut entendre et voir John Lennon annoncer la prestation des Rolling Stones !
  • En 1988, c’est Mick Jagger qui prononce le discours d’intronisation des Beatles au Rock’n’Roll Hall of Fame. Parmi les morceaux joués, on note un des Beatles I Saw Her Standing There, et un des Rolling Stones (I Can’t Get No) Satisfaction. Mick Jagger partage ainsi la scène avec, entre autres, George Harrison et Ringo Starr (Paul McCartney n’est pas venu à la cérémonie).

Les Stones sont intronisés au Rock’n’Roll Hall of Fame l’année suivante, en 1989, et c’est Pete Townshend des Who qui a l’honneur du discours.

  • Keith Richards parle de John et George comme de très bons amis qu’il avait souvent l’occasion de voir en dehors de leurs vies publiques respectives

Il existe sans aucun doute de nombreux autres exemples et anecdotes corroborant des relations amicales et sans aucune animosité entre les Beatles et les Rolling Stones.

…. et savamment orchestrée

Alors pourquoi cette image communément admise de rivalité ? Tout simplement la conséquence d’une démarche purement marketing.

Andrew Loog Oldham, manager des Rolling Stones, a immédiatement compris le pouvoir de la communication par l’image. Et devant l’immense succès des Beatles, il a su proposer une alternative, afin de positionner les Stones comme challengers. Brian Epstein avait transformé les quatre de Liverpool en jeunes gens bien proprets et apparaissant comme les gendres idéaux aux yeux des familles traditionnelles anglaises. Andrew Loog Oldham prend le contrepied et forge une image de voyous à ses poulains. La presse se frotte les mains et en fait ses choux gras :

Laisseriez-vous votre sœur sortir avec un Rolling Stone ?

Titre d’un article du Melody Maker, le 14 mars 1964

Ça y est, la vague est lancée : d’un côté les Beatles sont les gentils minets souriants et polis, et de l’autre les Rolling Stones vont devenir l’archétype du futur « Sex, drugs and rock n roll ». Mais quand on y regarde de plus près, c’est tout de même beaucoup plus nuancé que ça…

Méchants Beatles et gentils Stones ?

Et si finalement à y réfléchir, on inversait les rôles ? Serait-on si loin de la réalité ?

N’oublions pas que les Beatles vivaient plutôt dans des familles prolétaires, tandis que les Stones sont issus de la classe moyenne. John Lennon était un adolescent écorché qui aurait pu facilement mal tourner compte-tenu de son histoire familiale dissolue (très bien relatée dans le film Nowhere boy), à l’inverse de Mick Jagger qui brille à la Dartford Grammar School entre ses 11 et 19 ans.

► Film entier en VO ici

À leurs débuts, les Beatles arborent des blousons noirs dignes de Marlon Brando dans L’équipée sauvage, et leur période à Hambourg en 1961 était sans aucun doute largement autant « Sex, drugs and rock n roll » que bien d’autres groupes par la suite.

Au contraire, les Rolling Stones débutent avec une image de musiciens bien propres sur eux. Même encore en 1964, ils ressemblent à s’y méprendre à leurs concurrents, devenus entretemps Les Beatles que l’on connait, avec les costumes-cravates bien ajustés.

On pourrait trouver d’autres exemples comme les saillies récurrentes de Lennon qui montraient un esprit bien plus subversif que ne laissait montrer leur image soi-disant bien dans les clous. La célèbre pochette censurée du disque Yesterday and today donnait à voir des Beatles qui savaient franchir la ligne bien avant les Stones. Des Stones qui parallèlement à cette même époque (1966) s’affichent très classiques sur la photo de leur album Aftermath. Sans compter qu’ils se fonderont dans un moule assez mainstream à partir de la seconde moitié des seventies.

Et musicalement ?…

La Pop et le Rock

On est très souvent tenté de faire le raccourci suivant : les Beatles joueraient de la « pop » tandis que les Stones seraient le plus grand groupe de « rock ». Aux premiers les douces mélodies, les harmonies vocales et les arpèges, et aux seconds les riffs acérés, l’harmonica poisseux et la rythmique sauvage.

Certes, Les Rolling Stones ont écrit et composé parmi les plus grands manifestes rock et demeurent la référence. De même que les Beatles ont à leur répertoire beaucoup de ballades joliment écrites et finement arrangées. Aucune contestation là-dessus

Mais que dire par exemple du collage avant-gardiste Revolution 9 ? On est loin de la pop pour midinettes… Et on peut trouver de nombreux exemples qui placent les deux groupes dans la catégorie a priori réservée à leur « rival ».


