Une chanson à la loupe: ”Firth of fifth” de Genesis

Mon morceau préféré du groupe. Retour sur un pur joyau, composé par Tony Banks, et sublimé par Steve Hackett.

L’origine de la chanson

Firth of fifth est parue sur l’album Selling England by the pound en 1973. Bien que créditée à l’ensemble du groupe (pour une simplicité du contrat de droits sans doute), elle est en fait en grande partie l’oeuvre de Tony Banks. Ce dernier l’avait proposée au groupe lors des sessions de Foxtrot en 1972, mais elle n’avait pas été retenue.

Le titre est un jeu de mots en référence à l’estuaire (« Firth ») de la rivière écossaise Forth, connu donc sous le nom : « Firth of Forth ». Et effectivement, « L’estuaire du cinquième » ne veut pas dire grand chose. Bien qu’elles soient liées au thème de la rivière, les paroles ne sont pas d’une limpidité folle, et semblent évoquer un voyage dans des temps médiévaux. Banks, qui a été aidé par Rutherford, n’a jamais été très fier de ce texte et l’a qualifié « d’un des pires sur lesquels il ait travaillé ».

« Je ne faisais que suivre l’idée d’une rivière, puis je me suis un peu retrouvé dans le cosmos et je ne sais pas vraiment où j’ai fini, en fait »

Tony Banks

De même pour la musique, il semble qu’au début ce n’était qu’une farce, avec ce thème du piano repris au mellotron avec le groupe au complet en faisant des tonnes, notamment Collins à la batterie et ses roulements rapides. Comme si Genesis avait voulu un peu se moquer d’eux-mêmes et du mouvement prog-rock, en exagérant au maximum le côté pompeux et grandiloquent. Alors que l’idée de départ était simplement basée sur un jeu de mots, et des mélodies épurées, censées n’être jouées que par le piano et la flûte. C’est ce que nous explique le compositeur :

Une pièce maîtresse du groupe

Mais avec le recul, le morceau a pris de la maturité, et est devenu un des fleurons du répertoire de Genesis, plébiscité par le public.

« Ces paroles tiennent à peu près à la chanson. Pour moi, musicalement, il y a deux ou trois moments vraiment forts et heureusement ils nous ont vraiment emmenés. C’est devenu l’un des classiques de Genesis et j’en suis très heureux. « 

Tony Banks

Sa structure musicale est en parfaite symétrie. En effet, si on définit les 3 thèmes suivants bien distincts :

  • A : Thème au piano type fugue baroque
  • B : Partie chantée type rock-pop-folk
  • C : Mélodie flûte-guitare type médiévale-mélancolique-romantique

Alors, le schéma du morceau est le suivant :

A – B – C – A – C – B – A

Intro piano (A) – Chanson (B) – Mélodie flûte (C) – Thème mellotron (A) – Mélodie guitare (C) – Chanson (B) – Thème piano (A)

Les « deux ou trois moments vraiment forts » dont parle Tony Banks sont clairement :

  • l’intro au piano, digne d’un compositeur classique
  • le même thème joué avec le groupe au complet dans une emphase grandiloquente au milieu du morceau
  • et enfin le superbe solo de guitare, qui reprend la mélodie jouée auparavant par la flûte.

Le piano n’a pas été facile à enregistrer, à cause du bruit causé par la pédale. En concert, Tony Banks utilisait un piano électrique (quand l’intro était jouée) ce qui n’a jamais permis d’obtenir un son parfaitement satisfaisant. Sur cette version de 1974, Peter Gabriel introduit la chanson en français, avec des explications qui restent quand même un peu obscures…

Sur la tournée de 1977 (dont est sorti l’album live Seconds Out), l’intro était écartée. Certaines mauvaises langues disent que c’est parce que Banks n’arrivait pas à la jouer tous les soirs sans erreur !

