Le festival le plus iconique de l’histoire du rock s’est déroulé du 15 au 18 août 1969. Il fête par conséquent ses 50 ans ces jours-ci. Retour sur le plus grand événement socio-musical du XXème siècle, à la portée encore visible aujourd’hui.
Il existe d’innombrables ouvrages sur Woodstock, des documentaires, et bien sûr le film de Michael Wadleigh. Une myriade de magazines hors-séries sort ce mois-ci pour raconter par le menu détail, ces “3 jours de paix et de musique” qui ont changé, au moins l’histoire du rock, si ce n’est l’histoire tout court. Par conséquent, difficile, voire impossible, d’écrire quelque chose d’inédit.
L’anniversaire des 50 ans ayant lamentablement échoué, replongeons-nous dans ce qui reste un symbole de la contre-culture, à la fois l’apogée et la quasi-fin du rêve hippie, mais surtout un feu d’artifices de musiques : multiples, colorées, joyeuses, contestataires… un véritable festival, c’est le cas de le dire !
Sommaire
Pourquoi à Woodstock ?
L’idée d’organiser un festival à Woodstock, petite commune au nord de New York, tenait au fait que Bob Dylan s’y était installé en retraite, suite à son accident de moto. Il y est d’ailleurs rejoint par The Band qui y compose et enregistre Music from the big pink. Mais, ironie du sort :
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le grand Zim ne participera pas à la fête.
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le festival aura finalement lieu dans la commune de Bethel, mais gardera le nom de Woodstock
L’événement est programmé du 15 au 17 aout 1969. Au départ payant, il devient vite gratuit par la force des choses, les organisateurs se trouvant débordés par l’afflux massif : prévu à l’origine pour 50 000 spectateurs, il en accueille finalement 10 fois plus ! C’est bien un demi-million de personnes qui était présent à Woodstock. L’ampleur de l’événement a largement contribué à sa renommée :
Des centaines de kilomètres d’embouteillage dans l’état de New York, intervention de l’armée pour encadrer la sécurité, et les artistes acheminés par hélicoptère, seul moyen de transport permettant de rejoindre le lieu.
Quels artistes ?
Plusieurs grands noms du rock de l’époque répondent présents : Jimi Hendrix, The Who, Janis Joplin, Joe Cocker, Grateful Dead, Jefferson Airplane… ainsi qu’un groupe débutant : Santana.
Et puis des absents notoires : outre Bob Dylan, il manquait des têtes d’affiche comme Led Zeppelin, les Doors, Zappa, Simon & Garfunkel, les Byrds, Procol Harum, Free, Jethro Tull, et bien sûr les Beatles et les Stones…ces derniers feront d’ailleurs leur propre festival sur la côte ouest à la fin de l’année 1969…à Altamont, resté malheureusement célèbre pour des circonstances tragiques, mais c’est une autre histoire, dont nous reparlerons prochainement.
Bref, une affiche de rêve, et pour beaucoup, des performances exceptionnelles, qui sont encore aujourd’hui, des références.
La programmation complète
Vendredi 15
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Richie Havens
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Swami Satchidananda
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Sweetwater
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Bert Sommer
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Tim Hardin
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Ravi Shankar
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Melanie
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Arlo Guthrie
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Joan Baez
Samedi 16
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Quill
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Country Joe McDonald
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John Sebastian
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Keef Hartley Band
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Santana
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The Incredible String Band
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Canned Heat
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Grateful Dead
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Creedence Clearwater Revival
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Janis Joplin
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Jefferson Airplane
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Sly and the Family Stone
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The Who
Dimanche 17
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Joe Cocker & The Grease Band
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Country Joe & The Fish
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Mountain
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Ten Years After
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The Band
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Johnny Winter
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Blood, Sweat and Tears
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Crosby, Stills, Nash and Young
Lundi 18
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Paul Butterfield Blues Band
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Sha Na Na
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Jimi Hendrix
Les performances phares
Plusieurs morceaux sont devenus emblématiques de Woodstock :
Going up the country de Canned Heat
qui ouvre le film avec la version studio en bande son :
Ce titre bucolique, qui retranscrit ce désir de retour de vie à la campagne, est joué par le groupe lors de leur passage, le deuxième jour (le samedi 16) :
With a little help from my friends
superbe reprise des Beatles par Joe Cocker, qui semble littéralement habité, en clamant cette ode à l’amitié et la fraternité :
Soul sacrifice de Santana
Le groupe n’a pas encore sorti son premier album, qui se retrouvera dans les bacs le 30 août. Tandis que le très jeune Mike Shrieve impressionne avec son solo de batterie, le leader-guitariste Carlos Santana, sous mescaline, lutte pour garder droit son manche qui se transforme en serpent… Woodstock, c’était aussi parfois du bad trip…
See Me, feel me des Who
Veste à franges toutes dehors, Daltrey chante merveilleusement bien, tandis que Townshend, en combinaison blanche délivre ses célèbres moulinets sur sa SG special de chez Manny’s. Le quatuor londonien clôt la soirée du samedi 16 avec leur opéra rock Tommy, qui vient de sortir 3 mois auparavant.
