Il y a 30 ans sortait le dernier album studio de Dire Straits

Le 9 septembre 1991 arrivait dans les bacs ‘On every street’, le chant du cygne de Dire Straits.

Un album surprise

A l’été 1991 je suis fan de Dire Straits depuis 3 ans. J’écoute en boucle les 6 albums, 5 studio et 1 live, plus une compil’ avec 2-3 inédits. Dans mon esprit c’est un groupe qui n’est plus. Il me semble que Mark Knopfler a tourné la page, et j’écoute également en boucle l’album des Notting Hillibillies, ainsi que la B.O. de Local Hero. Pour moi il est parti vers d’autres aventures et à aucun moment je n’imagine un possible retour de Dire Straits.

Un an auparavant, j’ai entendu parler du concert à Knebworth, mais je ne l’ai même pas regardé. Et j’ai vu qu’un double album live est sorti, avec même un titre inédit (Think I love you too much), mais j’avoue je ne l’ai même pas acheté. Si bien que je n’ai pas entendu cette phrase de Mark où il dit que le groupe va reprendre les chemins des studios pour un nouvel album…

Alors, quand en août 91, perdu en camping sauvage dans les gorges de l’Ardèche au bivouac de Gaud, j’entends tout à fait par hasard à la radio sur un petit transistor à piles, la diffusion de Calling Elvis, je n’en crois pas mes oreilles ! Et l’animateur qui annonce la sortie prochaine d’un nouvel album !

Partagé entre euphorie, stupéfaction, et circonspection, je me rue au retour des vacances à la Fnac pour acheter le 45 tours. A l’époque j’écoute essentiellement des cassettes, mais là je ne peux pas attendre, il faut absolument que je possède tout de suite ce nouveau morceau ! Ce sera donc l’occasion de squatter la platine vinyle parentale au salon pour pouvoir écouter ce nouveau single et sa face B Iron hand. Ma mère me dira même « ah ben je pensais que les 45 tours ça n’existait plus ! c’était quand j’étais jeune ! »

Et puis quelques jours après, je me souviens avoir écouté une émission radio où on entendait plusieurs extraits des morceaux, avec Mark Knopfler expliquant ses inspirations ou le processus d’enregistrement, notamment pour Fade to black (voir plus bas). Des émissions radio, des reportages télé, des articles de presse… on allait rentrer dans une période inédite pour moi jusqu’alors : Dire Straits au centre de l’info musicale du moment, à grands renforts de marketing…. trop peut-être ?

L’overdose de marketing

En devenant fan du groupe en 1988, je tombais un peu au creux de la vague de leur carrière. Certes, ils venaient de jouer au concert pour Mandela en juin, et la compilation Money for Nothing allait sortir à l’automne, histoire de donner des idées de cadeaux pour les fêtes de fin d’année. Mais globalement, on ne peut pas dire que Dire Straits était le groupe à la mode à ce moment-là. La vague Brothers in arms était déjà un peu passée, et Knopfler affichait clairement ses envies de se consacrer à d’autres projets : productions, collaborations, musiques de films…

Mark Knopfler et Randy Newman à la fin des années 80

Aussi, je n’avais jamais été confronté en direct à la « notoriété » du groupe. Entre 1988 et 1991, on parlait plus de U2, de Depeche mode, ou des émergents Lenny Kravitz ou encore Texas… Dire Straits était déjà un groupe du « passé ». Et là, à la rentrée 1991, il revenait tout d’un coup au centre de toutes les attentions : articles dans les magazines ou même les journaux quotidiens, des affiches dans la rue ou les magasins de musique, des passages à la radio, à la télévision… Dire Straits était partout.

De prime abord c’était plutôt un bonheur, et j’en ai profité pour collecter de nombreux articles et photos. Il y en avait à foison, alors que jusqu’à présent j’avais dû me contenter d’éléments au compte-gouttes, souvent en commandant des anciens numéros dans les archives des magazines (et oui, pas d’Internet à l’époque).

