Une chanson à la loupe: ‘Telegraph road’ de Dire Straits

Avant de fêter les 40 ans de l’album ‘Love Over Gold’ en septembre, retour sur son morceau phare, le plus complexe jamais créé par Mark Knopfler.

L’origine de la chanson

Une route américaine

Mark Knopfler a souvent expliqué que les longues heures passées dans le bus pendant les tournées (avant qu’il ne fasse les trajets en jet privé) lui ont à plusieurs reprises donné l’inspiration pour écrire des chansons. C’est notamment le cas de Telegraph Road qui est née pendant la tournée On Location en 80-81.

Le groupe débute cette tournée par les Etats-Unis à l’automne 1980, et au cours de son périple emprunte la fameuse Telegraph Road, nom donné à une portion de l’US Route 24 (1926), qui relie Pontiac, dans la banlieue nord-ouest de Detroit (Michigan), à Toledo (Ohio). Longue d’à peu près 130 km, elle est orientée nord-sud. (source : Wikipedia). On la visualise en rouge sur la carte ci-dessous (à noter qu’Il existe aussi une route qui s’appelle « Telegraph Road » près de Los Angeles).

© Domaine public

Un roman norvégien

À cette même période, Mark lit L’Éveil de la glèbe (en version originale norvégienne Markens Grøde et en anglais Growth of the Soil), un roman paru en 1917 et écrit par le norvégien Knut Hamsun, qui reçoit le prix Nobel de littérature en 1920 pour ce livre. Dès l’année suivante il est adapté au cinéma. L’histoire est celle d’un couple, Isak et Inger, s’installant en milieu rural avec toute la pénibilité induite. On ne sait si le contexte est post-apocalyptique ou aux origines du monde. Une sorte de métaphore quasi-biblique qui renvoie au mythe du jardin d’Eden, à travers des allusions à peine voilées à Adam et Eve.

Plusieurs niveaux de lecture sont possibles, mais il semble que le roman valorise le retour à la terre, à une vie proche de la nature, et par là-même traite de l’évolution de l’Humanité (plus d’infos dans cette critique). Il n’en fallait pas plus à Mark Knopfler pour trouver un sujet de chanson, en réunissant ces deux éléments survenus au même moment dans sa vie.

La réunion des deux thèmes en en seul

Comme il l’a expliqué dans une interview donnée à l’émission de radio RockLine diffusée le 10 mai 1983, le songwriter a mixé certaines idées du roman avec sa vision de cette route mythique (sans doute pas autant que la route 66, mais célèbre quand même, surtout depuis l’existence de la chanson) :

« Nous étions en train de rouler sur cette route et je lisais à l’époque un livre intitulé ‘Growth of the Soil’, et j’ai simplement mis les deux ensemble. On roulait sur cette route… et elle n’en finissait pas de s’étendre. Et j’ai commencé à réfléchir, je me suis demandé comment cette route avait commencé, ce qu’elle devait être au début. Et c’est comme ça que tout est arrivé, j’ai juste mis ensemble ce livre et l’endroit où j’étais… j’étais assis à l’avant du bus de tournée à l’époque… »

Mark Knopfler
© Denys Legros

Effectivement, la fameuse ‘Telegraph Road’, vague chemin datant de 1848, est par la suite devenue une route puis une autoroute. Un symbole de l’évolution économique et sociale américaine. Et c’est avec tout son talent de storyteller que Knopfler nous raconte un petit bout de l’Histoire des Etats-Unis. Et à travers l’histoire de cette route, il nous interroge sur les bienfaits et méfaits du progrès. Le retour à la nature prôné dans le livre s’oppose à l’urbanisation intensive décrite dans la chanson, et tous les effets secondaires liés à l’émancipation humaine sur le territoire, comme par exemple les « six files de trafic routier, dont trois avancent lentement ».