I’m Going home de Ten Years after
Sur sa guitare Gibson ES-335, décorée du célèbre logo Peace & Love, Alvin Lee fait sensation, et sera vite qualifié par la presse de “guitariste le plus rapide du monde”… c’était bien avant les shredders des eighties…
Freedom de Ritchie Havens
Ce morceau, devenu sans doute le plus célèbre de son interprète, a été en réalité improvisé au dernier moment, tout simplement parce que le groupe devant lui succéder (Sweetwater) était en retard ! Le géant noir s’est mis à broder des paroles sur un traditionnel gospel revisité, et Freedom est né, devenant un des titres phares de Woodstock. Le 18 aout 2013, les cendres de Ritchie Havens ont été dispersées sur le site original du festival, là où 40 ans auparavant, il avait connu la gloire.
Joe Hill de Joan Baez
Si Dylan n’est pas venu, les folk-protest-songs ont eu leur représentante la plus charismatique. Cette chanson hommage au syndicaliste exécuté en 1915, elle continue de la chanter sur scène, 50 ans après. Elle évoquait justement Woodstock, encore récemment à Vienne, avant d’entamer ce morceau.
I feel like I’m fixing to die rag (The Viet-Nam song) de Country Joe & the Fish
Le versant contestataire du festival est bien là, à travers notamment cette chanson anti – guerre du Vietnam, l’une des plus populaires. Moins poétique que Joan Baez ou Arlo Guthrie, Country Joe McDonald choisit le pamphlet anar, avec son attitude iconoclaste, et le fameux : “give me an F, give me a U, give me a C, give me a K, what does that for ?” Succès imparable
The Star Spangled Banner
l’hymne américain, à la sauce Hendrix. S’il y a UN morceau qui symbolise Woodstock c’est bien celui-là. Plus de détails sur le concert du divin gaucher dans l’avant-dernier paragraphe
Enfin, le bien nommé Woodstock
écrit par Joni Mitchell qui n’a pas pu s’y rendre, car son manager a préféré privilégier l’émission de télévision du Dick Cavett Show. Il y a parfois des choix surprenants dans l’industrie du disque… Le morceau n’a bien sûr pas été joué au festival, puisque composé après, et paru sur l’album Ladies Of The Canyon en 1970.
Il est repris par le quatuor Crosby, Stills, Nash and Young en version nettement plus rock sur l’album Déjà vu, également en 1970.
Et comme le film-documentaire de Michael Wadleigh sort en mars 1970, en même temps que l’album de CSN&Y, il se termine sur le générique de fin par ce morceau, mais dans une version alternative à celle de l’album :
Creedence Clearwater Revival : leur concert enfin édité, ce 30 août
Pendant longtemps, Creedence Clearwater Revival a interdit de publier son concert de Woodstosck, jugeant qu’il était de piètre qualité. John Fogerty estimait que le son n’était pas bon, et que l’audience avait été endormie par le Grateful Dead les précédant !
50 ans après, l’intégralité des titres sort enfin en officiel (après avoir longtemps été édité en bootlegs) ce 30 août. Pour l’avoir écouté, je peux confirmer que le quatuor de San Francisco n’a pas à rougir de sa performance. L’énergie est là, la voix puissante de Fogerty emmène le groupe, et ses interventions à la guitare sont efficaces.
