‘The Dark Side Of The Moon’ fête son demi-siècle

Le 1er mars 1973 arrivait dans les bacs américains ce huitième album studio de Pink Floyd. Un disque qui a changé la destinée du groupe et révolutionné la musique moderne.

Une œuvre née sur scène

Durant la tournée de 1972, Pink Floyd expérimente une longue suite instrumentale nommée Eclipse, qui constitue la première partie des shows. Connus des fans depuis longtemps grâce aux enregistrements pirates, 18 de ces concerts ont été publiés sur la chaine YouTube officielle du groupe en fin d’année dernière, surtout pour une histoire de droits. Mais cela nous permet de les avoir à disposition et de les écouter à loisir. Voici 4 exemples (cliquez sur les images pour lancer les playlists :

À peu de choses près, c’est déjà l’équivalent de ce que sera The Dark Side Of The Moon. L’ossature principale est là, l’ordre et la continuité des chansons. On note deux principales différences avec l’œuvre aboutie un an plus tard :

  • ce qui deviendra On the run s’appelle pour l’instant The travel sequence et consiste en une sorte d’impro rapide, tournant sur un riff vaguement bluesy avec beaucoup d’echo sur la guitare.
  • The Great Gig In The Sky n’existe pas encore, c’est The mortality sequence qui occupe sa place.

De façon moins marquée, on entend aussi que Time n’est pas encore aussi rock que sur l’album, l’intro de Money est plus longue et comprend un cycle complet, et le solo de saxo est remplacé par du clavier, tout comme sur Us and Them. Et Any Colour you like offre des variations différentes.

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Pink Floyd sur scène à Amsterdam le 22 mai 1972 © Gijsbert Hanekroot/ Redferns / Getty Images

De plus, il n’y a bien évidemment pas encore tous les bruitages et phrases qui parsèmeront le disque. Mais on en entend quand même ça et là, preuve que l’idée avait déjà germé dans la tête des membres du groupe, et principalement celle de Waters.

Rock et métaphysique

The Dark Side Of The Moon est le premier album de Pink Floyd dont les textes sont entièrement écrits par Roger Waters. L’auteur explore des thèmes sociétaux comme l’aliénation par le travail ou l’argent, mais aussi la folie mentale ou des questions existentialistes sur le temps, la vie, la mort. On est réellement en présence d’un concept-album.

Et pour appuyer son discours, Waters a l’idée d’insérer des phrases parlées tout au long de l’album. Pour cela, il interviewe des gens avec un système de questions inscrites sur des cartes, portant aussi bien sur des sujets du quotidien que de la réflexion philosophique. Les personnes choisies sont celles présentes aux studios Abbey Road durant les sessions : employés, techniciens, membres de l’équipe de la tournée… Paul McCartney termine la production de l’album Red Rose Speedway et se voit lui aussi interviewé. Mais ses réponses ne seront pas gardées car jugées trop surjouées.

Un travail complexe en studio

Ces insertions de phrases ne sont qu’un infime élément d’un puzzle complexe qu’il faut mettre en place. L’ossature musicale des morceaux est déjà là de par les longs mois de tournée, mais il faut maintenant apporter le liant, le fil conducteur, et surtout le son. Le groupe enregistre l’album en deux sessions entre les concerts, l’une en mai-juin 1972, l’autre en janvier 1973. On peut voir des images filmées pendant ces sessions dans la deuxième version du film Live at Pompeii qui sort en 1974, et notamment l’expérimentation avec le synthétiseur VCS3.

Tous les documentaires relatifs à l’enregistrement de The Dark Side Of The Moon (dont celui de la série Classic Albums) s’accordent pour reconnaitre l’immense apport d’Alan Parsons sur l’album. Il a dépassé le travail d’ingénieur du son en suggérant des idées, en créant certaines boucles de bruitages, et surtout en donnant ce son devenu une référence.

Un disque de référence

Pendant des années The Dark Side Of The Moon est resté LE vinyle étalon pour tester une chaine Hi-Fi. Sa qualité sonore est pour beaucoup dans son succès. Un succès phénoménal puisque l’album s’est maintenu plus de 18 ans (950 semaines) dans les charts ! Pour donner une idée, cela signifie qu’en 1991, quand sortait par exemple un album comme Nevermind de Nirvana, et qu’on regardait le classement des disques les plus vendus dans la semaine, The Dark Side Of The Moon apparaissait encore dans la liste…

Avec un total situé entre 45 et 50 millions d’exemplaires écoulés, il est le troisième disque le plus vendu après Thriller (environ 66 millions) et Back in Black (plus de 50 millions). Une pochette emblématique connue dans le monde entier, et une symphonie rock qui donne le frisson à chaque écoute.

