Il y a 40 ans, Dire Straits enregistrait ‘Alchemy’

Le 23 juillet 1983, Dire Straits donnait le concert final de sa tournée ‘Love Over Gold’ débutée en décembre 1982. L’enregistrement du show a donné lieu au fabuleux live ‘Alchemy’.

La révélation Dire Straits pour moi

J’ai découvert Dire Straits par le single Walk of life en 1986, puis comme beaucoup par l’album Brothers in Arms. C’était en mai-juin 1988 et j’étais tombé sur la musique qui n’allait plus me lâcher. Dans la foulée, un cousin m’a copié sur cassette Alchemy, que je me suis mis à écouter durant tout l’été qui a suivi. J’ai rapidement acheté la cassette officielle, et avant la rentrée de septembre, j’avais acheté tous les albums, également sur cassettes. Ce double album live a été je crois le réel déclencheur.

Je découvrais toutes les chansons par ces versions dantesques, auxquelles il fallait plusieurs écoutes pour en saisir toutes les subtilités. Des longs morceaux avec ruptures de tons, changements de rythmes, de tonalités… à cette époque, le rock progressif m’était totalement inconnu, je le découvrirais bien plus tard, mais j’aimais dans Alchemy ce mélange de chevauchées épiques et de mélodies simples, d’envolées lyriques et de riffs pur rock’n’roll, de développements complexes tout en gardant des structures facilement reconnaissables.

Dire Straits m’offrait l’alliance du beau et du simple, le génie orchestral associé à la ritournelle basique, l’intransigeance artistique mais à portée du goût populaire. C’est d’ailleurs ce qui est souvent reproché au groupe par ses détracteurs : des solos trop longs et une musique qui ne serait être appréciée que par les aficionados de guitare d’un côté, et au contraire un style trop mainstream et même jugé commercial par les autres. Faisons fi des râleurs, Dire Straits c’est pour moi justement la synthèse parfaite entre ces deux opposés qui ne devraient pas l’être.

Dire Straits à son apogée

Avec cet album live, je découvrais donc Dire Straits à son sommet musical. On n’était certes pas encore au succès phénoménal de Brothers in Arms, mais le groupe était déjà reconnu et largement apprécié du public. Même le prince Charles et Lady Diana les recevaient avec les honneurs réservés à un cercle d’artistes très fermé.

Mark arbore son accoutrement qui le rendra célèbre : en plus des bracelets d’éponge présents depuis les débuts, un bandeau dans la même matière vient orner son front pour atténuer la sueur due aux puissants éclairages scéniques. Ce fameux bandana, il le porte depuis peu, quelques mois à peine, en Australie vers le printemps environ. Il le gardera sur toute la tournée suivante, ainsi que sur le baroud d’honneur en 91-92, mais sous une forme tissu cette fois.

Sur Alchemy, on lui remarque également une boucle d’oreille discrète mais qui ne perdura pas longtemps. Les bottines rouges ressemblent à celles qu’il porte sur la photo intérieure du livret de la B.O de Local Hero, et surtout les flèches sur son T-shirt sont restées comme un symbole de ce concert.

Une pochette iconique

L’iconographie de l’album est elle-même culte : outre les fameuses flèches, on note la typographie qui inverse majuscules et minuscules (idée qui sera reprise sur la compilation Money for nothing), le cœur en lieu et place du point sur le « I » de « Live » (mais qui se retrouve par erreur sur le « L » sur certaines éditions de la partition), et bien évidemment la peinture de la pochette, issue d’un tableau de Brett Whiteley. Un mélange situé quelque part entre le pop’art, Dali et Picasso, auquel ont été rajoutées des images du groupe.

La peinture originale Alchemy (qui donne donc son titre à l’album) a été réalisée entre 1972 et 1973 (le livret cite 1974) et était composée de plusieurs éléments sur 18 panneaux de bois. ► L’article d’Ingo Raven nous en apprend plus à ce sujet. La composition à l’intérieur du disque reprend cette idée de patchwork entremêlant dessins et photos.