Un final culte avec Jimi Hendrix
Le festival était prévu du 15 au 17 août, Jimi Hendrix devant clôturer le dimanche soir. Mais les intempéries ont empêché de poursuivre les concerts le soir du 17. C’est donc le lundi 18 au matin que le divin gaucher arrive sur scène, devant une foule éparse, où ne subsistent que les derniers festivaliers, ayant résisté à la boue. On dit souvent qu’il n’y avait plus grand monde pour ce concert….certes, on peut estimer qu’en regard du demi-million présent les jours précédents, 30000 ça représente peu… mais un concert avec 30000 personnes en 1969, ça reste tout de même énorme !
C’est le premier concert du guitariste gaucher sans l’Experience. Le trio s’est dissout fin juin, suite à des dissensions avec le bassiste Noel Redding. Jimi recrute son ancien camarade de l’armée Billy Cox à la basse et s’adjoint un deuxième guitariste Lary Lee, ainsi que deux percussionnistes qui viennent seconder le fidèle Mitch Mitchell à la batterie. Bien que l’annonceur les présente comme “The Jimi Hendrix Experience”, Jimi rectifie dès son entrée sur scène en disant :
Le nom “Band of Gypsys” sera repris à la fin de l’année 1969 pour l’album live enregistré le soir de la Saint-Sylvestre, mais cette fois avec Buddy Miles à la batterie. (► Ma chronique de l’album)
Ce concert est souvent boudé par les fans d’Hendrix qui le jugent pas au top niveau de ce qu’était capable le divin gaucher. Pour ma part, je l’aime beaucoup. Ce n’est certes peut-être pas son meilleur, mais il comporte des passages très intéressants. Beaucoup lui reprochent un mauvais mixage, le son de Jimi trop fort, couvrant le deuxième guitariste et les percussions, quasiment inaudibles. Pourtant c’est bien Eddie Kramer aux manettes du mixage du film entier de Woodstock, et sur la réédition du concert de Jimi, pour les 30 ans en 1999, le remix rendra enfin justice à tous les musiciens, notamment dans le duo de guitares sur Jam back at the house.
A mon sens, cette performance d’Hendrix vaut le coup d’oreilles à plusieurs titres :
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Ne serait-ce que par le contexte historique de l’événement. Même si Jimi a participé aux 3 grands festivals les plus célèbres (Monterey, Woodstock et Wight), celui-ci reste le plus emblématique, et le plus chargé de symbolique
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Beaucoup de morceaux sont inédits au moment de Woodstock, et il est intéressant de les entendre dans leur première mouture, avant leur version studio : Message to love, Izabella, Jam back at the house, Lover man…
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Le Star Spangled Banner vaut à lui seul de posséder ce concert. Même si Hendrix l’a joué lors d’autres shows, celui-là restera à jamais gravé dans l’histoire (voir vidéo plus haut). Cette version avec des effets sonores évoquant les bombes au Vietnam a longtemps été considérée comme un manifeste politique éloquent. Il semblerait que la réalité soit légèrement plus complexe (voir plus bas).
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L’improvisation qui suit Purple Haze est extraordinaire et montre l’extrême diversité du jeu de guitare d’Hendrix, et sa capacité à explorer des univers musicaux éloignés allant du blues au flamenco, en passant par le rock, le funk ou des influences orientales.
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Petit détail : c’est l’un des rares concerts (sinon l’unique ?) où Red House est joué sur Stratocaster. La plupart du temps, ce blues lent était exécuté sur une Gibson SG ou une Gibson Flying V (Festival de Wight).
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Le son de Jimi est fabuleux. C’est, a priori, la première fois qu’il utilise l’Uni-Vibe sur scène. Cet effet reproduisant le son tournoyant d’une cabine Leslie (habituellement réservé à l’orgue Hammond) donne à la guitare du gaucher encore plus d’ampleur. Sa combinaison avec la wah et/ou la fuzz produit des sonorités inédites sur un Voodoo child d’anthologie.