Then came the churches, then came the schools
Then came the lawyers, then came the rules
Then came the trains and the trucks with their loads
And the dirty old track was the Telegraph Road

Puis vinrent les églises, puis les écoles
Puis vinrent les avocats, puis les règles

Puis vinrent les trains et les camions avec leurs chargements.
Et la vieille piste boueuse était la route du télégraphe

Quant à la première strophe du premier couplet, il s’agit ni plus ni moins que le début du premier chapitre du livre :

Well a long time ago, came a man on a track
Walking thirty miles with a sack on his back
And he put down his load where he thought it was the best
He made a home in the wilderness

Il y a bien longtemps, un homme est arrivé sur une piste
Marchant 30 miles avec un sac sur le dos.
Et il posa son chargement là où il pensait que c’était le mieux
Il s’est fait une maison dans le désert

Ce mélange de narration issue du roman et plutôt humanisée avec une vision plus symbolique de la construction urbaine et de cette route est typique du style d’écriture de Mark Knopfler. Plusieurs points de vue et des allusions par touches mais rarement d’explication directe. Une sorte de cours d’histoire des Etats-Unis sous un angle singulier. Mais une leçon d’histoire bien évidemment en musique.

Une composition à quatre mains ?

En même temps qu’il écrit ces paroles, l’auteur réveille aussi le compositeur et guitariste pour mettre en musique ce texte foisonnant. Sans doute que des heures en chambre d’hôtel ont fait germé les prémices de suites d’accords qui ont ensuite été testées lors de balances des concerts, donnant ainsi l’occasion à Mark d’élaborer le morceau en collaboration avec les autres musiciens et notamment Alan Clark.

Loin de moi l’idée de lancer une quelconque polémique sur la paternité du morceau qui revient sans hésitation à Mark Knopfler, mais il serait à mon sens absurde de nier l’immense apport du pianiste à l’élaboration musicale de Telegraph Road.

Indépendamment de son attitude récente au sein de divers tribute bands qui témoigne d’une certaine mégalomanie, Alan Clark est un musicien qui a énormément apporté à la musique de Dire Straits, et ce, dès son arrivée dans le groupe en 1980. Avec l’album Making Movies et la collaboration avec Roy Bittan, Mark Knopfler avait des envies évidentes d’un rock épique et plus élaboré que sur les deux premiers albums, et voulait des claviers partout. Le pianiste se retrouvait ainsi à devoir incorporer des nouvelles parties musicales dans les anciens morceaux, tout en participant activement aux arrangements des nouveaux qui germaient dans l’esprit du songwriter

« En même temps que j’apprenais les dernières chansons, je réarrangeais aussi celles des deux premiers albums. Je devais constamment trouver de nouvelles idées pour répondre aux attentes de Mark. »

Alan Clark in ‘Dire Straits’ – Michael Oldfield (Albin Michel, 1984)

C’est dans ce contexte que je pense qu’Alan Clark a apporté sa touche personnelle sur Telegraph Road. Dans quelle mesure, quelle proportion ? On ne le saura jamais précisément. Il est courant que les musiciens d’un groupe participent aux arrangements des morceaux, rien d’exceptionnel à cela. Mais il est extrêmement difficile de jauger ou s’arrête l’orchestration et où commence la composition. Et les exemples sont nombreux de morceaux créés en partie collégialement mais n’étant pas crédités comme tel.

Ce qui est sûr, c’est qu’à cette époque Mark Knopfler s’intéresse lui-même beaucoup aux claviers. Il a appris quelques rudiments de piano dans sa jeunesse avec son oncle Kingsley qui jouait du boogie-woogie. C’est surtout son frère David qui prendra des cours (ainsi que de violon), mais Mark gardera toujours cette influence du piano sur son jeu, comme il l’explique régulièrement en interview. Et encore plus particulièrement à cette période du début des années 80, il essaie des nouvelles approches pour ses compositions.

