Il y a 35 ans le monde du rock fêtait les 70 ans de Mandela

Le 11 juin 1988 au stade Wembley, le gratin rock des eighties était réuni pour célébrer le 70e anniversaire de Nelson Mandela, alors encore emprisonné. Dire Straits refermait le bal pour un des concerts les plus importants de sa carrière.

Un méga concert

Les années 80 ont lancé la mode des concerts gigantesques à but caritatif. Il y avait bien eu celui pour le Bangladesh en 1971, mais on peut dire que c’est vraiment le Live Aid en 1985 qui marque le début de ces grand-messes ultramédiatisées réunissant la fine fleur pop-rock de l’époque. Suivront entre autres Knebworth en 1990 et la même année la célébration de la libération de Mandela. Mais ce 11 juin 1988, le futur président de l’Afrique du Sud est encore emprisonné, et c’est en l’honneur de ses 70 ans ((le 18 juillet) que se tient ce concert au stade de Wembley.

Organisé pour demander la libération de Nelson Mandela, il a été aussi appelé FreedomfestFree Nelson Mandela Concert et Mandela Day (les Simple Minds ont d’ailleurs interprété pour la première fois sur scène un titre spécialement écrit pour l’occasion, intitulé Mandela Day). Les chiffres parlent d’eux-mêmes pour saisir l’ampleur de l’événement : 11 heures de musique, retransmission dans 67 pays, devant une audience de 600 millions de personnes ! (Wikipedia)

On note que le concert a été interdit par le gouvernement de l’apartheid en Afrique du Sud. Aux États-Unis, les chaînes de télévision du réseau Fox Broadcasting Company ont lourdement censuré les aspects politiques du concert. L’exposition au niveau mondial de la captivité de Mandela et l’oppression de l’apartheid, forcera le régime sud-africain à libérer Mandela plus tôt que prévu, selon l’ANC. (Wikipedia)

version audio uniquement

La liste des artistes participants est impressionnante, impossible de les citer tous : Sting, George Michael, Eurythmics, Simple Minds, Whoopi Goldberg, Richard Gere, Al Green, Joe Cocker, Harry Belafonte, Tracy Chapman, Paul Young, Bee Gees, Peter Gabriel, Whitney Houston…

Mais si ce concert m’intéresse particulièrement, c’est bien évidemment parce que le groupe qui termine la soirée n’est autre que Dire Straits.

Dire Straits accompagnés par Eric Clapton

En 1988, Dire Straits est presque déjà un groupe « du passé ». La tournée Brothers in arms s’est terminée deux ans auparavant, la compilation Money for nothing n’est pas encore sortie, et Mark Knopfler vaque à diverses occupations comme produire Land of dreams de Randy Newman ou accompagner son pote Eric Clapton en tournée… Et justement, lorsque Dire Straits est invité à participer au concert, et que le guitariste Jack Sonni n’est pas disponible en raison de la naissance de ses jumelles, Mark fait tout simplement appel à Slowhand pour officier en deuxième guitar-hero au sein du groupe.

Mark Knopfler et Eric Clapton lors du concert de Dire Straits pour les 70 ans de Nelson Mandela, le 11 juin 1988 au stade de Wembley (Londres) © Pete Still/Redferns/Getty Images

Une affiche de rêve qui joue en toute dernière partie de la journée (seule Jessye Norman passe après eux pour interpréter Amazing Grace en guise de réel final). A cette époque, Dire Straits a un statut de groupe culte, comme en témoigne la façon dont l’humoriste Billy Connolly les annonce : « et maintenant, avec des larmes dans les yeux…. Dire Straits ! »

Clapton s’illustre à plusieurs reprises : des solos bien rock sur Walk of life, un deuxième solo sur Money for nothing (où il casse une corde !) et il a même droit à jouer un de ses titres : Wonderful tonight.

Une setlist inédite

Avec une heure de concert environ, il fallait forcément adapter la setlist. C’est ainsi qu’on retrouve deux particularités qui n’ont eu lieu qu’à ce concert : Walk of life ouvre le set et Sultans of swing est joué avant Romeo & Juliet. Deux configurations qui ne s’étaient jamais produites auparavant et ne se reproduiront jamais dans toute la carrière de Dire Straits et Mark Knopfler en solo.

Walk of life
Sultans of swing
Romeo and Juliet
Money for nothing
Brothers in arms
Wonderful tonight
Solid rock

Ce qui est amusant c’est que Mark crie son célèbre « thank you ! » juste avant Sultans of swing, mais normalement ce remerciement enthousiaste venait après Private Investigations et donc après Romeo & Juliet qui là arrive ensuite. Et d’ailleurs Mark réitère « thank you ! » entre Sultans of swing et Romeo & Juliet.

version avec image améliorée en 4K par Intelligence Artificielle

La « première » apparition de la Pensa-Suhr

L’autre fait notable de ce concert pour les aficionados de six-cordes est qu’il est considéré comme le premier « gros concert » où Mark joue sur sa toute nouvelle guitare Pensa-Suhr. Un modèle fabriqué par le luthier John Suhr en collaboration avec Rudy Pensa, propriétaire du magasin Rudy’s Music stop à New York où Mark se fournissait depuis plusieurs années (et où il a rencontré Jack Sonni qui y était vendeur). Selon la légende, l’esquisse de la guitare aurait été griffonnée sur un coin de papier à la va-vite et John Suhr aurait été sommé de finaliser l’instrument plus que rapidement, afin d’être prêt pour le grand jour.