Je passais du statut de fan d’un groupe hors-modes à celui de fan du groupe du moment… Le revers de la médaille est que je me retrouvais dans une position que je n’aimais pas trop : après avoir écouté un groupe « qui faisait de la musique non commerciale et qu’on n’entendait pas au top 50 » je basculais tout d’un coup dans la catégorie de ceux qui écoutent les artistes qu’on entend tous les jours à la radio ! Vision puérile avec le recul, mais quand on est au lycée, cet aspect prenait une dimension autrement importante.

Je me retrouvais donc dans une position ambivalente à l’égard de cet album, position que j’ai toujours aujourd’hui…

Le comeback, une bonne idée ?

D’un côté, oui bien sûr, un nouvel album de Dire Straits c’était fantastique. Et dieu sait que je l’ai écoutée en boucle dans mon walkman cette cassette de On every street. Oui ça m’a permis d’aller voir Dire Straits en concert (encore que.. l’expérience s’avérera décevante… chronique l’année prochaine en avril pour les 30 ans). Oui c’était cool d’entendre parler de mon groupe préféré dans les journaux, à la télé, à la radio…

MAIS…

Ce comeback n’a-t-il pas enlevé à Dire Straits son statut de grand groupe des eighties ? A l’époque de la tournée de Brothers in arms, on parlait même du « plus grand groupe de rock du moment ». Le fait de revenir en 1991-92 n’est-il pas en partie une des causes qui rendent aujourd’hui Dire Straits comme groupe « has been » par nombreux critiques rock ? Et si ça avait été l’album de trop ? la tournée de trop ? qui aurait donné au groupe cette image « commerciale » ?

Mark Knopfler et Eric Clapton lors du concert de Dire Straits pour les 70 ans de Nelson Mandela, le 11 juin 1988 au stade de Wembley (Londres) © Pete Still/Redferns/Getty Images

Je me souviens que lors du concert pour Mandela en juin 1988, Dire Straits avait encore un statut de groupe « culte ». Ce sont eux qui ont l’honneur de la clôture du concert, et ils sont annoncés par le présentateur « avec les larmes aux yeux ».

Et si…Dire Straits n’était pas revenu en 1991 ? Si la discographie du groupe s’était arrêtée à Brothers in arms, et que son ultime concert fut celui pour Mandela en 1988…? Ne serait-il pas aujourd’hui plus respecté ? N’aurait-il pas acquis un statut culte auprès des autres pointures de l’histoire du rock ?

« Calling Elvis… » © Denys Legros

Je ne parle pas des fans bien sûr, dont je fais partie. Mais de l’image du groupe dans l’inconscient collectif. Comme je le disais dans ma chronique franceinfo de décembre 2017, quand vous parlez de Dire Straits autour de vous, rares sont ceux qui les considèrent au même rang que des Clash, Police, Cure ou même U2 (je n’évoque même pas les références que sont les Beatles, Stones, Who, Floyd, Hendrix, Dylan, Elvis, etc…). Le débat n’est pas sur les goûts musicaux, mais sur ce que représente le nom Dire Straits, à savoir généralement le souvenir d’un groupe meanstream, « soft-rock », à mi-chemin entre tubes calibrés FM et ballades country policées.

Dire Straits vire “country“ ?

Voilà le mot est lâché… « country ». Certes c’est une influence de Mark Knopfler depuis ses débuts dans la musique, et dès le premier album de Dire Straits en 1978 on perçoit des couleurs de ce style musical (Setting me up). Mais c’est par petites touches, par allusions, de façon subtile. Mark imite le son de Pedal Steel avec sa pédale de volume, il distille ça et là quelques incursions de ‘chicken picking’, cette technique de guitare particulière propre au genre country, mais jamais le groupe ne s’affiche comme héraut du country-rock. Tout au plus quelques éléments ou sonorités de temps à autres rappellent le lien de Dire Straits avec ce style (Eastbound train, Portobello Belle, Walk of life, The man’s too strong…). Et Mark Knopfler glisse des clins d’œil country dans ses musiques de films (Freeway flyer, The long road…).