Il a sans doute lui-même testé des progressions d’accord directement au piano pour aborder l’harmonie différemment. Le fait de jouer sur un clavier donne une vision radicalement différente de sur un manche (jouant des deux instruments, je parle en connaissance de cause), notamment dans le choix des ‘root notes’, à savoir la note basse de l’accord. Sur un clavier on est plus facilement tenté de ne pas jouer la tonique de l’accord à la main gauche, encore plus que sur une guitare, et cette approche ouvre de nouvelles possibilités, et incite à aller vers les renversements.

Mark Knopfler durant les sessions de l’album Love over gold en 1982

Cette appétence de Knopfler pour explorer de nouveaux territoires musicaux, et la culture musicale d’arrangeur d’Alan Clark ont trouvé une occasion de réunir deux talents complémentaires, dont les fruits ont abouti à un foisonnement d’idées qu’on retrouve dans la musique de Telegraph Road. Morceau qui je le répète est à mon sens une composition de Mark Knopfler sans ambiguïté aucune, mais qu’il ne m’aurait pas semblé inopportun de créditer par exemple « arrangé par Mark Knopfler et Alan Clark ». Quoiqu’il en soit, le groupe ne va pas attendre de retourner en studio pour l’interpréter. Composé pendant la tournée, le morceau va faire ses premières armes directement sur scène.

Les versions durant la tournée de 1981

Dire Straits tourne aux Etats-Unis entre le 22 octobre et le 23 novembre 1980. Le groupe joue au Royal Oak de Detroit le 19 novembre. Comme on l’a vu précédemment, il semble que c’est à ce moment que l’idée de la chanson est née dans la tête de Mark Knopfler.

La tournée se poursuit au Royaume-Uni et en Allemagne en décembre, s’interrompe à peine entre noël et le réveillon et continue dès le 1er janvier 81 à Dublin pour parcourir toute l’Europe jusqu’à début juillet. Le premier enregistrement connu d’un concert de Dire Straits en 1981 date du 5 mai à Wiesbaden, et ce soir-là Telegraph Road est joué, annoncé par Mark comme une « nouvelle chanson » :

En l’absence d’autres bootlegs du début de l’année, impossible de savoir à partir de quand la chanson est entrée dans la setlist. Combien de temps a-t-il fallu pour la finaliser depuis ce concert à Detroit du 19 novembre ? A priori,  la première version live aurait été jouée à Perth le 22 mars 1981. Ce qui est sûr, c’est que la version que l’on entend en mai est déjà bien aboutie, même si elle ne comporte pas encore tous les passages musicaux qui seront présents dans la version définitive en studio.

L’introduction n’a visiblement pas encore été écrite, le piano débutant directement sur un couplet, avant que le thème à la guitare ne fasse son apparition. De même, le passage lent au milieu n’est pas encore autant élaboré que celui qu’on connaitra plus tard.

À travers d’autres exemples comme Paris le 17 juin ou Milan le 29 juin, on constate que la structure du morceau reste la même jusqu’à la fin de la tournée. Fait notable, la guitare utilisée par Mark est la Telecaster Schecter noire en position micro manche.

Une configuration qu’il ne conservera pas pour l’enregistrement en studio sur l’album Love Over Gold.

La version studio

Dire Straits rentre en studio au printemps 1982, soit près d’un an après la fin de la tournée qui a vu naitre la chanson. Pendant ce lapse de temps, Knopfler a tout le loisir de peaufiner et étoffer sa composition. Telegraph Road va en effet se rallonger, passant des 11 minutes en moyenne lors des précédents concerts à plus de 14 minutes sur l’album Love Over Gold qui sort le 24 septembre 1982.

Une musique cinématographique

Le passage du milieu a été travaillé et une intro a été rajoutée, qui se présente comme une véritable ouverture d’album. Un peu comme le générique début d’un film. Des grondements de tonnerre, un son de flûte qui semble arriver de très loin, comme l’histoire de cette route et tout son passé avec elle. Puis on va rentrer dans une épopée à la fois textuelle et musicale.