Si le concert pour les 70 ans de Mandela est souvent cité comme le « premier » avec la Pensa-Suhr, il s’avère qu’en fait Mark l’arbore déjà quelques jours avant pour le gala de charité organisé par le Prince Charles, le 5 juin :

La couverture médiatique du Prince Trust est certes bien en déca, ce qui explique que dans l’inconscient collectif, c’est souvent le 11 juin qui est retenue comme la date où la fameuse guitare a été dévoilée au monde entier.

Les concerts « warm-up »

Mais avant le monde entier, quelques fans chanceux ont eu le privilège d’assister à 2 concerts qui en quelque sorte ont fait office de « répétitions » ou « échauffements » comme ils sont communément appelés en anglais (« warm-up »). Les 8 et 9 juin, Dire Straits et Clapton jouent au Hammersmith Odeon à Londres, en préparation du grand jour. Même setlist avec en plus Tunnel of love et Going home !

Walk of life
Sultans of swing
Romeo and Juliet
Money for nothing
Brothers in arms
Tunnel of love
Wonderful tonight
Solid rock
Going home

Le management du groupe a décidé que les billets de ces concerts ne seraient disponibles que pour les membres abonnés au club Dire Straits Information Service (une sorte de Newsletter avant la lettre), et qu’ils ne couteraient que 10 Livres. De plus, le bénéfice servait à couvrir les frais d’organisation du concert de Wembley, ce qui permettait de donner plus d’argent aux associations caritatives en soutient à Mandela.

La Pensa-Suhr a donc servi à 3 concerts avant de briller au stade de Wembley le 11 juin 1988. Et comme dit précédemment, la retransmission massive à la télévision va exposer le concert dans le monde entier.

La sortie officielle et les bootlegs

A cette époque je suis justement en train plonger dans l’univers Dire Straits. J’écoute Brothers in arms en boucle depuis quelques semaines seulement, et j’entends parler de ce concert mais ne le vois pas en direct. Enregistré sur cassette VHS par un ami, il va devenir en quelque sorte mon tout premier bootleg puisque je vais le copier sur cassette audio quelques mois plus tard et l’écouter jusqu’à plus soif. La version dont je dispose alors est celle retransmise sur Antenne 2 dans Les enfants du rock, avec cette phrase de Philippe Manœuvre qui sans doute submergé par l’émotion a quelque peu grossi le volume de l’audience😅😂 :

« on est en liaison directe avec le stade de Wembley et vous êtes juste parait-il 600 millions de milliards de téléspectateurs à regarder ça… ensemble. »

Philippe Manœuvre en 1988 © Bertrand Rindoff Petroff/Getty Images

J’ai toujours supposé que sa pause avant « ensemble » était sans doute liée au fait qu’il venait de s’apercevoir de son erreur…😁 Cette phrase je j’ai entendue en boucle pendant des années, mais maintenant je n’ai plus la cassette, et impossible de retrouver l’extrait sur YouTube. Les seules vidéos disponibles sont celles de la retransmission anglaise :

Même s’il y avait cette phrase de Manœuvre entre Sultans of swing et Romeo & Juliet qui on va dire gâchait un peu le plaisir, j’ai toujours trouvé le mix de la diffusion télé bien meilleur que celui des bootlegs audio. Sur le CD Solid Rock par exemple, la guitare de Mark y est enterrée et sans reverb, tandis que celle de Clapton est trop proéminente. En revanche, il est vrai que le saxo s’entend parfois faiblement sur le mix télé (break de Sultans of swing par exemple) et est plus audible sur les bootlegs. Mais à choisir, je préfère tout de même le mix issu de la retransmission plutôt que celui qui je suppose provient de la console ou d’une autre source de diffusion (la radio ?).

Il y a eu une sortie officielle de certains passages du concert, en cassette VHS, puis plus tard en DVD et laser disc. C’est forcément une compilation des prestations des différents artistes. Mais en ce qui concerne Dire Straits et Eric Clapton, on n’y trouve que Brothers in arms et Wonderful tonight.

Une sortie quelque peu réductrice pour le groupe et qui ne rend pas justice à l’un des concerts les plus importants de sa carrière. Il garde pour moi une saveur particulière car je l’associe à mes débuts de découverte de Dire Straits. Même si je n’ai jamais été fan de la Pensa-Suhr, je trouve ce concert magnifique.