Un « vrai live »

Ce qui transpire dans cette image intérieure, c’est le côté « live ». Et ça tombe bien parce qu’Alchemy est un véritable album Live. Pas un montage ultra post-produit comme le sera plus tard On the night, non, un témoignage brut, sincère et honnête, le reflet exact et sans retouche du concert donné le 23 juillet 1983 à l’Hammersmith Odeon de Londres. A ce propos, Mark Knopfler déclare :

« En ce qui me concerne, je pense que la seule façon de faire en vidéo, c’est : soit réaliser quelque chose de totalement abstrait comme en peinture par exemple ; soit simplement filmer un concert. Ce que je veux dire c’est que j’aime vraiment beaucoup le live comme ce que nous avons fait avec ‘Alchemy’. C’est le reflet réel d’un concert, et cet enregistrement c’est exactement ce que nous avons joué ce soir là, sans rien ajouter en studio, c’est ce qui s’est passé et ce que les gens ont vu. »

Pour être tout à fait exact, il y a tout de même quelques retouches par ci par là, mais vraiment à la marge :

  • un court passage durant l’intro de Tunnel of love est coupé sur la version audio
  • idem sur l’intro de Going Home, où Mark remercie l’équipe et dit au revoir au public
  • et surtout, Terry Williams ayant raté le break de fin sur Solid Rock le 23 juillet, c’est celui du 22 qui est inséré dans le mixage final. Ce sont les seules « notes » du 22, tout le reste est du 23.

On note également sur la vidéo quelques inserts d’images, les micros sont parfois différents selon les plans, et le percussionniste Joop de Korte a confirmé que le groupe a dû refilmer des plans serrés quelques jours plus tard, sur scène avec l’enregistrement en playback. Et comme Mark n’avait plus sur lui son T-Shirt avec les fameuses flèches, ils en ont bricolé un avec du scotch-gaffeur noir ! Mais hormis ces quelques rajouts d’inserts images, tout ce qu’on entend a bien été joué live le soir du 23 juillet 1983. Et une petite fausse note peut même s’entendre au début du solo final de Tunnel of love, preuve qu’il n’y a pas eu de « nettoyage » des parties jouées.

L’album chanson par chanson

A la question « quel est le premier morceau d’Alchemy ? », on pourrait répondre de trois façons :

  1. Le premier titre indiqué sur le disque est Once Upon a Time in the West
  2. Le premier morceau qu’on entend sur l’enregistrement audio est Stargazer
  3. La vidéo débute elle par Saturday Night at the Movies

Saturday Night at the Movies

Cette chanson des Drifters illustre une séquence d’introduction où on voit les membres du groupe dans un pub. Hal est sur un jeu vidéo Arcade, tandis que Mark, Alan, John et Terry jouent au billard. Le tableau des scores indique « Geordies vs the rest », on suppose donc que Mark et Alan (tous deux originaires de Newcastle) affrontent John et Terry. Il est amusant de noter que le 23 juillet 1983 était effectivement un samedi, ce qui a sans doute donné l’idée de la chanson.

Stargazer

Ça c’est de l’entrée en scène ! Déjà sur la tournée précédente, les musiciens arrivaient au son épique du western Le bon, la brute et le truand, mais là, on ne pouvait rêver plus emphatique que ce tonitruant morceau qui illustrait l’arrivée en hélicoptère de Burt Lancaster dans le film Local Hero. La version ici est légèrement différente puisqu’on entend une batterie. Quand je n’avais que le son du live, j’ai pensé pendant longtemps que le morceau était joué en direct par Terry Williams et Tommy Mandel… mais en regardant la vidéo on voit bien que ceux-ci arrivent en même temps que le reste du groupe. On peut donc supposer que Stargazer aurait été réenregistré spécialement pour la tournée ? La même version figure dès le premier bootleg disponible du Love over gold tour (Sheffield, 1er décembre 82).