Mais en 1990, il plonge littéralement dans l’hommage et le revival avec deux albums : celui des Notting Hillibillies, et Neck & neck avec Chet Atkins. Sauf que cette orientation musicale ne va pas rester hors-Dire Straits. Au contraire, Mark invite le joueur de pedal Steel Paul Franklin pour l’enregistrement de l’album et la tournée qui suit. Les morceaux vont être réarrangés afin d’y inclure l’instrument country par excellence, parfois de façon un peu excessive.

Et il arrive également à Mark Knopfler d’arborer des chemises que n’auraient pas renié Kris Kristofferson, Johnny Cash ou Dolly Parton. Même si la période Brothers in arms avait connu sa chemise rouge et noire (clip Walk of life notamment), celle du clip de The bug, et portée parfois pendant la tournée, catalogue définitivement le leader de Dire Straits dans la mode country.

Et bien sûr, le son de l’album On every street prolonge celui amorcé avec les Notting Hillibillies, et Chet Atkins : la pedal steel est omniprésente, et les sonorités folk et guitares acoustiques plus présentes qu’à l’accoutumée chez Dire Straits. Des titres comme Fade to black, Ticket to heaven ou How long auraient largement eu leur place sur l’album des Notting Hillibillies, en terme de couleur musicale.

Un son trop pur ?

Mais attention, quand on parle de couleur country, ce n’est pas à la mode vintage. On est au début des années 90, et la production est plus que léchée, peut-être un poil trop…

L’enregistrement de l’album se déroule de novembre 1990 à mai 1991 aux Studios AIR à Londres. Ce sont les studios de George Martin, et le producteur des Beatles va d’ailleurs apporter sa patte sur l’orchestration de Ticket to heaven (en collaboration avec Alan Clark). Brothers in arms avait déjà mis la barre haute en matière de qualité sonore, mais en 1985 l’enregistrement numérique faisait encore figure d’expérimentation, et ce qui lui donne aussi une couleur si particulière. Le partenariat avec Philips entamé en 85 se poursuit d’ailleurs sur On every street. La communication mise à fond sur ce son pur, parfait, sans aucun défaut.

C’est effectivement ce que je ressens à l’écoute de ce disque : aucune aspérité, rien ne dépasse, un son nickel, mais presque trop. Là où le premier album de Dire Straits laissait poindre un subtil grain dans la Strato de Mark, une chaleur dans Communiqué, des tonalités crunchy dans Making movies et Love over Gold, je trouve pour ma part que On every street sonne un peu trop froid, trop policé. les albums solo de Mark reviendront à plus de rondeur, notamment par le choix de réenregistrer les rythmiques en analogique ainsi que par le retour aux guitares vintage.

Peut-on encore parler de groupe ?

Ce n’est pas nouveau, Dire Straits n’a jamais été réellement un « groupe » en tant que tel. Sauf peut-être de 1977 à 1980. Ensuite ce n’est qu’un turn-over de sidemen autour de Mark Knopfler qui pilote tout de A à Z : écriture, composition, arrangement, interprétation, production. Même le fidèle John Illsley ne figure pas sur tous les morceaux de Brothers in arms… le paradoxe sera tel que durant sa carrière solo, Mark Knopfler changera moins souvent de musiciens que durant sa période « groupe » !

On every street ne fait pas exception aux années Dire Straits : plusieurs musiciens chevronnés gravitent autour du noyau central, qui pour l’occasion est indiqué noir sur blanc dans les notes de pochette :

Dire straits are :
Mark Knopfler, John Illsley, Alan Clark, Guy Fletcher

Sans doute plus une précaution juridique qu’une réelle volonté d’afficher un quatuor de musiciens soudés. La notion fait encore débat aujourd’hui parmi les fans : est-ce que juridiquement Dire Straits est réellement composé de ces 4 personnes, ou uniquement de Mark et de John ? Comme dirait l’autre : « cela ne nous regarde pas… »

Ce qui est sûr, c’est que l’album On every street fait intervenir des pointures : outre George Martin qui arrange les cordes avec Alan Clark, on retrouve les batteurs Jeff Porcaro et Manu Katché, le chanteur-guitariste Vince Gill. Tous trois se verront proposer par Mark Knopfler d’accompagner Dire Straits en tournée, tous trois refuseront. Et Porcaro décèdera en août 92. A l’inverse, Danny Cummings, Paul Franklin, Phil Palmer et Chris White (ce dernier déjà présent sur la tournée de Brothers in arms) embarquent avec le groupe après avoir participé à l’enregistrement de l’album.

