Il y a 40 ans, Dire Straits jouait à Dortmund pour sa tournée “On Location”

Le 19 décembre 1980, le concert de Dire Straits était retransmis à l’émission “Rockpop”. Un tournant dans la carrière du groupe.

Dire Straits Dortmund 1980

Un concert particulier

Le concert de Dire Straits à Dortmund le 19 décembre 1980 fait partie des plus connus du groupe, pour la simple raison qu’il a été filmé, et bénéficie donc d’un enregistrement audio console, et qu’il est l’un des rares témoignages visuels de cette période (existe également le concert de Werchter en juin 1981, mais pas en intégralité). Mais bien qu’il représente globalement le son de la tournée 80-81, il présente une setlist raccourcie par rapport aux autres dates, tout simplement pour les besoins de l’émission télévisuelle “Rockpop”. Le show est ainsi réduit à un peu moins d’une heure, ce qui diminue la setlist environ de moitié par rapport aux autres concerts de la tournée.

Un concert-type de 1980

  1. Once upon a time in the west
  2. Expresso love
  3. Down to the waterline
  4. Lions
  5. Single handed sailor
  6. Skateaway
  7. Romeo and Juliet
  8. In the gallery
  9. News
  10. Sultans of swing
  11. Portobello belle
  12. Angel of mercy
  13. Tunnel of love
  14. Wild west end
  15. Where do you think you’re going?
  16. Solid rock

Le concert de Dortmund

  1. Once Upon A Time In The West
  2. Down To The Waterline
  3. Lions
  4. News
  5. Private Investigations
  6. Sultans Of Swing
  7. Tunnel Of Love
  8. Solid Rock

Ingo Raven a eu la chance d’assister à ce concert, et même de rencontrer Mark Knopfler juste avant. Il nous raconte cette formidable expérience dans cet article (en anglais). On y apprend entre autres que toutes les chansons jouées sur scène n’ont pas été retransmises dans l’émission télé.

Dire Straits en 1980. De gauche à droite : Mark knopfler (chant, guitare), Hal Lindes (guitare), Pick Withers (batterie), Alan Clark (claviers) et John Illsley (basse)

Un nouveau son

A l’automne 1980, Dire Straits vient de sortir son troisième album studio, Making Movies (► ma chronique). Un disque qui marque un virage net dans l’orientation musicale du groupe : alors que les deux premiers opus étaient quasi-exclusivement guitares, celui-ci donne une part importante aux claviers (joués sur l’album par Roy Bittan du E-Street Band ), et commence à s’orienter vers des morceaux « épiques », dont la pièce maitresse Tunnel of love (► Ma chronique “à la loupe”).

Mais la tournée qui suit immédiatement la sortie de l’album va aller encore plus loin. Outre le remplacement de David Knopfler par Hal Lindes à la deuxième guitare, Dire Straits voit arriver pour cette tournée un claviériste qui va radicalement changer le son du groupe : Alan Clark est natif de Newcastle-Upon-Tyne, tout comme Mark Knopfler. Ce sont tous les deux des “Geordies”, surnom donnés aux habitants du nord de l’Angleterre, en quelques sorte les “Ch’tis anglais”.

Alan Clark sur Tunnel of love
à l’émission The Old Grey Whistle Test,
le 29 novembre 1980

Alan Clark joue tout naturellement les parties de claviers des nouveaux morceaux, mais surtout il réarrange avec Mark tous les anciens qui figurent encore dans la setlist.

La formule à 4 des années 1977-79, avec un son brut très pub-rock, se voit métamorphosée en un rock-band au son puissant qui propose des concerts fleuves avec des arrangements lorgnant vers le rock progressif, genre musical pourtant en désuétude à cette époque du début des eighties. L’apogée de cette version de Dire Straits sera atteinte sur l’album studio suivant Love over gold et le live Alchemy. Le disque Brothers in arms (► ma chronique) reviendra à plus de simplicité formelle, même si la tournée consécutive restera dans une musicalité complexe et flamboyante.