La vision d’Alan Clark enjambant son attirail de claviers tel un sportif olympique laisse présager de ce qui va suivre : un marathon musical sans temps mort. Installez-vous confortablement dans votre fauteuil, oubliez tout le reste et coupez-vous du monde (à l’époque on ne disait pas encore « éteignez votre portable »), et laissez-vous emporter dans ce tourbillon musical enivrant.

Once Upon a Time in the West

C’est justement Alan qui lance les auspices sur son clavier Prophet. Une petite ritournelle moriconninenne (déjà présente sur la tournée précédente) et derrière une mise en matière magistrale. Comme tous les morceaux du disque, j’ai découvert Once Upon a Time in the West par cette version. Difficile après ça d’en écouter une autre. La chanson tranquille aux accents reggae qui ouvrait Communiqué devient ici une longue chevauchée avec des montées et descentes dignes de montagnes russes.

Impossible pour moi de rester impassible à tout ce qui fait l’excellence de ce morceau : la décontraction impériale de Terry avant qu’il ne s’enflamme sur le reste du concert, la fausse nonchalance de Mark pendant les solos, l’enthousiasme jovial de Hal dès le début du concert, la concentration d’Alan derrière sa montagne de claviers, les mouvements de jambes de John qui semble danser le reggae, et le final qui dissipe toute incertitude quant au rôle de chef d’orchestre assuré par Mark. Tout est en place pour la grand-messe, une heure trente d’orgasme musical sans interruption.

Expresso Love

Passage à la vitesse supérieure avec cette chanson de facture rock plus classique. On aperçoit furtivement la guitare Erlewine Automatic dans les mains de Mark au tout début, normal puisqu’il vient de jouer Industrial Disease, il va changer pour la Stractocaster Schecter rouge tandis qu’Hal assure le riff. Sur la réédition en DVD, le morceau démarre direct sur riff, la fin d’Industrial Disease a été coupée. Mark joue au mediator sur ce titre. Quant à Terry, ça y est il a fait tomber le blouson, et il sue déjà à grosses gouttes…. le rouleau compresseur rythmique est parti, il ne va plus s’arrêter.

Romeo and Juliet

Quelques vues extérieures de l’Hammersmith Odeon, un jeune couple enlacé, et les arpèges à la guitare National sont accueillis par une clameur du public. Peut-être pas la meilleure version de la chanson (Mark l’a interprétée de façon plus habitée durant sa période solo à mon sens), mais une particularité : le solo final est joué sur la Gibson Chet Atkins à cordes en nylon, tout simplement pour pouvoir enchainer directement sur le morceau suivant.

Love Over Gold

La chanson-titre de l’album de la tournée ne figurait pas sur l’édition originale du double vinyle, par manque de place. Elle est sortie en face B du single Money for nothing, puis réapparue sur la réédition CD. Bizarrement, cette version live est plus courte que la version studio, peut-être parce qu’il n’était pas aisé de reproduire les parties de vibraphone et marimba de Mike Mainieri ? Pourtant la présence de deux claviers aurait pu le permettre. Love Over Gold ne figure pas sur la vidéo d’Alchemy, mais un clip a été réalisé mêlant des extraits du concert avec des images de numéros de trapézistes.

Private Investigations

Les doigts de Mark miment les accords d’intro au piano d’Alan, comme s’ils venaient de nulle part. Magique ! Pour l’émotion, on revoit la mère et sa fille, déjà aperçues durant Romeo and Juliet. Côté interprétation c’est pour moi une des meilleures versions du morceau, le son de guitare d’Hal est parfait, on remarque d’ailleurs qu’il joue sur la mythique Stratocaster bleue Fernandes ! La scène est plongée dans un brouillard de fumigènes pour renforcer l’atmosphère lugubre de la chanson.