L’album chanson par chanson

Retrouvez les détails des différentes parties de guitares sur la liste que j’ai co-rédigée sur le site mk-guitar.com

1. Calling Elvis

Premier single et tube de l’album. Mark égrène les titres de plusieurs chansons du King : Don’t be cruel, Heartbreak hotel, Love me tender… et évoque les appels téléphoniques en absence, le silence au bout de la ligne, une difficulté à communiquer qui va parcourir une bonne partie de l’album. Et pour cause, le mariage du chanteur-guitariste avec Lourdes Salomone part à la dérive. Ils divorceront à la fin de la tournée.

Côté musique, l’ambiance sonne très JJ cale. La voix feutrée, le rythme rapide mais léger, les nappes de synthé, et la Pedal steel guitar qui tient le riff entêtant. Mais c’est bien sûr la guitare de Mark qui a le beau rôle : la phrase en cascade vertigineuse au début du solo a donné du fil à retordre a plus d’un apprenti guitariste. Le son saturé laisse penser qu’il sagit de la fameuse Pensa-Suhr MKI, bien que le clip montre la Stratocaster blanche Schecter. Un clip en hommage aux marionnettes de la série Thunderbird (‘Les sentinelles de l’air’ en version française) :

2. On every street

Le morceau-titre est scindé en deux parties : une ballade lente et mélancolique où Mark cherche le visage de l’âme-sœur « dans chaque rue », et un final crescendo sur fond d’arpèges joués en boucle, auquel vient s’ajouter la pedal steel en solo. Il semblerait que la Stratocaster originale de 1961, celle des débuts de Dire Straits, figure sur ce morceau.

3. When it comes to you

Des paroles amères qui retranscrivent bien l’humeur du moment de Mark et ses déboires dans sa vie de couple. La Pensa tricote autour d’un riff dans une ambiance encore une fois très JJ.Calienne. La National double le riff.

Le morceau avait sans doute été prévu au départ dans le répertoire des Notting Hillibillies. En tout cas le groupe le répétait avant sa tournée de 1990.

4. Fade to black

Toujours la même thématique au niveau des paroles, et cette fois une atmosphère musicale quelque part entre Your Latest trick et Your own sweet way. Solo partagé entre la Pedal steel qui décidemment s’impose en permanence et la Gibson Super 400 pour une tonalité jazzy.

Dans l’émission radio diffusée avant la sortie de l’album, Mark expliquait que le morceau avait été joué « live » en studio, tous les musiciens ensemble, et en une même prise.

« peut-être que j’aurais pu mieux jouer, mais on a préféré garder cette prise pour sa spontanéité »

Mark Knopfler à propos de ‘Fade to black’

5. The bug

Up-tempo, riff énergique, ambiance à la Walk of life, et encore la pedal Steel au premier plan. Le côté country s’affiche clairement, et le clip joue la carte de la rivalité masculine sur fond de course automobile, l’autre grande passion de Mark Knopfler :

6. You and your friend

On sent que l’auteur de Brothers in arms a voulu retrouver la même atmosphère musicale. C’est d’ailleurs la même guitare sur les deux morceaux, la Les Paul reissue 59 fabriquée par le Custom Shop en 1984, avec le numéro de série à la date de naissance de Mark : 12849 (12 août 1949). Sauf qu’ici, le guitariste utilise la combinaison hors-phase des deux micros, ce qui lui donne ce timbre légèrement différent.

Mais comme si la guitare ne pouvait plus assurer seule un solo, elle se retrouve à nouveau en duo avec une sorte de Pedal steel, ou plus exactement une lap steel acoustique surnommée « The box ». À ne pas confondre avec le Pedabro , instrument inventé par Paul Franklin et son père qui consiste en la conjugaison d’une caisse de résonnance métallique type dobro, mais avec des pédales comme sur une pedal steel classique.