Sur les terres du prog-rock…

Avec ces arrangements très travaillés, les morceaux rallongés, parfois enchaînés au travers de transitions spécifiquement composées pour l’occasion, ce nouveau style musical peut paraître comme un choix surprenant en cette fin d’année 1980, où le prog-rock n’est plus vraiment à la mode. Les artistes phares du genre, tels Genesis, Yes ou Mike Oldfield ont justement abandonné ces développements à l’harmonique architecturale pour se recentrer sur des formats pop plus classiques, adaptés à la diffusion sur les radios FM. Et les groupes en vogue sont plutôt dans l’air du post-punk à la Police et Clash, ou la New Vave avec Cure, Depeche Mode et les débuts de U2.

Mais après des débuts influencés par le blues, la country et le laid-back, Mark Knopfler oriente la musique de son groupe vers des envolées lyriques, des solos marathons, des intros atmosphériques, et des fins de chansons en crescendos explosifs. Un rock à la croisée des genres : son fameux style fingerpicking à la guitare tout droit hérité du folk-blues et de la country, mêlé au son moderne (pour l’époque) des synthés d’Alan Clark.

Mark Knopfler expérimente beaucoup sur cette tournée. Aucun morceau n’échappe au re-lifting, et tous se voient agrémentés de parties de claviers, que certains jugeront peut-être un peu surchargées. Personnellement j’aime cette idée d’essayer des choses, de tester de nouvelles directions musicales.

… et des musiques de films

Cette tournée baptisée On Location Tour (tiré d’un vers de Skateway) porte bien son nom : même s’il n’a pas encore composé de musique de film, Mark Knopfler se voit déjà comme le chef d’orchestre d’une bande son cinématographique. Le groupe entre en scène au son du fameux thème de Le Bon, la brute et le truand, de Morricone, que Knopfler a l’occasion de rencontrer durant la tournée.

Et le morceau d’ouverture qui suit instantanément est Once upon a time in the west ! Difficile d’être plus explicite : Knopfler rêve d’une musique qui suscite des images, qui emmène ailleurs, des chansons sur grand écran.

Un nouveau titre : Telegraph road

Et c’est d’ailleurs durant cette tournée que le leader de Dire Straits compose son morceau le plus cinématographique de toute sa carrière : Telegraph road. Comme il le disait lui-même : « au moment du passage lent au milieu de la chanson, c’est comme si on voyait un travelling arrière qui monte au-dessus de la ville et des embouteillages à la tombée de la nuit »

Le morceau est joué dans la deuxième partie de la tournée, en 1981 :

Tout n’est pas encore finalisé, il manque quelques ajustements qui apparaîtront sur la version studio en 1982. Mais l’ossature principale est bien là.

Les prémices d’Alchemy

D’ailleurs, plusieurs autres morceaux de la setlist apparaissent dans des versions qui trouveront leur plein aboutissement sur la tournée suivante, et le fameux live Alchemy :

  • Once upon a time in the west a déjà sa structure mise en place. Sa version sur Alchemy en sera l’apogée. On remarque que c’est le seul morceau à avoir ouvert la setlist deux tournées de suite. Les deux autres chansons ayant eu l’honneur d’ouvrir deux fois un concert (mais pas sur deux tournées d’affilée) sont Calling Elvis (1991-92 et 2001) et Why Aye Man (2005 et 2019)
  • Expresso love a la particularité d’enchaîner son final avec l’intro de Down to the waterline, qui ne survivra pas au changement de setlist de la tournée suivante.
  • Romeo and Juliet n’est pas complètement dans sa forme définitive : ne figure pas l’intro au clavier, et le solo de fin se cherche encore
  • Down to the waterline, Lions, Single handed sailor, Skateaway, In the gallery, Les Boys, Angel of mercy, Wild west end et Where do you think you’re going? sont joués pour la dernière fois en live lors de cette tournée
  • News aussi, mais son outro trouvera plus tard une seconde vie avec Private Investigations. Mark dédie la chanson à John Lennon, assassiné 11 jours auparavant. En mai 1981, il la dédiera à Bob Marley.
  • Sultans of swing voit pour la première fois apparaître son passage lent, et son solo de fin rallongé. C’est globalement la forme de la version qu’on connaîtra jusqu’en 1996 (avec plus ou moins le rajout du saxo par la suite)
  • Portobello Belle se voit augmentée d’un solo d’Hal Lindes, que je trouve pour ma part inadapté au morceau sur cette tournée. Trop rock et trop agressif, il sera heureusement bien mieux exécuté sur la tournée suivante, dans un style plus travaillé, pour aboutir à mon sens à la version ultime de la chanson (qui figure de façon tronquée sur la compilation Money for nothing)
  • Tunnel of love connait son premier ajout d’intro sur cette tournée. D’autres embellissements surviendront en 1982-83 et 1985-86. Anoter que cette version de Dortmund est celle qui figure sur l’album Live at the BBC, car elle a été rediffusée plus tard au cours d’une émission radio
  • Solid rock affiche son solo tel qu’il figurera dans toutes les tournées suivantes, et contient même déjà le riff qui réapparaîtra en 1991-92