Après un album intitulé Making Movies, il semble bien que Mark Knopfler ait des envies de bandes originales de films. Un souhait qu’il concrétisera en 1983 avec sa première musique pour un long métrage, Local Hero. Mais pour l’heure, il conçoit déjà la musique de Dire Straits comme « cinématographique ».

Dire Straits Telegraph Road FULL - YouTube

« la musique de ‘Telegraph Road’ a un côté très cinématographique. Pendant le passage lent au milieu du morceau, je visualise très bien un travelling arrière qui laisserait découvrir un panorama de grands espaces »

Mark Knopfler

Mais comble du paradoxe, il jugera plus tard cette musique « trop froide » et déshumanisée. Il raconte qu’un jour il a entendu Telegraph Road joué au Jukebox dans un bar ou restaurant, et que la chanson a ensuite été suivie par Rave On de Buddy Holly. Et pour Mark Knopfler, la « vraie » musique, celle qui a de l’âme, celle qui respire la vie, c’était la seconde, et que son morceau ne faisait pas le poids face à celui du binoclar américain…

Un exemple de plus de la modestie quasiment maladive du songwriter anglais. On peut comprendre sa volonté à vouloir minimiser son talent face à l’une de ses idoles d’enfance, mais de là à dévaloriser à ce point un chef-d’œuvre comme Telegraph Road, il faut quand même le faire !

Personnellement je trouve qu’il est un peu vain de vouloir comparer un morceau d’énergie brute des débuts du rock’n’roll à une longue pièce architecturale influencée par le rock progressif, la pop et l’Americana. C’est tout l’art de Mark Knopfler : marier une ambiance de type « rock atmosphérique » appuyée par des claviers proéminents avec des guitares lumineuses et parfois sautillantes au picking incandescent.

Quelles guitares ?

Ce style hérité de la musique country, mêlé à des nappes que n’aurait pas renié le prog-rock des seventies, donnent à Telegraph Road sa couleur unique. Et pour cela, il fallait bien quelques guitares… Le morceau en comporte pas moins de 7 !

► Pour tous les détails sur les guitares des enregistrements studio de Dire Straits et Mark Knopfler, consultez ma contribution au site d’Ingo Raven mk-guitar.com

La panoplie des guitares de Mark Knopfler aux studios Power Station à New York, entre mars et juin 1982

Dans l’ordre d’apparition (pour rester dans l’ambiance cinématographique) :

  • les arpèges joués sur la guitare National dès l’intro et qui restent tout le long de la partie chantée. On entend résonner ses harmoniques particulièrement à 7:29 . C’est le modèle Tricone utilisé ici. En live, Mark utilisera le modèle Style ‘O’
  • la guitare solo principale, sans doute la Schecter Sunburst puisque c’est celle-ci que Mark jouera en concert dès la tournée suivant l’album (voir plus bas).
  • une rythmique électrique jouée par Hal Lindes à partir de 3:53 (premier solo), pan-potée légèrement sur la droite
  • des arpèges électriques qui pourraient être joués sur la Schecter Telecaster, vraisemblablement par Mark (par Hal en concert), à partir de 5:52 (deuxième solo), pan-potée légèrement sur la droite
  • une deuxième guitare solo, sur le canal gauche entre 6:35 et 6:42 puis à 10:05, jouée par Mark (par Hal en concert)
  • deux rythmiques acoustiques (une à gauche, une à droite) qui pourraient être jouées aussi bien par Mark ou Hal, de 3:52 à 4:45 (premier solo) puis à partir de 11:08 (solo final)

Comme souvent, il est impossible de savoir avec certitude quelles guitares ont été utilisées sur telle ou telle chanson. Parfois des interviews nous donnent des éléments de réponse, parfois on procède par élimination, ou on se dit que la guitare choisie par Mark sur la tournée suivant l’album a de fortes chances d’être celle qui figure sur l’enregistrement studio…

Dans une interview, le technicien guitares de Mark à l’époque Pete Brewis a mentionné la Telecaster Schecter noire pour Telegraph Road. Faisait-il référence à la tournée 80-81, ou se pourrait-il qu’il s’agisse de la guitare jouant les arpèges dans la section lente du milieu (deuxième solo), qui effectivement sonnent très Telecaster ?