7. Heavy fuel

Si You and your friend ressemble au pendant musical de Brothers in arms, Heavy fuel ne cache pas sa filiation évidente avec Money for nothing : riff lourd et saturé, paroles cyniques, refrain qui reste en tête…

Et pour en rajouter une couche sur le côté antipathique du personnage qui chante à la première personne (« ce n’est pas moi » insiste Mark knopfler en interview), le clip met en scène les facéties de l’acteur Randy Quaid, incarnant un éléphant dans un magasin de porcelaine au milieu des montages et démontages de scène durant la tournée :

8. Iron hand

Quand Mark Knopfler s’exprime sur la politique, c’est toujours de façon subtile et indirecte, par allusions et clins d’œil. Sauf ici où il y va franco : ses paroles dénoncent la politique de répression du gouvernement de Thatcher, notamment sur la gestion de la grève des mineurs anglais en 1984-85. Il qualifie la charge à cheval des policiers contre les manifestants comme relevant des « temps anciens ». Et il rappelle que « même la reine en avait été choquée ».

La musique est sobre telle une protest-song folk, avec la pedabro en ornements entre les couplets. Le fait qu’il figurait en face B du single Calling Elvis, m’a permis d’écouter ce morceau en boucle avant même d’avoir l’album, grâce au 45 tours acheté quelques semaines avant la sortie du disque.

9. Ticket to heaven

Un peu dans le même esprit que Jesus He Knows Me de Genesis (sorti la même année). Mark Knopfler ironise sur les évangélistes de tout poil qui promettent à leurs adeptes un « ticket pour le paradis »…. en l’échange de modiques cotisations financières …

Bizarrement, ces paroles sarcastiques sont accompagnées par une musique romantique qui évoquerait plutôt une love-song. Ballade folk acoustique et violons sirupeux, sans doute la chanson qui sonne le moins Dire Straits.

10. My parties

j’avoue qu’à la première écoute j’ai été décontenancé. A l’époque, ne saisissant pas toutes les subtilités de la langue anglaise et de l’écriture knopflerienne, j’avais pris cette chanson au premier degré… un type qui raconte le fun de ses surprises-parties ! Ce n’est que plus tard que j’ai compris le second degré et la critique ironique à l’encontre du milieu mondain et de ses faux semblants. Là aussi, je trouve la musique trop « gentillette » par rapport à la critique acerbe des paroles.

11. Planet of New Orleans

Le chef-d’œuvre de l’album ? En tout cas mon morceau préféré avec When it comes to you. Et là au moins, la guitare s’exprime en répondant au saxo et pas à la pedal steel, ça change un peu… Même si je ne suis pas fan de la Pensa, je dois reconnaitre que la sonorité sur cette chanson est à tomber. Mon seul regret c’est que le solo final ne soit pas plus long !

Les paroles citent plusieurs quartiers et rues de la Nouvelle-Orléans, ancienne colonie française, bien avant l’indépendance américaine. D’où les noms francophones susurrés par Mark, dans une ambiance entre jazz-rock et pop qui je trouve correspond bien mieux à Dire Straits que l’insistance à vouloir lorgner absolument vers les terres country.

12. How long

Des terres country qu’on retrouve pour clore l’album. Et cette fois-ci Pedal steel + Pedabro ! Des fois qu’on n’aurait pas bien compris le message. Néanmoins, l’ambiance country se voit légèrement contrebalancée par la guitare saturée de Mark. Il disait lui même à l’époque :

« Cette chanson ne pourrait pas passer sur une radio country, à cause du son de la guitare. Mais de toute façon, je n’aime pas les disques de puristes »

Un argument un peu contredit par les nombreuses fois où Mark a évoqué ses albums fétiches, comme Live at the Regal de BB King, en passant par ceux de Chet Atkins, Elvis, ou Blind Blake. Mark a aussi écouté beaucoup de disques de « puristes », que ce soit en blues, country ou rock’n’roll. Certes il a lui-même mixé plusieurs influences comme tout musicien, mais son approche n’était pas tellement « anti-puriste » que ça.

