Le légendaire guitariste a annoncé la sortie d’un “Christmas album” pour octobre. Un contraste saisissant avec le documentaire sur sa vie “Life in 12 bars” sorti l’année dernière outre-manche. On attend toujours la sortie en France. Pour patienter, la BO offre plusieurs inédits savoureux. Retour sur la carrière d’un artiste qui a traversé pas moins de 6 décennies de l’histoire du rock.
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“Clapton is God”
On se souvient de cette célèbre inscription sur un mur de Londres au milieu des années 60.
C’était pendant sa période Bluesbreakers, ce groupe mené par John Mayall, véritable héraut du british blues boom et découvreur de nouveaux talents, essentiellement des futurs guitaristes prodiges (on lui doit notamment d’avoir mis en lumière Peter Green, futur fondateur de Fleetwood Mac, et Mick Taylor qui remplacera Brian Jones, juste avant qu’il ne décède dans sa piscine).
“Clapton est Dieu”. Rien que ça. Et oui, il n’est pas rare lors des concerts des Bluesbreakers en 65-66 que le public demande à John Mayall de “laisser un solo à Dieu”. Après un début de carrière chez les Yardbirds (où il sera remplacé par Jeff Beck, qui lui-même laissera la place à Jimmy Page), Eric Clapton a en effet acquis son statut de dieu de la guitare chez les Bluesbreakers où il fait rugir sa Les Paul « Beano » (du nom de l’album tiré de la bande dessinée que Clapton lit sur la pochette).
Cette guitare devenue culte lui a été volée fin 1966 pendant ses débuts avec Cream, et n’a jamais été retrouvée depuis, mais serait en possession d’un collectionneur sur la côte ouest des États-Unis, dixit un certain Joe Bonamassa, lui-même collectionneur invétéré.
En effet fin 1966, Clapton a déjà quitté John Mayall, pour rejoindre Jack Bruce et Ginger Baker avec qui il fonde un “power trio” qui va faire passer à une vitesse supérieure le rock anglais de l’époque. De la puissance, de la virtuosité, du larsen, de la saturation, du volume…le blues change de dimension et annonce les prémices du hard rock. A cette époque, Eric Clapton est LE guitar hero de la planète, adulé par le public mais aussi par ses pairs. A tel point que lorsque le producteur (et bassiste des Animals) Chas Chandler découvre un certain Jimi Hendrix au cœur du Greenwich Village à New York et lui propose de s’envoler pour l’Angleterre, celui-ci accepte à une condition : “pouvoir rencontrer Eric Clapton”, qu’il voit comme un mentor. Il ne faudra pas longtemps au génial gaucher pour inverser la donne.
Le guitariste anglais reste abasourdi par les prouesses de l’américain, et le mimétisme change de camp : Clapton se fait friser les cheveux, arbore des vestes chamarrées et chemises à jabot, et tentera en vain d’égaler celui qui traversera le monde de la guitare tel une météorite.
Le sommet avant les abîmes
Qu’à cela ne tienne, celui qui ne se fait pas encore appeler « slowhand » vit ses plus belles années artistiques, produisant une musique largement au-dessus de la mêlée, que ce soit avec Cream, puis Blind Faith en compagnie de son ami Steve Winwood et surtout Derek & the Dominos, où il joue en duo avec Duane Allman, autre grand génie de la six-cordes, officiant au sein du Allman Brothers Band. Le double album Layla & other assorted love songs sorti en 1970 reste un des plus grands albums de l’histoire du rock, avec des parties de guitares fiévreuses et inspirées. En 1968, Clapton est un des rares musiciens célèbres à jouer sur un titre des Beatles, le magnifique While my guitar gently weeps de son ami George Harrison.
Il participe également au premier concert de charité de l’histoire du rock, le concert pour le Bangladesh, organisé par George Harrison et Ravi Shankar le 1er août 1971.
Mais cette période va s’arrêter brusquement au début des seventies. il n’arrive pas à se remettre de la perte de ses deux amis Jimi Hendrix et Duane Allman, et son amour passionnel pour Pattie Boyd, la femme de son ami Harrison, le dévore littéralement. C’est d’ailleurs à elle qu’il s’adresse dans Layla. Il devient accro à l’héroïne et commence à sombrer. C’est un certain Pete Townshend qui l’aidera à se relever et à remonter sur scène.