Sultans of Swing

La version canonique du morceau ? Beaucoup de fans sont de cet avis, j’en fais partie. J’ai découvert Sultans of Swing par cette version, alors forcément ça influence mon jugement. Mais il faut bien reconnaitre que même si j’aime beaucoup d’autres interprétations de la chanson à travers les multiples tournées, je n’ai jamais ressenti ce même frisson qu’en écoutant l’incontournable thank yoooouuuuu en introduction, les staccatos de Mark tandis que Terry roule sur ses toms, ce son à la fois pur, cristallin, et très rock, l’euphorie du public à quasiment chaque instant et notamment sur le final au crescendo fantastique, et une particularité qu’on ne retrouve que sur cette tournée : Hal joue quelques phrases sur sa Telecaster comme s’il était « guitar George ». En décembre 82, au début de la tournée, Mark changeait d’ailleurs les paroles en chantant « look at Hal, he’s my pal » (« regarde Hal, c’est mon pote »).

En regardant la vidéo, on ressent cette « alchimie » entre les musiciens, ce plaisir de jouer, et cette fin en apothéose…. comment ne pas succomber ?

Two Young Lovers

La seule fois de toute la carrière de Mark où on le voit jouer sur une SG à ma connaissance (quoique sa LP special soit un peu dans le même style). Accordée en open de Sol, elle lui permet de jouer ce riff rock’n’roll caractéristique. La chanson est également l’occasion de mettre en lumière le saxophoniste Mel Collins et donner à Hal Lindes son moment de gloire pour un solo tonitruant qui semble ravir le premier rang, en particulier le public féminin qui n’a d’yeux que pour l’ange blond du groupe. Le jeune guitariste est tellement plein de fougue qu’il en perd son mediator puisqu’il est obligé d’en reprendre un accroché au pied de micro ! Encore un final jouissif « Hal Lindes on guitar and Mel Collins on saxophooooooone ! » hurle Mark.

Tunnel of Love

Il y a plusieurs moments épiques dans Alchemy, Tunnel of love en est bien évidemment un des principaux. Sa très longue intro suit en réalité le prolongement de l’outro de Portobello Belle. Le passage planant au saxo est d’une pure beauté et offre une pause reposante avant que ne gronde le riff apparu sur la tournée précédente. Le lien avec Portobello Belle ne s’est d’ailleurs concrétisé que courant 83, car sur les bootlegs de fin 82, les deux morceaux ne sont pas enchainés.

La Stratocaster Schecter sunburst brille de mille feux avec un son assez brut comparé aux tournées qui suivront. Il n’y a pas encore les nombreuses citations musicales qui émailleront le « breakdown » futur, mais Mark évoque toute de même les Animals avant de jouer la phrase issue de Don’t let me be misundestood. Le passage où il annonce la chanson (« it’s a song about growing up, being in love, being in a band… ») et parle de Spanish City ne figure que dans la vidéo, et a été coupé sur le disque.

Plusieurs moments me donnent à chaque fois le sourire : Alan qui chante les paroles en regardant Terry et Tommy, Hal sur l’outro qui reprend son mediator d’entre les dents après avoir joué le passage calme aux doigts, Terry heureux comme un gamin sur le final, et bien sûr Mark qui se jette genoux à terre sur la dernière note, une posture iconique qui lui vaudra une célèbre photo durant la tournée Brothers in arms, à Chicago en août 1985, et republiée la semaine dernière sur sa page Facebook officielle.

Telegraph Road

L’époque ou Telegraph Road était joué en rappel ! Après avoir eu Tunnel of Love en final ! Comme j’envie celles et ceux qui ont assisté à ça ! La première fois que j’ai regardé Alchemy, je me souviens avoir été surpris de voir la guitare National en intro, à l’époque je ne connaissais pas toutes les subtilités des guitares de Mark (même encore maintenant, il m’en reste à découvrir !). Et puis l’index du guitariste lance le rythme sur le premier accord de piano, on entend ensuite le public chanter le premier couplet, le premier solo qui arrive après est déjà époustouflant… on va traverser plus de 13 minutes d’anthologie.