Quand les Beatles jouent du Rock nerveux…

Dès les premières secondes du premier titre de leur premier album, les Fab Four annoncent la couleur : one, two, three, four ! I Saw Her Standing There est tout sauf une gentillette ritournelle pour les filles de bonne famille. C’est binaire, ça va droit au but, et c’est clairement rock. Oui bien sûr, ce n’est pas le riff de Jumpin Jack Flash, ni celui de Brown sugar, et ce n’est pas non plus la noirceur de Sympathy for the devil. Mais n’oublions pas que nous ne sommes qu’en 1962.

C’est surtout dans la seconde partie de leur carrière que les Beatles vont faire rugir les watts. Revolution dans sa version single avec ses guitares saturées branchées directement dans la console, Birthday et son riff implacable, Why don’t we do it in the road ? où Macca pousse sa voix dans les derniers retranchements, tout comme dans Oh ! Darling et Back in the USSR.

« C’est ma voix à la Jerry Lee Lewis » aime-t-il préciser

D’autres titres tels I want you (she so heavy), Come together, les solos déjantés de The end, Everybody’s got something to hide except for me and my monkey, Yer blues, Good morning, One after 909, Get back… lorgnent indubitablement du côté « rock ».

Mais s’il y a bien une chanson dans le répertoire des Beatles qui incarne la sauvagerie rock à l’état brut, c’est Helter skelter. On l’a souvent décrit comme « le premier morceau heavy metal de l’histoire ». Pour ma part je le considère plutôt comme le premier morceau « grunge » tant son atmosphère sonne « crade », dans l’esprit du mouvement des années 90. Et à l’origine, il s’agissait d’un blues, comme nous le fait écouter Giles Martin, à l’occasion de la réédition de l’album blanc, sortie en 2018.

Un blues se transformant en un hard-rock sauvage… on parle bien des Beatles ?

…Et les Stones de la Pop mielleuse

À contrario, les Rolling Stones réputés pour leur dévotion au blues ont aussi cédé aux sirènes de la pop-music qui trustait le haut des charts. Oui leurs premiers enregistrements sont soit des reprises de Chuck Berry, soit de Rhythm and Blues, et nous font rêver de traverser l’Atlantique. Mais assez rapidement, leur répertoire va accueillir des ballades qui ne laisseront pas insensible leur public féminin.

D’ailleurs, la toute première composition du duo Jagger-richards est As tears go by dont on ne peut pas franchement dire que la fièvre rocknrollesque soit la principale caractéristique :

Et la suite des morceaux signés par le tandem des Glimmer Twins regorge de chansons ouvertement « pop » : Play with fire, Lady jane, Ruby Tuesday, quand ce n’est pas des albums complets comme Between the buttons ou Their Satanic Majesties Request.

Et même après leur retour au rock brut avec Beggars banquet en 1968, les Rolling Stones continueront d’insérer régulièrement des ballades que n’auraient pas renié les Beatles : Angie, Coming down again, Till the next goodbye, Fool to cry, Memory motel, Waiting on a friend, Out of tears…

Et si on devait retenir un titre emblématique, qui fait encore les beaux jours de la publicité… difficile de faire plus pop que She’s a rainbow !

Conclusion et chroniques

Tout ça pour montrer que les Beatles et les Rolling Stones sont loin d’incarner une opposition binaire comme on a voulu longtemps nous le faire croire. Mais au contraire qu’ils sont parfaitement complémentaires, et que leurs musiques se mêlent allègrement en s’inspirant l’une de l’autre.

Et surtout qu’il n’y a absolument aucune raison rationnelle de devoir choisir entre les deux. Pour ma part, je n’ai jamais voulu les opposer ni les départager. J’aime autant les deux, pour preuve les nombreuses chroniques qu’ils m’ont inspirées (listes non terminées !) :

© Jean-François Convert – Décembre 2021

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2 commentaires sur “Beatles ou Stones : pourquoi choisir ?

  1. Brillante analyse ! Il y a évidemment (il fallait le prouver c’et bien de le faire) de nombreux points communs et une belle amitié entre les deux groupes mythiques .Les Beatles et Les Rolling Stones ont été dans une émulation créatrice davantage que dans une compétition dans les années 60 . Dès les années 70 , les Beatles étant exsangue , les Rolling Stones ont eu le monde entier à leurs pieds . Il est vrai , comme vous l’écrivez que les 4 de Liverpool avait au début une image de jeunes gens proprets façon gendres idéaux et les Rolling Stones une image de voyous. Marketing quand tu nous tiens !

    1
    1. merci 🙂

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