D’ailleurs, à la fin de ce morceau, on sent que Jimi s’est débarrassé de la pression du début de concert. Avant qu’il n’attaque l’hymne américain, il s’adresse au public :
Le star Spangled Banner : plus ambigu qu’il n’y parait
C’est le morceau le plus emblématique de Woodstock : l’hymne américain est maltraité par le guitariste qui le défigure à coups de larsen,de distorsion et de vibrato. La signification qui en est ressortie est d’y entendre des bruits de bombes, et le message qu’on pouvait y voir était en substance : ”l’hymne américain est entaché par les exactions de l’armée américaine au Vietnam”.
Mais à chaque fois que Jimi Hendrix a été questionné sur le sujet, il n’a pas confirmé (ni infirmé) cette vision. Il disait l’avoir joué, simplement parce qu’il était américain. Ainsi, le message qu’on a donné à cette interprétation aurait dépassé l’intention de l’artiste. Un mythe qui s’est auto-alimenté, comme l’explique cet article.
Il n’est pas rare qu’on donne à des œuvres artistiques des significations non intentionnelles de la part de leur auteur. C’est aussi ce qui fait la force d’un livre, d’une musique, d’un film ou d’un tableau ou d’une pièce de théâtre : l’oeuvre vit par elle-même, et le public se l’approprie au point qu’elle n’appartient plus entièrement à son créateur.
Quelque soit le message voulu par Jimi ce 18 août 1969, il n’en reste pas moins que cette performance restera à jamais associée à une vision anti-militariste, même sans être anti-américaine. La conjonction du festival de Woodstock qui se voulait “3 jours de paix et de musique” et la guerre du Vietnam qui battait son plein en cette année 1969, a donné à cette performance une aura indélébile et universelle.
Le couple mythique de la photo du disque
Le festival de Woodstock fourmille d’anecdotes, plus ou moins farfelues, plus ou moins embellies par la légende. Parmi toutes les histoires qui circulent sur l’événement, il en est une qui symbolise l’esprit candide et utopiste de cet immense happening :
Le couple emblématique de la pochette de l’album, emmitouflé dans une couverture, vit toujours ensemble, et dans la région de Bethel. Ce qui est assez cocasse, c’est que Nick et Bobbi Ercoline ont avoué il y a quelque années au Daily News n’avoir pas vu grand-chose des concerts, parce qu’ils étaient trop éloignés de la scène ! Et dire qu’ils sont depuis 50 ans, les icônes du public de Woodstock !
En tout cas, une belle histoire que ce couple toujours ensemble. Aujourd’hui âgés de 70 ans, ils sont revenus une nouvelle fois sur le lieu mythique, pour cet anniversaire de demi-siècle.
Une façon de montrer qu’au delà de l’influence artistique, politique et sociale qu’a eu le festival de Woodstock, celui-ci a également disséminé le plus simplement du monde son message d’amour et de paix. Un demi-siècle après, ce couple nous invite à ne pas l’oublier.
Sources
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Woodstock, documentaire de Michael Wadleigh
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Hôtel Woodstock (Taking Woodstock) d’Ang Lee (2008/2009)
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Le rock de A à Z, jean-Marie Leduc & Jean-Noël Ogouz, Ed. Albin Michel (1990)
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Les secrets du rock, Stéphane Koechlin, Ed. Vuibert (2017)
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Jimi Hendrix Live at Woodstock (LCC Experience Hendrix)
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Creedence Clearwater Revival Live at Woodstock (Fantasy /Universal)
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Hors-série Rolling Stone
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Wikipedia
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Article 7 sur 7
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© Jean-François Convert – Août 2019
Article intéressant… et beaucoup de nostalgie !
Excellent article….je serai tenté de dire comme d’habitude. Juste une petite précision sur le nom du festival: le nom de Woodstock a été conservé parce que les 4 organisateurs (dont Michael Lang) avaient créé une société de prod appelé « Woodstock production », certes à cause de la référence à Dylan mais aussi parce que 2 des organisateurs habitaient Woodstock et l’argent récupéré pendant les 3 journées du festival devait permettre de construire un studio d’enregistrement dans ladite ville … pensant que Dylan viendrait, en toute logique, enregistrer…en voisin!.
merci pour cette précision 🙂