Ce qui est sûr, c’est que la discographie studio de Dire Straits se clôt sur un fondu d’une ballade country-folk-pop-FM où l’on s’imagine quelqu’un partir au loin sur la route. Le groupe lancé 14 ans auparavant s’en va, discrètement, sans esbrouffe, presque innocemment, de façon aussi simple qu’il était apparu à l’été 77.

Bonus Tracks

On every street est le 3ème album de Dire Straits à afficher officiellement des bonus tracks : après Eastbound train en face B du single Sultans of swing et Badges, Stickers, Posters & T-Shirts en face B du single Private investigations, deux morceaux sont publiés en bonus des singles Calling Elvis et Heavy Fuel. Pour pouvoir les écouter, j’avais d’ailleurs du me procurer les CD maxis à l’époque car ils ne figuraient sur aucun autre format. Mais, ne disposant pas de platine CD en 1991, j’avais demandé à un ami de me les copier sur cassette !

Pour plus d’infos sur les Bonus tracks dans la discographie de DS/MK, retrouvez ma chronique sur le sujet dans le magazine hors-série Crossroads :

Millionnaire blues

Encore un cynisme clairement affiché, et un personnage qui pourrait être le même que celui dans Heavy fuel ou en tous cas un cousin pas très éloigné. Le style bluesy du morceau colle parfaitement à l’ambiance générale de l’album et aurait du à mon sens y figurer, bien plus que Ticket to heaven ou How long. On peut y entendre une certaine similitude avec I think I love you too much. Pensa-Suhr affûtée, phrasé blues, et atmosphère nocturne. Tous les ingrédients étaient réunis pour faire de ce titre un classique. Dommage de l’avoir relégué en 3ème positon du maxi de Calling Elvis.

Kingdom come

Encore un texte en forme de mascarade ? En tout cas la musique reste dans la même couleur pop-rock, avec rythmique typique en fingerpicking et Pensa-Suhr saturée. Figure sur le maxi Heavy fuel.

The long highway

Ce morceau a aussi été composé à cette période, mais n’a pas été enregistré durant les sessions. En tout cas aucune version studio n’a fait surface, même pas en pirate. En revanche, The long highway est joué dès le début de la tournée à la fin du mois d’août à Dublin. Et également lors de l’émission radio Timothy White Sessions aux Etats-Unis, en mars 1992. Mark la ressortira pour sa tournée solo en 1996, et finira par l’enregistrer définitivement durant les sessions de Sailing to Phildalephia. Et finalement, The long highway figurera en bonus track du maxi What it is.

L’album en tournée

1991-92 ‘On the night’

Sur la tournée qui suit, l’album est joué quasiment en entier : 9 titres sur 12. Seuls Ticket to heaven, My parties et How long ne sont pas joués. Les concerts de mai 92 aux arènes de Nîmes et juin 92 à Rotterdam donneront lieu à l’album live On the night. Dommage qu’on n’y retrouve pas quelques pépites comme When it comes to you, I think I love you too much, Fade to black et surtout un Planet of New Orleans d’anthologie.

Les morceaux de l’album sont souvent réarrangés en rallongeant les parties instrumentales : Calling Elvis offre son solo à quasiment tous les musiciens, On every street permet à Paul Franklin de montrer toute sa virtuosité sur le final, Heavy Fuel est relié à Romeo & Juliet en recyclant le pont qui avait servi à la fin de So far away et One world en 85-86, et The bug contient un solo de guitare de Mark qui ne figure pas sur l’album, de même qu’une intro qui sur certains soirs pouvait durer un peu, avec quelques phrases guitaristiques rappelant Eastbound train, et son fameux ‘train chord’.

La tournée se termine le 9 octobre 1992 à Zaragoza en Espagne. Le dernier concert de Dire Straits a ainsi lieu sans tambour ni trompettes, et à part des bootlegs, il n’en existe aucune trace officielle. Dommage pour un groupe de cette envergure qui aurait mérité une sortie de piste hautement plus fastueuse. Je n’en démords pas : le concert des 70 ans de Mandela en 1988 aurait constitué un adieu nettement plus mythique, et un final en beauté.