Des nouvelles guitares

C’est sur l’album Making Movies et sur cette tournée que Mark abandonne les Fender (il y reviendra au milieu des années 90) pour les Schecter. Ces guitares sont achetées à New-York chez Rudy Pensa avec qui il se lie d’amitié, et chez qui travaille un certain… Jack Sonni.

Sur les apparitions promo télé en novembre 80, on le voit avec sa Stratocaster Candy Apple red, qui va devenir sa guitare principale pour les eighties. Équipée au départ de ses micros ses micros d’origine F500T (noirs), elle est modifiée au cours de la tournée, et apparaît en 1981 avec des Seymour Duncan (blancs) :

Comme on lui a volé la Sunburst originale qui figure sur la version studio de Tunnel of love, Mark utilise la Candy Apple red pour l’émission Old Grey Whislte Test le 29 novembre 1980 :

A noter : Sur l’intro, Mark joue la mélodie de Carrousel waltz à l’orge Hammond (doublée par Alan au piano), et la dernière note est tenue par le technicien Ron Eve. Cette technique sera utilisée tout au long de la tournée On location

Et ce 19 décembre à Dortmund, il joue sur sa nouvelle Sunburst qui remplace celle volée. Est-ce le premier concert avec cette guitare ? Difficile à savoir, étant donné qu’on ne possède pas d’images entre le 29 novembre et le 19 décembre. Mais il semble en tout cas que ce prototype Schecter (prise du jack sur la tranche, comme sur une Telecaster) ait été commandé en urgence pour assurer les concerts, et notamment Tunnel of love et Where do you think you’re going?

Gros plan sur la nouvelle Stratocaster Schecter Sunburst de Mark, au cours du concert de Dortmund

Elle sera utilisée par la suite sur Telegraph road, alors que sur cette tournée le morceau est joué sur la Telecaster noire (position micro manche), la troisième Schecter acquise par Mark en 1980. Il s’en sert aussi sur Solid rock :

Plus tard, en 1986, il la jouera sur Two young lovers, comme on peut le voir sur le concert final de la tournée Brothers in arms à Sydney, avec le fameux moment de l’ongle cassé.

Enfin, on note qu’Hal Lindes s’équipe également de guitares Schecter, notamment une Stratocaster bleue, dont il a posté une photo sur son compte Facebook en septembre :

Ce qui ne l’empêche pas de jouer sur sa Stratocaster blanche de 1959, postée elle aussi le même jour sur son compte facebook :

Cette tournée On Location est souvent présentée comme le chaînon manquant entre le Dire Straits à 4 des débuts, et le super-groupe du milieu des eighties qui connait son apogée sur Alchemy et la tournée Brothers in arms. Une période très intéressante de la carrière du groupe, et capitale pour comprendre son évolution musicale. Et l’un de ses concerts les plus célèbres se tenait il y a tout juste 40 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Décembre 2020

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2 commentaires sur “Il y a 40 ans, Dire Straits jouait à Dortmund pour sa tournée “On Location”

  1. On retrouve un bijou de Paris durant la même tournée, avec une très bonne qualité.
    https://youtu.be/yX5FdgX4MJA

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    1. merci Sam

      1

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