40 ans que John Lennon nous manque

Le 8 décembre 1980, Mark David Chapman assassinait John Lennon, privant ainsi le monde d’un de ses plus grands artistes.

© Denys Legros

Tué par un « fan »

L’image est brutale, dure, choquante, mais réaliste : il y a tout juste 4 décennies, l’ex-beatle John Lennon s’écroulait sous les 4 balles de revolver tirées par un « fan » qui ne distinguait plus très bien la frontière entre haine et amour, attirance et répulsion, fantasme et réalité. L’envie de devenir célèbre ? La rancœur contre la célèbre phrase de John à propos de Jésus-Christ ? Une perte de contrôle psychologique ? Quelle qu’en soit la raison, le 8 décembre 1980 à 22h52, Mark David Chapman s’exprime froidement :

« je viens d’abattre John Lennon »

Le comble est qu’il était déjà venu à New York le 30 octobre pour commettre son crime, puis s’était ravisé. Et ce 8 décembre, il croise le chanteur une première fois vers 17h avec d’autres fans venus demander des autographes. Chapman se fait dédicacer son exemplaire de Double Fantasy. La scène est immortalisée par un photographe fan de Lennon, Paul Goresh :

New-York, 8 décembre 1980 vers 17h : John Lennon en train de dédicacer l’album Double Fantasy pour Mark Chapman (à droite) © Paul Goresh

Le récit de cette journée funeste est détaillé sur la page Wikipedia consacrée à Mark Chapman. Et ce dernier s’est déjà exprimé à plusieurs reprises sur les raisons qui l’ont poussé à commettre son acte. Cependant, certains ont évoqué son passé de fondamentaliste religieux qui l’avait poussé comme tant d’autres à brûler ses disques des Beatles dans les années 60, lorsque Lennon avait prononcé sa célèbre phrase :

« Les Beatles sont désormais plus connus que Jésus-Christ »

D’autres ont avancé ses troubles mentaux et sa psychose avérée pour comprendre son agissement. Sans doute qu’il s’agissait de la résultante d’un peu tout à la fois : un nombrilisme exacerbé, une aversion refoulée envers le côté libertaire de John, et de façon évidente un cerveau qui ne tournait pas rond.

Mais c’est ainsi, Chapman est toujours vivant (et toujours incarcéré malgré ses nombreuses demandes de libération), et Lennon n’est plus. Que nous aurait apporté le chanteur-auteur-compositeur s’il avait vécu plus longtemps ? Impossible à prédire, mais ce dont on est sûr, et qu’on continue d’écouter encore et encore, c’est ce qu’il a produit pendant ces années, avec les Beatles ou en solo.

Des mélodies universelles

Le duo Lennon-McCartney a accouché des plus belles mélodies de toute l’histoire de la musique populaire. Chacun ayant tenté de surpasser l’autre, ils ont finalement été tous les deux parmi les plus grands mélodistes de la pop, avec Brian Wilson, Paul Simon, Ray Davies, Freddie Mercury ou David Bowie.

On a souvent tendance à aller au raccourci facile qui cantonnerait McCartney au gentillettes chansonnettes mielleuses, tandis que Lennon serait le rocker rebelle. Et de citer dans la foulée, Yesterday ou Michelle par exemple, en opposition à Revolution ou I want you (she’s so heavy). Non seulement Paul a aussi composé du heavy rock avec Drive my car, le morceau-titre de Sgt. Pepper, et surtout Helter skelter, Back in the USSR, Why don’t we do it in the road, Birthday, I’ve got a feeling, Spit in on, et bien d’autres ; mais John a également excellé dans les ballades romantiques : If I fell, Baby’s in black, This boy, Good night (chantée par Ringo), Jealous guy (dont la première mouture était Child of nature en 1968), Love, Beautiful boy, #9 dream, son hymne universel Imagine, et Woman, ma chanson préférée :