De même, la Stratocaster Fernandes a été évoquée. Figure-t-elle sur ce titre ou sur un autre (par exemple It never rains) ? Enfin, les photos des sessions montrent Mark avec sa Stratocaster Fender rouge de 1962, équipée d’un nouveau manche. Mais là aussi, pas d’autre information disponible sur les chansons où on pourrait l’entendre…

La version acétate avec la fin abrupte

On a eu récemment accès à la version « complète » du morceau, c’est-à-dire sans le fondu de fin. Il s’agit du mixage « acétate », ces disques souples que les artistes pouvaient emporter chez eux ou faire écouter à des proches, avant que le mix final soit terminé. C’est donc un pré-mix et les instruments ne sonnent pas tous exactement comme dans la version album que l’on connait. Par exemple, la basse est beaucoup plus présente.

Il se trouve que cette version acétate circulait déjà depuis de nombreuses années parmi certains collectionneurs, notamment italiens. Elle avait été évoquée sur des forums, mais réellement entendue par peu de monde. Et puis, sans que l’on sache pourquoi, la réédition de la compilation Money For Nothing ce 17 juin 2022 a remplacé la version live remixée de Telegraph Road qui figurait sur l’édition originale de 1988 par ce mix bizarre, avec une entrée en fondu, coupant l’intro… encore du grand n’importe quoi dans la gestion du catalogue de Dire Straits…

N.B. La vidéo ci-dessus est plus complète que celle sur la compilation, puisqu’elle contient à la fois l’intro et la fin sans le fondu

De la même façon que le jeu Guitar Hero avait dévoilé l’intégralité de Sultans of Swing avec quelques mesures supplémentaires à la fin, cet enregistrement non coupé de Telegraph Road, et depuis peu rendu totalement public, nous permet d’entendre comment les musiciens ont terminé le morceau en studio… avec entre autres une phrase à la guitare jouée par Hal Lindes en toute fin, qui casse un peu le mythe du final en apothéose qu’on peut entendre en concert.

Le morceau en tournée

Et justement, Telegraph Road en live reste un des plus grands moments des concerts de Dire Straits d’abord, puis de la carrière solo de Mark Knopfler. Un point d’orgue attendu par les fans, et une des chansons les plus jouées par Knopfler durant toute sa carrière avec Sultans of Swing, Romeo and Juliet et Brothers in Arms.

1983 : La version iconique sur ‘Alchemy

C’est par cette version que j’ai découvert le morceau. C’est peut-être aussi pour cette raison qu’elle reste ma préférée. La façon de chanter de Mark, le son de sa guitare, ses doigts qui marquent l’intro, Alan qui dans le passage « calme » au milieu « attend » légèrement et sourit à la clameur du public, et qui sur le final martèle littéralement son piano, Terry qui regarde la caméra durant l’intro et qui durant le solo de fin semble se battre contre ses cymbales crash… que des moments qui rendent cette version de Telegraph Road iconique.

Au sujet de cette chanson, le livre de Michael Oldfield (Albin Michel, 1984) la décrit comme « entrant en scène comme un agneau et en sortant comme un lion ». Une des plus belles descriptions de ce morceau à mon sens.

En 1988, la compilation Money for Nothing en propose une version remixée, à laquelle Mark a participé. On y entend notamment les percussions de Joop De Korte, et à l’inverse la guitare de Hal Lindes dans le passage lent a été supprimée, peut-être parce qu’elle était légèrement désaccordée sur la prestation du 23 juillet 1983. Et la fin est en fondu plutôt que d’avoir gardé l’intégralité de l’enregistrement :

Le compositeur classique Doug Helvering propose sur ses podcasts The Daily Doug des analyses de morceaux de tous styles. La plupart du temps, il s’agit pour lui d’une première écoute donc d’une découverte, ou tout au moins un titre qu’il n’a pas écouté depuis très longtemps. Le 15 juin, il avait posté une vidéo pour Sultans of Swing.