Laid Back
En 1974, le public découvre un nouveau Eric Clapton qui joue une musique “laid-back”, décontractée, mi-folk, mi-country, mi-reggae, presque aux antipodes de ses démonstrations virtuoses des années précédentes. Plus de solos tonitruants, mais une musique plus tranquille, dans le sillage de JJ Cale, The Band, et de Bob Marley avec la reprise de I shot the sheriff, et d’autres morceaux orientés reggae, notamment la reprise de Knockin’ on heaven’s door de Dylan.
Le tube Cocaïne (de J.J. Cale) en 1977 restera longtemps son morceau le plus connu. Les années 80 le voient s’installer tranquillement au panthéon des légendes du rock, qui participent régulièrement aux concerts de charité, avec le gratin de l’époque : Elton John, Phil Collins, Tina Turner et consorts…
Du drame à la renaissance
En 1989, l’album Journeyman rencontre un beau succès et la décennie suivante s’annonce plutôt sereine. Mais Eric Clapton va connaitre le pire pour un père : le 20 mars 1991, son fils Conor, agé de 4 ans et demi, meurt en tombant d’un balcon. Pour exorciser sa douleur, le chanteur et guitariste compose le poignant Tears in heaven, qui embarque avec lui l’album Unplugged en 1992 : un live entièrement acoustique enregistré et filmé dans les studios de MTV. Pas le premier, mais l’un des plus célèbres de la série qui accueillera de multiples artistes, de Neil Young à Nirvana en passant par Kiss et Aerosmith.
Depuis le milieu des années 90, Eric Clapton alterne albums mainstream et hommages au blues, notamment à travers son festival “Crossroads” qui réunit chaque année la fine-fleur de la six-cordes.
Mais depuis 2 ans environ, des soucis de santé lui ont imposé de ralentir la cadence. Il est atteint de neuropathie périphérique, ce qui affecte son jeu de guitare, et il a également confessé souffrir d’acouphènes. Cela ne l’a pas empêché de se produire à Hyde Park en juillet dernier, offrant encore un niveau de jeu que beaucoup aimeraient avoir.
Life in 12 bars et Happy Xmas
Juste avant ce dernier concert est sorti en juin chez Universal la bande originale du film documentaire Life in 12 bars, au titre à la fois évocateur et tout en jeu de mots : 12 bars renvoie en effet aux fameuses “12 mesures” du blues, mais on peut y voir également une allusion aux établissements servant de l’alcool et à l’addiction de Clapton dans les années 70, après qu’il se soit sevré de l’héroïne.
Ce double album se concentre essentiellement sur la période des années 60 et 70. Outre les morceaux incontournables, on y découvre quelques perles inédites :
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High joué par les Dominos lors de sessions du second album en 1971, mais qui ne verra jamais le jour. Clapton ressortira le morceau des cartons pour son opus solo There’s one in every crowd en 1975.
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Une version live de Little Wing par les Dominos, différente de celle parue sur le Live at Fillmore
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Une version longue de I shot the sheriff avec une coda sympathique qui confirme le côté jam en studio
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Une version live époustouflante de Spoonful de Cream qui dépasse les 17 minutes !
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Des mix différents de 2 morceaux du premier album solo : After midnight qui laisse entendre des cuivres, et Let it rain où l’on perçoit l’ambiance en studio
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Une version live de Little Queenie de 1974
On y trouve ainsi un éventail de toute l’étendue du talent d’un guitariste et chanteur qui après avoir traversé toutes ces décennies, et ces nombreuses épreuves, a choisi de sortir un “christmas album”, exercice de plus en plus récurrent chez les stars du rock vieillissantes.
Après le tumulte d’une vie plutôt rock’n’roll, notre guitariste-dieu endosse le costume d’un père noël bluesy et confirme définitivement que les rythmes endiablés et solos écorchés ont laissé place à un apaisement au coin du feu.
Les gamins des sixties appelaient Eric Clapton “God” avec des étoiles dans les yeux, leurs petit-enfants le verront en “Santa Claus”, brillant au milieu des étoiles de noël.
© Jean-François Convert – Septembre 2018