Pendant longtemps, j’ai cru que ce morceau était dédié à la gent féminine en général, un peu comme Femmes… je vous aime de Julien Clerc. Mais c’était une erreur (d’ailleurs dans ce cas, il aurait du s’intituler Women). C’est en fait une ode à sa bien aimée, la femme de sa vie, Yoko Ono…

Une femme qui divise

Dire que Yoko Ono suscite des sentiments clivants est un euphémisme. Pour beaucoup de fans des Beatles, elle est à l’origine de la scission du groupe. Il est vrai que les témoignages qui relatent les sessions d’enregistrements où un lit avait été installé exprès pour elle dans le studio, laissent transparaître une tension palpable, qui n’a pas aidé à la cohésion du groupe. Et comme l’explique Geoff Emerick dans son livre En studio avec les Beatles, cette convivialité s’est retrouvée justement quand elle n’intervenait pas, l’ingénieur du son citant comme meilleur exemple la session où Paul, George et John ont enregistré ensemble leurs solos de guitares sur The end. Alors que Yoko s’apprêtait à les suivre dans le studio, John lui a dit :

« Non, reste ici, j’en ai pour 5 minutes »

Les Beatles et Yoko Ono en studio en janvier 1969, pendant les Get back sessions

Mais on peut aussi arguer que les dissensions musicales entre les 4 de Liverpool dataient d’avant l’arrivée de Yoko Ono, et que le groupe n’aurait pas forcément durer plus de temps sans sa présence.

On peut également lui trouver un certain cynisme mercantile dans la gestion du patrimoine musical de son époux, mais quelle famille d’artiste ne le fait pas ?

En ce qui me concerne, pour être tout à fait honnête, je n’ai jamais bien apprécié ses incursions « artistiques » dans l’oeuvre lennonienne, que ce soit ses cris d’onomatopées stridentes, son côté artiste contemporaine avant-gardiste un peu pédante qui emmenait John sur les terrains comme Revolution 9 ou l’album expérimental Two virgins, ou encore son appât du gain manifeste quand il a fallut ressortir les bandes de Free as a bird, ou plus récemment s’attribuer la co-paternité du texte d’Imagine.

John et Yoko le 31 mars 1969 © Joost Evers / Anefo / Wikimedia Commons

Mais d’un autre côté, si John en était follement amoureux, en quoi devrais-je avoir mon avis là-dessus ? Aussi, plutôt que la haine souvent exprimée à son encontre, je suis plutôt dans un sentiment d’indifférence à son égard. Je préfère me concentrer sur l’oeuvre de Lennon, plutôt que dépenser inutilement de l’énergie à savoir si Yoko Ono est défendable ou non.

Et puis Paul a quand même accepté d’accompagner John sur The ballad of John and Yoko. Un morceau enregistré seulement à deux : John est au chant, guitares et percussions, Paul assure la batterie, les chœurs, la basse, le piano et des maracas ! La rumeur veut que à 2’50 on entende au loin John saluer Peter Bown qui venait d’entrer dans le studio par un « Hey ! Peter ! » (Source : Les Beatles la totale par JM. Guesdon et P. Margotin).

Un écorché vif

Que ce soit avec Cynthia, Yoko, ou d’autres, les relations de John avec les femmes n’ont jamais été simples. Mais il faut dire que la toute première femme de sa vie ne l’y avait pas franchement aidé. Une mère incapable de l’élever, après que le père ait plus ou moins abandonné le foyer, puis soit revenu… confié à sa tante Mimi, le petit John n’a pu que ressentir un sentiment d’abandon de la part de ses parents, et en particulier de sa mère. Il gardera ces blessures profondes toute sa vie, comme il le crie dans le déchirant Mother :

« Maman ne part pas, Papa rentre à la maison »

Et quand il ne faisait pas référence à ses parents, ou à sa jeunesse chaotique, il lui arrivait fréquemment d’écrire des paroles à connotation suicidaire, dont les plus évidentes sont celles de Yer blues :

« Je suis seul, je veux mourir »

Un morceau qui figure sur le mythique Album blanc, mais qui a connu une version particulière au show télé Rock’n’roll circus des Rolling Stones fin 1968, au sein d’un groupe éphémère, constitué pour l’occasion : The Dirty Mac. Avec Eric Clapton à la guitare, Keith Richards à la basse, et Mitch Mitchell (du Jimi Hendrix Experience) à la batterie :

Cette enfance pas très rose l’a amené au cours de sa vie à se comporter, selon les circonstances, soit de façon violente, cynique et détachée, ou carrément loufoque, toujours à chaque fois pour cacher cette douleur intérieure.