Durant le passage calme, Alan donne l’impression de marquer une légère pause entre deux phrases musicales comme s’il jouait avec le public, le solo de guitare qui suit est mon préféré comparé aux versions ultérieures car il n’a pas encore le lick dont Mark abusera par la suite. Le reste du morceau est un monument : Mark chante le dernier couplet encore haut, pas comme plus tard dans sa carrière, John secoue la tête au rythme syncopé qui préfigure le solo final, Hal donne tout son sens à l’expression « power chords », Alan martèle son piano, Terry semble se battre avec ses cymbales crash, et la guitare de Mark tutoie les étoiles. On termine en apothéose avec des fumigènes de chaque côté de la scène (en référence à l’orage du début ?). Michael Oldfield a très bien résumé l’essence musicale de Telegraph Road dans son livre sur Dire Straits :

« un morceau qui rentre sur scène comme un agneau et en sort tel un lion. »

Solid Rock

Mel Collins revient sur scène pour ce rock endiablé. Le remix du DVD fait d’ailleurs ressortir quelques notes de saxo au début, juste avant l’entrée de la guitare, notes qu’on n’entendait pas sur la version originale de l’album. Un concert qui se termine en mode pur rock’n’roll, dans un déluge sonore qui pousse Mark à se boucher les oreilles !

Le final du morceau est a priori le seul passage qui provient du 22 juillet, le concert de la veille. La raison est simple : Terry a raté le break de fin le 23, et c’est donc celui du 22 qui a été réinséré pour avoir quelque chose de plus « propre ». C’est la seule entorse faite au caractère « live » de l’album.

Merci à Jeroen Van Tol pour avoir étudié méticuleusement les deux enregistrements

FIN DE SOLID ROCK LE 22/7/83 :

FIN DE SOLID ROCK LE 23/7/83 :

Going Home

Une autre petite coupe faite sur la version album : l’introduction parlée de Mark qui remercie l’équipe et le public (c’est le dernier concert de la tournée) apparait uniquement dans la vidéo, pas sur le disque. Quelques images des Highlands pour illustrer les nappes de synthés, Alan qui semble ne pas avoir assez de mains et de bras pour jouer toutes ses parties de claviers, Terry qui apparait complètement épuisé sur cette fin du set (et fin de tournée), et ce petit moment rigolo où Mark s’arrête de jouer en pointant du doigt le cameraman qui le filme. Est-ce pour indiquer le cheveu sur l’objectif ?

Puis la lumière se rallume, les roadies démontent la scène, et on aperçoit dans le public une banderole avec un logo de Dire Straits qui ressemble étrangement à celui utilisé parfois dans des listes de groupes de rock, je ne sais pas précisément d’où il provient.

Le concert se termine ainsi sur un morceau qui deviendra le final iconique de quasiment toutes les tournées suivantes de Dire Straits et Mark Knopfler (à l’exception de 2010). On avait débuté avec un titre de la B.O de Local Hero, on finit sur son morceau-titre.

Cette fois c’est bien fini, le disque se clôt sur l’ambiance du public, mais la vidéo nous ressert la chanson des Drifters Saturday night at the movies tandis que défile le générique… où il manque un musicien !

L’énigme Tommy Mandel

Le groupe « officiel » est constitué de : Mark Knopfler – John Illsley – Hal Lindes – Alan Clark – Terry Williams. Sont indiqués sur le livret trois musiciens « additionnels » : Joop de Korte aux percussions (on ne le voit pas car il joue dissimulé derrière la batterie), Mel Collins au saxophone, et Tommy Mandel aux claviers.

T. Mandel en 82

Ce dernier a rejoint Dire Straits au début de la tournée 82-83 afin de compléter Alan Clark qui ne pouvait plus jouer les nombreuses parties de claviers. Pas d’ambiguïté, il était enrôlé comme un musicien de session, rien de plus. Mais bizarrement, il semble complètement éclipsé du concert :

  • On ne l’aperçoit quasiment jamais, juste quelques rares plans, et jamais de face
  • On ne le voit pas venir saluer avec les autres musiciens à la fin de Tunnel of love, ni de Going Home
  • Son solo de synthé sur Romeo & Juliet (qu’il a lui même composé de son propre aveu) est remplacé visuellement par des plans à l’extérieur de la salle
  • Et surtout, il n’est pas crédité dans le générique de fin ! (alors qu’il l’est bien sur les livrets du disque et de la vidéo)