Il y a un peu plus d’un mois, le 20 juillet, il a publié son analyse de Telegraph Road, et justement dans la version Alchemy, qu’il qualifie de « Amazing » :

1986 : Un seul enregistrement disponible

Durant la tournée Brothers in Arms qui débute en avril 1985, Telegraph Road est d’abord écarté de la setlist. Ce n’est qu’en février 1986 que le morceau refait son apparition lors de concerts en Australie et Nouvelle-Zélande. Deux dates sont connues avec la chanson jouée entre Tunnel of Love et Solid Rock : Melbourne le 19 février et Christchurch le 7 mars. C’est cette deuxième et unique date dont on connait l’enregistrement. Le son est de mauvaise qualité, mais le côté quasi-unique de la performance sur cette tournée en fait un enregistrement rare et donc recherché

1991-1992 : Up-tempo, Saxophone et Pedal Steel

Sur la tournée suivant l’album On every street, la dernière de Dire Straits, 9 musiciens se partagent la scène. Mark choisit donc de donner un peu d’espace musical à chacun selon les morceaux. Sur Telegraph Road (qui alterne avec Tunnel of Love un soir sur deux, en tout cas dans la première moitié de la tournée), il opte pour conserver la guitare National sur tout le premier couplet et le premier solo, et de ne passer à l’électrique que le pour le passage « lent » du milieu. Les phrases solistes du début sont assurées par Paul Franklin à la Pedal Steel, et le premier solo après « like a rolling river » est joué au saxophone soprano par Chris White. Je me souviens avoir été agréablement surpris de ce passage lors du concert à Lyon en avril 1992. Autant je trouve que la Pedal Steel ne convient pas au morceau (et on frise d’ailleurs souvent l’overdose de cet instrument durant cette tournée, en tout cas à mon goût) autant j’aime beaucoup ce solo de sax aérien qui semble voler au dessus de la rivière précédemment citée.

À noter que l’intro est raccourcie et démarre directement sur le piano. À partir du moment où Mark récupère la Pensa-Suhr, la chanson reprend les arrangements de la tournée 82-83. Le changement le plus notoire est sans doute le tempo qu’on sent légèrement accéléré, ce qui donne un solo final assez impressionnant sur le plan technique. Les doigts du guitar-hero rivalisent de fluidité, d’agilité et de virtuosité, et de nouvelles phrases mélodiques font leur apparition.

Un jeu pyrotechnique mais que pour ma part je trouve un peu « froid » en comparaison de la version sur Alchemy. Oui Mark joue vite et précis, mais il manque à mon goût un peu d’âme dans son jeu, et son expression impassible qui lui donne l’air de s’ennuyer (une sensation globale sur toute la tournée) enlève de la magie au moment. Avis purement personnel bien sûr.

1996 à 2005 : Les grandes heures en solo

Pour ses débuts en solo, notre guitariste-chanteur-songwriter préféré retrouve l’envie de jouer sur scène avec une tournée à dimension plus humaine. Son concert à Fourvière en 1996 reste mon plus beau souvenir personnel de toute sa carrière. Il termine ses concerts (avant les rappels) par Telegraph Road, à nouveau avec la Pensa-Suhr. Mais cette fois il revient à la formule de 82-83 : la guitare National n’apparait que sur les arpèges de l’intro (qui a retrouvé son intégralité) et le guitariste démarre sur l’électrique dès le premier couplet comme au bon vieux temps. J’aime particulièrement cette version du 23 mai au Royal Albert Hall qu’on pouvait trouver par exemple sur le bootleg Swinging Golden Hearts :

Dans le solo « lent » du milieu, une phrase apparait sur cette tournée et qui sera gardée ensuite sur toutes les tournées suivantes : à 06:01 dans la vidéo ci-dessus. Personnellement je préférais le solo de 82-83. De même, la façon dont Mark chante le dernier couplet « ‘Cause I’ve run every red light on memory lane / I’ve seen desperation explode into flames / And I don’t want to see it again », qui était déjà apparue sur la tournée précédente en 91-92, manque à mon goût de conviction et d’énergie qu’on pouvait avoir sur la période Alchemy (ou même la version studio).