Le solo le plus célèbre de Steve Hackett

Bien qu’il ne soit « que » le reflet de la mélodie composée par Tony Banks, le solo de guitare de Firth of fifth a longtemps été salué comme “le couronnement du temps passé par Steve Hackett avec le groupe” par les biographes de Genesis, Dave Bowler et Bryan Dray, tandis que Steve lui-même a déclaré :

“il sera toujours jumelé avec moi, et j’aime toujours le jouer. C’est une excellente mélodie à la guitare”

Steve Hackett sur scène avec Genesis, le 17 janvier 1977 à Newcastle © Wikimedia Commons

C’est en effet une envolée lyrique et déchirante qui sublime littéralement le morceau. Un son aérien qui n’est pas sans rappeler celui de Gilmour, et une ambiance très Floydienne et à la fois mélodramatique, au sens noble du terme.

« C’est mon album préféré de Genesis »

Steve Hackett

Le guitariste a maintes fois revendiqué Selling England by the pound comme son opus favori du groupe. Il l’a d’ailleurs joué intégralement en tournée l’année dernière, comme il en parle dans cette interview. Et durant le confinement, Steve Hackett a posté régulièrement des vidéos enregistrées depuis chez lui. Le 10 mai, il a publié le solo de Firth of fifth :

Mais il n’a jamais cessé de jouer ce morceau en concert depuis qu’il a quitté le groupe. Toutes les tournées de sa carrière solo depuis la seconde moitié des années 70 ont inclus Firth of fifth dans la setlist, soit en entier, soit seulement le passage instrumental.

En 1996, dans son album Watcher of the Skies: Genesis Revisited, (composé de reprises du groupe dans des versions différentes), la chanson avait une place de choix, avec ce commentaire du guitariste dans les notes du livret :

« L’une des plus belles de Tony, à mon humble avis »

Steve Hackett

Il s’est exprimé à plusieurs reprises sur ce fameux sustain, et cette note qui dure, qui dure, juste avant que ne débute la mélodie. Notamment dans le DVD The Man, The Music, sorti en 2015. Et également beaucoup plus récemment, pendant le confinement, durant lequel il a posté différentes vidéos, sur chacun des morceaux de son album préféré de Genesis :

Une reprise à la harpe

En cherchant sur Internet, on trouve une multitude de reprises du morceaux dans divers arrangements, notamment par des orchestres classiques. Mais une des plus surprenantes, et que je trouve parfaitement exécutée et fidèle à l’original, est cette version à la harpe :

Ce qui prouve qu’une mélodie composée avec goût et harmonie peut être jouée par quasiment n’importe quel instrument. Et si ça sonne bien dans toutes les situations, alors c’est que la composition est parfaite.

« Avec Genesis, nous avons toujours fait ce qui nous plaisait vraiment. Nous ne nous sommes pas trop inquiétés de la façon dont les auditeurs allaient réagir. »

Tony Banks

Et ils ont bien eu raison de procéder ainsi. Cela nous a donné ce magnifique joyau, et Firth of fifth reste encore et toujours mon morceau préféré de Genesis.

© Jean-François Convert – Mai 2020

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8 commentaires sur “Une chanson à la loupe: ”Firth of fifth” de Genesis

  1. A 22ans être capable de composer une mélodie pareille….Tony Banks est un compositeur hors pair

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  2. A chaque écoute de Firth of Fifth je « décolle » littéralement ! Mon morceau préféré du groupe également. Merci pour ce très bel article.

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  3. Il y a tellement de petits et de grands joyaux dans la discographie de Genesis, c’est impossible de se limiter à deux ou trois titres. The Knife, Watchers of the Sky, Supper’s Ready, … Rien que sur la première période, jusqu’en 1978, il y en a plus d’une dizaine !

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  4. Merci pour ce bel article.

    J’ajoute The Lamia dans les titres culte.

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  5. Ce groupe est mythique, probablement un des meilleurs de tous les temps. Genesis s’inscrit dans l’extraordinaire génie de la culture musicale anglaise. Si la musique jazz et rock doit tout aux Noirs américains, alors la musique pop, de même, doit tout à l’Angleterre.

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  6. C’est aussi celle que je préfère de Genesis avec Dancing With The Moonlit Knight .

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  7. blood on the rooftops et Firth of Fith sont mes deux chansons préférées de Genesis.

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    1. Merci Fabrice. Perso, juste après Firth of Fith, j’adore Cinema show, Carpet Crawlers, Supper’s ready et One for the vine.
      Blood on the rooftops est aussi excellente, mais comme pièce de guitare classique, je préfère encore horizons

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