Un oubli ? Une simple erreur de l’équipe technique ? ou une volonté délibérée de Mark suite à des désaccords ? Ce n’est peut-être qu’une coïncidence, mais si on cherche dans Google « Tommy Mandel Dire Straits » ou « Dire Straits 1982 1983 » on ne trouve aucune photo… comme s’il avait été effacé de cette période du groupe. C’est d’ailleurs un peu son sentiment, comme il l’a récemment exprimé sur le forum AMarkInTime.

Tommy Mandel en 1984

Le grand morceau absent : Portobello Belle

Et un autre exemple de cette mise à l’écart du musicien est l’absence de certains morceaux à commencer par le magnifique Portobello Belle où justement le claviériste occupe une part importante : son solo de synthétiseur avec sa mélodie de couleur celtique faisait dire à Mark « ceci est un reggae irlandais ». Des trois morceaux joués ce soir là et ne figurant pas sur Alchemy (Industrial Disease, Twisting by the pool et Portobello Belle, It never rains n’étant plus joué à cette période de la tournée) Portobello Belle est pour moi celui qui manque le plus. Le développement musical de la chanson avait atteint une perfection qui méritait largement de l’inclure sur le disque, mais le manque de place en a eu raison.

Quand la compilation Money for nothing sortie en 1988 a exhumé l’enregistrement du 20 juin 83 à Paris, on n’avait pas toute la mesure de cette version épique. La vidéo ci-dessous combine l’enregistrement officiel avec le bootleg, rendant ainsi justice à ce que je considère comme un monument musical.

Le final avec le sax répondant à la guitare est dans mes passages préférés de la carrière de Dire Straits / Mark Knopfler, toutes périodes confondues. Le crescendo me transporte à chaque écoute, tous les musiciens ont tous leur moment de gloire, ils sont d’ailleurs présentés avant de s’interrompre chacun à leur tour, et surtout le final du morceau est en fait ce qui amorce la transition avec Tunnel of love, chose qu’on n’entend pas en écoutant l’album. Je trouve ça dommage car c’est pour moi un des grands moments du concert, et il aurait dû figurer sur le disque.

La récente réédition de la compilation Money for Nothing offre l’enregistrement du 22 juillet (à la différence de l’édition originale de 1988 qui contenait celui du 20 juin à Paris) mais toujours en version écourtée, sans le long instrumental final.

Les instruments qu’on ne voit pas

Pour les amateurs de guitare comme moi, cette version live de Portobello Belle possède en plus un détail capital : Mark y joue d’une guitare unique, jamais utilisée sur aucun autre morceau, une Stratocaster noire avec un manche érable. Merci une fois de plus à Ingo Raven pour nous avoir dévoilé cette pépite.

© Albert Brunsting

Toujours ce même Ingo Raven, à qui on doit de nombreux trésors concernant le matériel de Mark Knopfler, nous a également détaillé le rack d’effets utilisé par le maitre sur cette tournée 1982-83. Un système conçu par le célèbre Pete Cornish. ► Tous les détails dans son article

Autre guitare qui n’apparait pas dans la vidéo du concert car le morceau a été exclu de l’album : la Custom Erlewine Automatic (surnommée « The Pig » par Mark) qui figure sur Industrial Disease, et qu’on entraperçoit subrepticement au tout début d’Expresso Love.

Enfin, pas de vidéo de Twisting by the Pool non plus, mais on peut supposer que Mark joue sur la Stratocaster Schecter rouge comme dans le clip. On a ainsi toute la panoplie des instruments et effets utilisés par notre guitar hero favori sur cette tournée, hormis la guitare sur It never rains, qui pourrait être la Stratocaster Schecter Sunburt ou la Stratocaster Fernandes bleue…

Une petite part de mystère continue donc de flotter autour de cette tournée mythique qui s’est clôturée par ce concert phénoménal. Un concert par lequel je me retrouvais happé par la musique de Dire Straits. L’enregistrement audio puis quelques mois plus tard la découverte de la vidéo (sur VHS !) allaient avoir raison de moi au point de ne plus pouvoir m’en défaire.