L’album chanson par chanson

Speak To Me

Un des rares titres du répertoire floydien (avec The Grand Vizier’s Garden Party) crédité uniquement à Mason. Un assemblage de bruitages divers jouant le rôle de lever de rideau sur la suite musicale qui va suivre. Sur certains pressages CD, notamment l’édition remaster de 1994, Speak To Me et Breathe (In The Air) sont une seule et même piste, alors qu’indiqués séparément sur le label du disque, comme je l’explique dans cette chronique.

Breathe (In The Air)

Le premier véritable morceau (au sens musical) de l’album. Gilmour harmonise avec lui même en superposant plusieurs pistes vocales et offre un son planant avec à la fois les arpèges dégoulinants d’Uni-Vibe et la slide aérienne, qu’il n’a jouée en concert qu’une seule fois : pour le Live 8 en 2005.

On The Run

Le titre qui a le plus changé par rapport à la version originelle sur scène en 1972. Symbolisant le rythme effréné de nos vies dans les sociétés modernes, la boucle séquencée et les effets obtenus en triturant le synthétiseur VCS3 ont remplacé la guitare bluesy nimbée d’echo dans The Travel Sequence. Gilmour explique le processus dans la vidéo ci-dessous (à 6:23)

Time 

Pièce maitresse. Courir après le temps, après notre existence. Une intro mythique. Des réveils, un métronome incessant, des basses grondantes au VSC3, des Roto-Toms habituellement plutôt réservés au reggae ou aux ambiances latino, et puis une chanson magnifique. Mélodie superbe, les voix de Gilmour et Wright qui s’accordent à merveille comme sur Echoes, des chœurs célestes, et un solo de guitare d’anthologie qui débute par un glissé de mediator sur les cordes comme l’aurait joué un hard-rocker. Le final nous ramène à Breathe, certains pressages indiquant d’ailleurs Time / Breathe (Reprise), et là aussi le concert du live 8 en 2005 a été l’unique occasion de raccorder les deux parties du morceau. En écoutant la demo de Waters, on mesure le chemin parcouru pour arriver à la version que l’on connait :

► Retrouvez la version jouée au bœuf de La Vache Rouge mercredi dernier

The Great Gig In The Sky

L’histoire est connue : le groupe a convié la choriste Clare Torry à improviser sur la suite d’accords composée par Wright en lui suggérant de penser à l’amour, la mort… la chanteuse a délivré la performance vocale que l’on connait, en s’excusant d’avoir mal chanté ! Plusieurs décennies après, elle a été reconnue comme co-autrice du morceau, et son nom est maintenant crédité aux côtés de Richard Wright sur les nouvelles éditions. Une reconnaissance amplement méritée au regard de cette mélodie chantée devenue célèbre dans le monde entier. Clare Torry a eu l’occasion d’interpréter The Great Gig in the Sky en public avec Pink Floyd : c’était le 30 juin 1990 lors du concert de charité à Knebworth.

C’est ce morceau de l’album qui a été choisi pour être publié en premier, avant la sortie de l’édition 50ème anniversaire le 24 mars :

Money 

Avec les réveils de Time, les bruits de caisse enregistreuse de Money sont les bruitages les plus emblématiques de l’album. La deuxième face s’ouvre sur ce qui est devenu le plus grand tube de Pink Floyd avant Another brick in the Wall part II. Un texte qui dénonce le pouvoir de l’argent et qui en a fait gagner un maximum au groupe ! Un riff bancal en 7/4 pour une sorte de blues, composé par Waters, mais littéralement transcendé par Gilmour.

Encore un chant impeccable et nerveux, mais surtout un solo monument. Ou plutôt trois solos. Le premier doublé « manuellement » (c’est-à-dire joué deux fois par le guitariste), le deuxième sec et sans reverb, et le troisième doublé artificiellement (c’est-à-dire en dupliquant la piste) qui monte dans les hautes sphères. D’ailleurs, pour atteindre cette fameuse note haut-perchée (un Fa# virtuellement en… 26ème case !), Gilmour a utilisé sa guitare Custom Bill Lewis doté d’un manche de 24 frettes. Le passage en 4/4 sur le solo dynamise la chanson et lui donne un second souffle. Les parties de clavier, saxophone et guitares prouvent une fois de plus que les arrangements peuvent transformer une chanson quand on la compare à sa version d’origine :

► J’ai eu le plaisir de jouer Money au bœuf de la Vache Rouge en janvier

Us And Them

Wright compose à nouveau une progression harmonique dont il a le secret. Conçu à l’origine pour  le film Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni (1970), le morceau était en fait une improvisation du pianiste regardant les rushes d’une scène détaillant la répression d’une manifestation. Le résultat, nommé alors The Violent Sequence, ne fut pas retenu par le réalisateur et fut réutilisé pour The Dark Side Of The Moon donnant ainsi Us And Them, une autre chanson devenue ultra-connue dans le répertoire floydien, qui interpelle sur notre place dans le monde.