Plusieurs morceaux ont pour moi parmi leurs meilleures versions live : Walk of life avec les solos de Clapton, Romeo & Juliet et la première fois où je voyais la guitare National sous tous les angles, Money for nothing (sans wah-wah !), Wonderful tonight sans fioritues mais avec un son de guitare divin, et bien sûr Brothers in arms, introduit par le fameux « one humanity, one justice » de Mark. Il était bien évidemment adressé à Nelson Mandela dont le monde du rock célébrait les 70 ans à venir.

Un concert de haut niveau sur le plan musical et pour une cause humaniste. C’était il y a 35 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Juin 2023

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5 commentaires sur “Il y a 35 ans le monde du rock fêtait les 70 ans de Mandela

  1. Une question aux connaisseurs: La Pense-Suhr n’était-elle pas inspirée d’un modèle Hohner SG Lion, un croisement Les Paul/Strat qui avait vu le jou en 1985 (power strat qui coûtait à l’époque, très cher) ?
    https://hohnerguitars.de.tl/SG-Lion.htm

  2. Interessant de lire que MK s’est présenté lors de ce concert avec une National modifiée, ayant deux micros ! une nouveauté avec la Pensa-Suhr.

    https://www.mk-guitar.com/2015/07/28/two-pickups-on-the-national-style-o-on-the-nelson-mandela-concert/

    1
  3. Merci encore pour l’article top ! MK avait reçu la Pensa pour essais qq semaines avant le Prince’s Trust et il l’avait pas trouvé à son goût (un truc de Bridge/Micros en plus des esthétiques), et renvoyé de sitôt. En réalité, le prototype était à l’origine fabriqué pour un floyd rose (Fender) et Suhr était dans l’obligation de suivre les demandes de MK à la lettre (jouer sultans of swing et money for nothing sur la même gratte ! )

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  4. Merci !
    Fidèle de ton blog depuis que je l’ai découvert, j’attendais ton article sur ce concert.
    Ce concert est également particulier pour moi.
    J’ai commencé à vraiment connaître DS en 85 et j’avais regardé (en direct, je pense) leur prestation au Live Aid plutôt par curiosité.
    À vrai dire, j’espérais entendre So Far Away car le son de la guitare m’intriguait. À l’époque, je pensais d’ailleurs que c’était joué sur la National (!).
    Ce fût la 1ère fois que j’entendis Money For Nothing et même Sultans Of Swing (!!).
    Quand MFN est sorti en single (et sa vidéo mythique) j’ai trouvé la version studio « faiblarde » par rapport au live. Mon opinion a bien évidemment changé et j’adore vraiment les 2 version.
    Ce qui nous amène au concert de Mandela…
    En à peine 3 ans, ma passion pour DS (et MK) avait bien évolué et ne m’a jamais quitté.
    Ce concert, je ne l’ai pas vu en direct car de sortie ce soir-là.
    J’avais emprunté le VCR de mon voisin afin de l’enregistrer.
    Quand je l’ai vu… la claque !!!
    Comme toi, je l’ai transféré sur K7 audio et c’est sous cette forme – et qualité moyenne – que je l’ai écouté pendant des années.
    Ma joie quand j’ai découvert des versions en qualité CD sur internet. Je redecouvrais le concert et je l’écoute encore régulièrement.
    Je revois de temps en temps la vidéo, toujours avec grand plaisir.
    C’est en effet un concert historique par la qualité de la prestation de DS.
    Je savais déjà qu’ils étaient excellents sur scène (principalement via Alchemy), mais là !
    Chaque version transpire la virtuosité mais aussi et surtout la sincérité du groupe et son plaisir à se retrouver sur scène ce jour-là (rien à voir avec la tournée OES…)
    Les chansons sont toutes interprétées avec passion.
    Ce qui m’a aussi toujours impressionné, c’est à quel point ils sont cool sur cette scène immense et devant 600 millions de spectateurs.
    Que dire du break au milieu de SOS quand MK et EC se mettent en retrait sur la scène pendant qu’Alan prend le relais au piano… et commencent à papoter comme 2 potes au pub.
    Jamais la moindre attitude prétentieuse ou guitar heroesque… pour moi, c’est un des plus beaux moments du Rock !
    Je me souviens de la corde d’EC qui casse à la fin de son solo sur MFN et de MK qui continue à assurer.
    Et le plaisir visible d’EC qui est lui aussi heureux d’être là, sans jamais essayer de voler la vedette à MK pour qui on voit tout son respect (mutuel).
    Et cette version de R&J avec le solo de saxo ou Chris a certainement vécu le plus bel instant de sa carrière.
    Et cette version de BIA où MK fait pleurer sa guitare comme jamais et où l’on sent l’émotion sincère dans sa voix à chaque parole…
    Et la rage dans MFN…
    Je pourrais parler de ce concert pendant des heures.
    Encore une fois, merci !
    Ou plutôt « thank youuuuu ! »

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    1. merci à toi pour ce témoignage et entièrement d’accord avec tout ce que tu dis

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