Malgré ces quelques réserves, j’adore le solo de fin qui mixe les inspirations de 82-83 et 91-92. Le break à 11:01 fait toujours son effet (c’était déjà le cas en 91-92) et le son de la Pensa est je trouve meilleur que pour la tournée On every Street. Le morceau est aussi plus long et atteint des sommets en terme de durée et d’intensité.

Cette acmé se poursuit en 2001 et 2005. Petites nouveautés : une nouvelle Pensa avec 3 micros simples fait son apparition en 2001, et sur la tournée Shangri-La, Mark joue Telegraph Road sur la Stratocaster signature rouge comme j’ai pu le voir à Lyon en avril 2005.

à partir du 10/06/05 à Milan, Mark jouera sur sa nouvelle Pensa Custom MK2-Plus, que Rudy Pensa lui apporte dans la ville italienne le jour même.

2008 à 2019 : Des versions plus tranquilles

À partir de la tournée 2008 pour l’album Kill to get crimson, Mark va opérer un changement dans l’interprétation du morceau sur scène qu’il conservera jusqu’en 2019 : de la même façon qu’en 1991-92, il conserve la National pendant la première partie, et ne prend l’électrique que pour le passage lent. Richard Bennett assure quelques notes solo discrètes sur le premier couplet. L’intro est jouée par une vraie flûte par John McCusker.

Mais alors que sur la tournée On every street le premier solo était assuré par le saxophone, là il n’y a que le piano qui poursuit comme il le faisait déjà sur les premières mesures depuis toujours. Ce passage sur les versions de ces dernières années (2008, 2010, 2013, 2015 et 2019) peut ainsi parfois sonner un peu « vide », comme s’il manquait un véritable instrument soliste à cet endroit du morceau. La cithare de McCusker et le piano de Rowlings ou Cox ne suffisent pas à apporter l’intensité produite par la guitare auparavant.

La suite de la chanson reste assez similaire à ce qu’on connait, et le solo final pouvait varier de virtuosité selon les soirs. En 2019, les doigts fatigués de Mark Knopfler ont eu raison de Telegraph Road : après l’avoir joué sur les 5 premiers concerts de la tournée, le guitariste abandonne le morceau à partir du 3 mai à La Corogne (Coruna). Le 30 avril 2019 à Lisbonne reste à ce jour la dernière interprétation de Telegraph Road sur scène par Mark Knopfler :

C’est toujours difficile de déterminer un morceau préféré dans la discographie d’un artiste qu’on adore. Mais par son lyrisme, sa complexité, sa virtuosité, et aussi ses envolées aériennes, son atmosphère si particulière, son développement à tiroirs, sa puissance mélodique et émotionnelle… je crois pouvoir dire sans hésiter que Telegraph Road est en pole position dans mon panthéon musical personnel.

Un petit chef-d’œuvre dont j’ai essayé de faire le tour sans toutefois avoir la prétention d’être entièrement exhaustif. Juste la synthèse d’informations et souvenirs glanés depuis une trentaine d’années sur cette musique qui ne cesse de me prendre les tripes à chaque écoute.

© Jean-François Convert – Août 2022

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22 commentaires sur “Une chanson à la loupe: ‘Telegraph road’ de Dire Straits

  1. This is a really great commentary. Just a small thing, he started using the Pensa MK2 TR already in 1996.

    For me, that tour gave the best TR solos no questions asked. Maturity, good mood, new incredible licks, still fast and precise as hell. In 2019 it was obvious that the song was well out of his possibilities already, but he kind of did it decently. But man, he was suffering through it.