La tournée 1991-92 sera plus détaillée en avril prochain dans une chronique à l’occasion des 30 ans du concert auquel j’ai assisté en avril 92

1993 Leeds : des titres inédits en live

Le 3 juillet 1993, Mark Knopfler, Brendan Croker & Steve Phillips se produisent à Leeds dans une version resserrée des Notting Hillbillies. Pas de section rythmique ni de claviers. Guitares acoustiques pour Brendan et Steve, et Pensa-Suhr pour Mark. Particularité de ce concert : Ticket to heaven et How long y sont jouées pour leur seule et unique représentation en live.

When it comes to you est également joué lors de ce concert, comme il l’avait été sur la tournée 1990 des Notting Hillbillies. A noter que cette même année 1993, lors du concert de charité ‘Swan Hunter’ apparait Calling Elvis, joué pour la première fois par les Notting Hillbillies (le morceau ne figurait pas dans la setlist de 1990).

1996-2001 ‘Calling Elvis’ tient la vedette

En 1996, Mark Knopfler débute sa carrière solo. Il n’en oublie pas pour autant les tubes de Dire Straits, et Calling Elvis va garder une place de choix dans la setlist sur les tournées Golden heart (1996) et Sailing to Philadelphia (2001), où la chanson a l’honneur de refaire l’ouverture comme elle l’avait fait en 91-92.

Et le morceau-phare de On every street va aussi être joué par les Notting Hillibillies lors de leurs concerts en 1997, 1998 et 1999. Style roots de rigueur, la chanson prend une dimension de swamp-blues marécageux… non loin de la Nouvelle Orléans ? Solo de basse excellent de Marcus Cliffe

Deux autres morceaux de l’album subsistent en cette fin des nineties :

  • The bug est joué en 1996, avec la Les Paul dans un style assez différent de 91-92
  • Fade to black apparait lors d’un passage télé en Pologne, durant la promo de Sailing to Philadelphia. La Les Paul apporte une touche plus bluesy, et le violon de Bobby Vanlentino remplace la Pedal steel

2005-2013 L’album disparait des setlists

De la tournée Shangri-La en 2005 à la tournée Privateering en 2013, aucun morceau de l’album On every street n’est joué en concert.

2015-2019 Le retour de ‘On every street’

Sur la tournée Tracker en 2015, Mark Knopfler ressuscite deux anciens morceaux de Dire Straits, tous deux qui n’avaient pas été joués depuis 1991-92 :

  • Your latest trick
  • On every street

Pour ce qui est de l’album concerné, c’est donc le morceau titre qui revient sur scène, 23 ans après avoir disparu de la setlist. Mais il ne fait sa réapparition que dans la deuxième partie de la tournée, en Amérique à l’automne. C’est le saxo de Nigel Hitchcock qui prend le solo sur le final. A noter que Richard Bennett joue de la Pedal Steel, mais uniquement sur la première partie de la chanson. Il rejoint Mark à la guitare pour le riff en arpèges de la fin.

Et le morceau-titre de l’album est à nouveau présent dans la setlist de la tournée Down the road wherever en 2019, mais cette fois dès le début, et pour tous les concerts. Même configuration que pour la tournée précédente : Richard Bennett joue de la Pedal Steel sur la première partie, et le sax (cette fois joué par Graeme Blevins) prend le lead sur le final.

Un album qui aura donc connu une petite résurrection ces dernières années, tout comme Communiqué avec la réintroduction de Once upon in the west en 2019. Même quand Mark Knopfler semble avoir oublié ses anciens disques, il les ressort parfois sans prévenir. Il ne pouvait pas continuer à ignorer le chant du cygne de son groupe. Un morceau et un album qui sortaient il y a tout juste 30 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Septembre 2021

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6 commentaires sur “Il y a 30 ans sortait le dernier album studio de Dire Straits

  1. L’outro de  » on every street » est sublime. Fade to black, You and your friend, Planet of new orleans sont les grands moments du disque.