L’iconoclaste

Un de ses moyens les plus utilisés pour dissimuler ses blessures intimes étaient la dérision, l’absurde, le « nonsense » tellement british. Des phrases choc, comme celle à propos de Jésus-Christ, des jeux de mots, des provocations, des clins d’œils, des aphorismes savoureux…

« Je suis marxiste, tendance Groucho »

On était tellement habitué à ses bons mots qu’on lui en a parfois attribué certains par erreur ou par légende, comme cette fameuse phrase qu’il aurait dite au sujet de Ringo, alors qu’en fait il n’en est rien.

Lennon adorait glisser dans ses textes des fausses pistes vers des théories totalement incongrues. Rien ne l’amusait plus que de savoir que des critiques rock allaient se transformer en exégètes littéraires afin de dénicher dans ses paroles des significations recherchées, alors qu’il les avait posées là de façon totalement aléatoire et sans réfléchir ! Un des exemples les plus fameux est le « cranberry sauce » lâché à la fin de Strawberry fields forever. Des illuminés ont cru y entendre « I burried Paul », un des soi-disant nombreux indices confirmant la thèse saugrenue de Paul is dead.

On ne compte plus ses textes obscures et mystérieux, de I am the walrus à Glass onion en passant par Come together. Un amoureux de l’absurde et de l’écriture automatique, un Monty Python du rock, vu comme une fine plume de poète.

Il s’en gaussait allègrement, et n’hésitait pas à souvent virer dans le commentaire grinçant. Tout comme ses chansons qui versaient dans le burlesque (Bungalow Bill) ou la critique acerbe (Sexy sadie).

Il pouvait même arriver qu’il soit drôle à son insu. A n’en pas douter, ce commentaire sur cette photo, prise à l’occasion d’un « bed-in », l’aurait fait rire, même s’il se moquait de lui :

« John Lennon et Yoko Ono dans leur chambre d’hôtel, attendant que la femme de ménage leur prépare le lit, afin qu’ils puissent protester ouvertement contre les abus de la société capitaliste, et l’exploitation des masses »

Le rocker à la conscience politique

En dehors de cette boutade, Lennon a su s’engager à plusieurs reprises et s’exprimer sur ce monde qu’il ne comprenait pas toujours. Pacifiste convaincu, il avait très tôt affiché son aversion pour la guerre, dans le film How I won the war de Richard Lester en 1967, puis avec des chansons phares comme Give peace a chance, ou War is over.

Il avait aussi écrit sur la classe ouvrière dont il était issu, avec le très beau Working class hero. Et son engagement social n’était pas aveugle. Il se voulait libre et refusait de servir d’étendard aux révolutionnaires de tout poil. Sa célèbre hésitation « out/in » dans Revolution (plus d’explications ici) témoigne d’une personnalité complexe qui n’avait pas de certitudes absolues, se remettait constamment en question, et refusait de s’enfermer dans un paradigme étroit.

D’ailleurs, dans sa chanson la plus connue, Imagine, ne chantait-il pas qu’il souhaitait « qu’il n’y ait plus de religions » ?

Quand on sait que ce texte iconique est régulièrement repris par des assemblées de toutes confessions comme un hymne prônant la spiritualité, il y a de quoi sourire.

Encore un pied de nez de plus, lancé de manière posthume par cet artiste de génie, qui nous manque tellement depuis 40 ans.

© Jean-François Convert – Décembre 2020

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