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    1. Thanks for the precision regarding the Pensa MKII
      When I saw him in Lyon on July 9th 1996 he played the Pensa MKI though

  2. Je viens de lire sur le site de Christies’ que la Schecter noire était utilisé sur le morceau Telegraph Road (version studio) ! Intéressant comme détail …
    https://www.christies.com/lot/lot-6465709?ldp_breadcrumb=back&intObjectID=6465709&from=salessummary&lid=1

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    1. oui, on a déjà discuté de cette interview de Brewis avec Ingo.
      les arpèges pendant le passage lent du milieu sonnent en effet très Telecaster, ça pourrait être cette partie à laquelle Brewis fait allusion. Parce la guitare lead semble bien être la strat schecter quand même.
      en revanche, la Tele était utilisée en live en 80-81, ce qui peut également induire Brewis en erreur

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      1. Tout à fait Jef. Le fait que le morceau a été enregistré en deux temps (batterie de Pick) indique bien qu’il y avait plusieurs guitares jouées. Autre information que j’ai lu: la Schecter Tele est arrivée au début 1980 pour l’enregistrement studio, ce qui veut dire que MK avait commandé (joué et testé) les Schecter courant 1979 (vraisemblablement durant l’enregistrement avec Bob Dylan, où durant sa tournée US).

        1. ça m’étonne.
          dans le documentaire de la BBC « arena » tourné en mars 80, il joue encore sur les Fender.
          Il est parti s’installer à NY en avril 80, et l’enregistrement de Making Movies n’a commencé qu’en juin-juillet
          je pense plutôt qu’il a sympathisé avec Rudy en avril-mai, et que c’est à ce moment-là qu’il a commandé les Schecters.
          Mais je peux me tromper

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          1. Absolument ! Seulement, son amie de l’époque avait une Fender avec un Pickguard Schecter, donc je me suis dit qu’il avait eu vent des Schecters bien avant 1980.

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  3. Merci Jef pour les détails ! Je dirais que les versions jouées « live » en 1981 sur la Tele noire avaient un son peut-être « tapped » en utilisant un micro Schecter surbobinés, entre le single-coil et le humbucker. Certains vidéos d’Ingo Raven laissent penser que c’est le cas … on ne pourra pas vérifier à 100% les anciennes Schetcer fabriquées en mode « custom shop ».

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  4. Nîmes 1992 la meilleure chanson de tous les temps. Merci pour cet article fabuleux

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  5. Merci pour cette superbe analyse qui fait encore apprécier davantage cette chanson qui est pour moi depuis toujours ma préférée et qui est malheureusement très/trop méconnue. Il faut dire qu’il y en a tellement de superbes. De tout coeur merci….
    Alain

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  6. Encore un article super intéressant et incroyablement complet. Un de mes chansons preferées avec brother in arms, Romeo et Juliette (qu’elle originalité) et news.
    Quelle déception de ne pas l’avoir entendu lors de la seule fois où j’ai pu le voir en concert il y a trois ans …

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  7. Merci pour cet article. Telegraph Road est ma chanson préférée, tous groupes confondus, et j’ai appris plein de choses.

    Super boulot !!

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  8. Merci beaucoup pour ce bel article sur un morceau qui m’avait scotché dès la première écoute.
    C’est clair, pertinent, agréable à lire et techniquement complet.
    Bernard

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  9. Merci pour ce merveilleux texte !

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  10. Superbe chronique, merci !

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  11. Très bonne étude d’un des meilleurs morceaux de Mark. Dans le top des morceaux avec Speedway at Nazareth pour moi.

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    1. merci 🙂

  12. Pour moi, la meilleure version reste celle de Lyon 2005, dont le solo final a été rallongé et dont la qualité sonore de l’enregistrement est très bon. A écouter.

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  13. Bonjour, très belle analyse.
    Bravo.
    Patrice.

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    1. merci 🙂

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