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    1. Et sympa, le clip de calling elvis, ça rappelle un dessin animé qui passait à cette époque.

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      1. Oui « les sentinelles de l’air » (« thunderbirds » en version originale)

        1. Merci. C’est bien la source d’inspiration du clip, par ailleurs.

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  2. MK était hésitant quant à l’avenir du groupe, surtout que la guerre du Golfe avait repoussé de qq mois la sortie de l’album, et aussi ses plans de travail. C’est durant la tournée que la décision de mettre fin au groupe avait été prise par MK, à cause de ses problèmes personnels mais aussi organisationels (tickets non vendus, logistique lourde, sous-traitance bureacratique avec plusieurs companies/partenaires). Le contrat du groupe avec le label (3 abums après Making Movies) arrivait à son terme avec ce 6ème et dernier opus …

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  3. Ahhh… On every street. Le premier (et donc le dernier) album du groupe que j’ai acheté lors de sa sortie. J’ai découvert dire straits en 85 grâce à à Money For Nothing et walk of life, dont les clips faisaient le bonheur des petizégrands. Mais le véritable coup de foudre, je l’ai eu durant l’été 90, quand on m’a prêté Alchemy (en vinyle). Forcément, quand on est habitué à écouter des standards FM calibrés, notamment pour la durée, pour les passages en radio, un tel album est une révélation. C’est le premier que j’ai écouté, sans rien faire d’autre et j’ai même capable d’enchaîner deux écoute d’affilés.
    On every street, c’était donc une attente très forte, d’autant que l’album a été repoussé (il aurait du sortir en début d’année 91). Et je me souviens très bien de son achat : c’était la rentrée (j’étais au lycée) et il me semble bien qu’il soit sorti en avance, car je ne l’attendais pas ce jour-là. C’est un ami (celui qui m’avait prêté Alchemy) qui m’a prévenu alors que lui sortait du disquaire, avec le CD en poche. Pour ma part, c’est la K7 qui a été acheté.
    Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la première écoute fut assez mitigé. A cette époque, j’avais une vision étroite de la musique : pas de solo de guitare, pas d’intérêt. Cela a changé rapidement, mais pour le coup, OES m’a quelque peu déçu car je ne retrouvais pas les envolées des albums précédents.
    Ce n’est qu’en faisant évoluer ma façon d’apprécier la musique que l’album m’a séduit.
    Ainsi, je le trouve nettement mieux enregistré que BIA et même le Notting Hill Billies : la batterie, par exemple, a un son bien plus rond, plus développé (bon, déjà, y en a une contrairement aux NHB) et l’ensemble sonne nettement moins plat que BIA. Un morceau illustre bien la différence : calling Elvis, dont le final (à partir de la célèbre moulinette de Knopfler), surtout avec un casque, donne l’impression que le batteur est dans la pièce. Iron hand, c’est une version épurée et moins boîte de conserve à la Hugh Padgham et a du coup, bien mieux vieilli. Bref, OES tient bien mieux la route que BIA et sonne moins vieux. Le final d’OES, pourtant « simple suite d’arpèges » est un instant magique.
    Cela n’empêche pas les faiblesses, comme Heavy fuel ou the bug, qui semble paresseux à force de lorgner sur Money for nothing ou walk of life ou ticket to heaven, que je trouve bien trop gentil et lisse jusqu’à la mièvrerie et qui est le morceau que j’aime le moins du groupe.
    Plus que l’album de trop, c’est surtout le succès démesuré de BIA qui pose problème. D’ailleurs, l’album a retrouvé le niveau de vente des opus précédents. Passer après est donc un bon moyen de se casser la figue surtout quand on attend six ans, dans un domaine ou, excepté les fans, les favoris des gens changent tous les 6 mois.
    Après, on le sait, MK en est sorti dégouté de DS et avait déclaré ne plus vouloir entendre parler du groupe pendant 10 ans (je me souviens d’un interview dans Guitare et claviers sorti au moment d’on the night) et depuis, il a tenu parole. Mais au moins, il fait ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut. Les contraintes de la vie en groupe l’on clairement aidé a en sortir.

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