Any Colour You Like

Improvisation entre Gilmour et Wright sur les accords semblables à ceux de Breathe. Le guitariste utilise l’Uni-Vibe en vitesse rapide et le claviériste un MiniMoog pour la mélodie en plus de l’orgue Hammond pour l’accompagnement. On peut trouver sur YouTube des versions demos :

Brain Damage

La folie mentale a très tôt fait partie de l’univers des membres du groupe avec le cas de Syd Barrett. Si ce dernier sera le thème central de l’album suivant Wish you were here, il est déjà présent en filigrane dans cet opus, notamment à travers ce morceau. « il y a quelqu’un dans ma tête, mais ce n’est pas moi » dis un vers de la chanson, et le rire nerveux et un brin inquiétant du roadie Alan Stiles (celui du Alan’s Psychedelic Breakfast) rajoute à l’atmosphère façon Vol au dessus d’un nid de coucou ou Short Corridor. Cette voix si particulière s’entend également dans Speak to meOne of the few, et Shine on you crazy diamond.

C’est Waters qui chante, tandis que Gilmour joue des notes aériennes sur sa Custom Bill Lewis. Il a aussi tenté des phrases solo saturées mais qui n’ont pas été retenues au mixage :

Eclipse

L’album se clôt sur un tourbillon ternaire avec des voix très soul et des battements de cœur comme pour boucler la boucle avec l’ouverture. Notons au passage qu’il s’agit d’un son de grosse caisse et non de vrais battements de cœur comme prévus au départ, mais finalement jugés trop stressants.

Si on monte le volume au maximum sur cette fin de disque on entend en fond le passage d’une version orchestrale de Ticket to Ride. En effet, la chanson des Beatles était diffusée en arrière-plan au studio pendant qu’on enregistrait la voix du concierge d’Abbey Road, Gerry O’Driscoll, disant « There is no dark side of the moon, really. Matter of fact, it’s all dark. The only thing that makes it look light is the sun« .

C’est l’un des nombreux petits détails jugés souvent « mystérieux » qui entourent le disque et qui lui confèrent son aura magique et culte. Mais d’autres légendes gravitent autour de The dark side of the moon et l’album a nourri bien d’autres fantasmes…

Une source de légendes

Parmi les nombreuses légendes urbaines circulant au sujet de l’Histoire du rock, l’une d’elles concerne une potentielle corrélation entre le disque des Floyd et le film Le Magicien d’Oz. Je me suis déjà exprimé sur cette supposée synchronisation entre les deux œuvres. Elle ne m’apparait pas toujours pertinente. Et il semble admis qu’elle n’a jamais été intentionnelle. Mais selon ses adeptes, c’est justement tout ce qui fait son charme : une coïncidence inédite. Pour ma part, je préfère de loin la mise en parallèle entre Echoes et le final de 2001, L’Odyssée de l’espace qui à mes yeux et mes oreilles fonctionne bien mieux. Mais je dois admettre que la séquence de la tornade du Magicien d’Oz illustrée par The Great Gig In The Sky ne manque pas de lyrisme :

Si The Dark Side Of The Moon fascine encore toujours autant aujourd’hui, c’est peut-être parce que sa musique est parvenue à fédérer le grand public tout en affirmant un art sans concession. Même si je lui préfère (légèrement hein) Wish You Were Here et Animals, il reste l’album phare d’un groupe incontournable de l’Histoire de la musique, qui allait vivre alors son apogée avec cette sortie. C’était il y a tout juste 50 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Mars 2023

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2 commentaires sur “‘The Dark Side Of The Moon’ fête son demi-siècle

  1. Un album remarquable, pas le meilleur à mon avis wish you were here et the wall étant meilleurs.Mais cet album met en avant le génie de 4 personnes gilmour considéré comme un des plus grand guitariste de tout les temps ,Wright clavieriste de génie, waters aux idées si talentueuses et mason.Quel dommage que roger waters ait tout gâché.

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  2. On dit que l’album tombait à pic, en pleine incertitude et angoisse, et décrivait bien les politiques la société. Je dirais que le groupe a su se servir de la technologie pour parfaire ses compositions (VCS3) …

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