J’ai encore regardé à nouveau Alchemy hier (sur DVD cette fois !) et je ne me lasse toujours pas de ce moment unique, cette acmé du groupe, ce concert flamboyant qui ne peut que donner envie d’aimer la musique. Un concert qui se tenait il y a tout juste 40 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Juillet 2023

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11 commentaires sur “Il y a 40 ans, Dire Straits enregistrait ‘Alchemy’

  1. On propose le live Alchemy (au complet) à partir du 8.11 sur la chaîne Youtube de Dire Straits. Je ne sais pas s’il contient des « inédits » de plus que le VHS/DVD ?. A savoir s’il y a eu aussi un « mixeur » vidéo, en plus de celui « audio » …

  2. La fameuse Schecter noire sur « Solid Rock », qui avait disparu en 1986 a « peut-être » réapparu derrière Richard Bennett avec un pickguard blanc (comme à sa version originale):
    https://www.facebook.com/photo/?fbid=846076823927278&set=a.199188981949402

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  3. Une petite info sur le rack de MK conçut par Pete Cornish. Les pédales qui contrôlent le rack sont similaires à celles utilisés par Gilmour à partir de 1976 (celle de MK paraît moins sophistiquées). Aussi, le rack de la tournée Love Over Gold aurait été modifié en 1987, pour intégrer les têtes Soldano au lieu des Mesa Boogie.

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    1. Merci pour cette précision

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  4. 40 ans pour un album de légende c’est rien.

    Merci pour le bonus Portobello Belle, magnifique morceau. Le problème de DS et MK, c’est qu’il y a de la qualité partout, très difficile de faire une setlist.

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  5. On dit que le management de DS était contre la participation de Joop de Korte dans la tournée Love Over Gold et il avait fallu l’intervention de MK en personne pour l’intégrer dans l’équipe. Il avait aussi participé à la dernière tournée, mais en backstage. Le dégommer c’est sans doute une question de copyright …

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  6. Merci pour ces détails ! Je me pose encore la question: pourquoi cet album n’a pas encore pris de rides, 40 ans après sa sortie ?et pourquoi je l’écoute en boucle depuis des décennies ?

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  7. An awesome piece of writing which really touches every single aspect of this legendary event. I felt everything about it the same way as you did. I love the fan view and all the details. Thank you very much for this fine work! (LE)

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    1. Thank you very much 🙂

      1. Très belle chronique,comme d’habitude.
        Personnellement mes versions préférées de SOS et R&J restent celles du concert pour les 70 ans de Mandela mais celles-ci dépotent bien.
        J’aime le côté brut du vrai live (presque) pas retouché.
        Je préféré entendre des erreurs qu’un son policé sans âme.
        Parfois, d’ailleurs, ce sont ces erreurs qui donnent leur personnalité à une version live.
        Et puis, c’est tellement plus sincère.
        Je n’ai jamais adhéré à un son retouché pour le rendre plus propre. Y’a qu’à réécouter l’album studio, sinon.
        En parlant de retouches, sur la compilation Money For Nothing on entend un roulement de percussion sur le live (remixé) de Telegraph Road, comme sur la version studio, mais qui n’est pas présent sur Alchemy. Sais-tu s’il s’agit d’un rajout ou bien si cela avait été « gommé » sur Alchemy et si oui, pourquoi ?
        Et merci encore pour ton blog.
        Robert

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        1. je pense qu’il s’agit des percus jouées oar Joop de Korte
          pourquoi ça a été gommé sur le mix original, ej ne sais pas. C’est comme le saxo au début de Solid Rock…
          le remix de TR sur al compilation MFN a aussi d’autres différences : la guitare de Hal pendant le passage lent est gommée, ans doute parce qu’il est un poil désaccordé

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