Résumé des différents effets qui rendent le son d’une guitare dans une tonalité dite “liquide”.
Dès que la guitare a été électrifiée, les musiciens ont cherché de différentes manières à altérer le son : distorsion, réverbération, écho, modulation…
Un des effets qui a connu de nombreuses évolutions est la modulation tendant à rendre le son plus lié, plus fluide. L’idée était d’enlever le côté sec, et d’apporter un liant entre les notes, pour que le son coule de façon limpide.
Sommaire
Le Flanging à bandes
Le flanging consiste à jouer la même piste dupliquée sur 2 bandes, mais en modifiant légèrement la vitesse de l’une par rapport à l’autre, ce qui produit un décalage de phase, semblable à l’effet Doppler. Si on devait décrire l’effet obtenu, on pourrait parler de son « métallique et tourbillonnant ».
Les Paul a été un des premiers à l’utiliser.
Beatles
C’est surtout au cours des expérimentations durant les sixties que l’effet va être introduit dans plusieurs disques. On l’entend légèrement sur le clavecin de Lucy In The Sky With Diamonds en 1967, dans le mythique Sgt. Pepper (► Ma chronique de l’album)
L’année suivante (1968), les Beatles donnent ce même effet (un peu plus marqué) à la guitare d’Eric Clapton sur son solo dans While my guitar gently weeps, un des plus beaux morceaux du double blanc (► Ma chronique de l’album)
Mais un certain guitariste gaucher va pousser l’exploration bien plus loin…
Jimi Hendrix
S’il y a un guitariste qui a très tôt expérimenté avec le son, c’est bien Jimi Hendrix. Outre la saturation, la distorsion, la wah-wah… le divin gaucher a un jour demandé à Eddie Kramer et Gary Kellgren, respectivement producteur et ingénieur du son sur l’album Electric Ladyland (► Ma chronique de l’album), de reproduire le son de sa guitare « comme si on l’entendait sous l’eau ».
Les deux magiciens de studio ont alors utilisé la technique de flanging, de manière intense, et ainsi altéré le son comme l’entendait Jimi dans sa tête. L’effet obtenu s’entend sur House burning down, mais à un degré nettement supérieur par rapport aux chansons des Fab Four :
Cet effet de flanging qui donne un peu l’impression de flottement du son, et de pleurage de la bande, a été appliqué sur d’autres instruments, notamment la batterie. On l’entend par exemple sur le break dans le solo final de Bold as love, toujours de Jimi Hendrix
Iron Butterfly
Il a été fortement utilisé par le groupe Iron Butterfly, surtout sur son épique cheval de bataille In-A-Gadda-Da-Vida :
Led Zeppelin
autre exemple de flanging sur la batterie : la cultissime Kashmir de Led Zeppelin, sur l’album Physical Graffiti en 1975 (► Ma chronique de l’album)
Queen
Bien que vont apparaître les années suivantes des effets spécialement conçus pour les guitares, en 1973 Brian May utilise encore la méthode artisanale des bandes sur le riff de Keep yourself alive :
Dans le film Bohemian Rhapsody, on voit les musiciens faire tournoyer un haut-parleur au bout d’une corde, ce qui pourrait laisser penser à un effet de type enceinte tournante (voir plus bas), mais Brian May a confirmé qu’il s’agissait bien de phasing/flanging par bandes.
La Cabine Leslie
Mais cet effet de flanging restait compliqué à réaliser et imposait de passer par au moins deux magnétophones, la console, et par conséquent ne pouvait être reproduit qu’en studio, et avec l’aide de techniciens chevronnés.
A la fin des années soixante, des guitaristes ont pris l’habitude de brancher leur instrument dans une cabine Leslie. Ce haut-parleur tournant sur lui-même était destiné de prime abord à l’orgue Hammond B3, pour produire ce son caractéristique de notes tournoyantes, toujours dans le même esprit que l’effet Doppler.
En l’utilisant sur leur guitare, Clapton, Harrison, Hendrix, Gilmour et bien d’autres ont donné une couleur inédite à leurs parties de six-cordes. Quelques exemples :
Jimi Hendrix et la Leslie
Une des premières fois où le génial gaucher branche sa guitare dans une cabine Leslie est sur l’intro mythique de Little Wing. On l’entend aussi sur Tax free.
Eric Clapton
Le riff en arpèges au milieu de Badge :
Cream encore, sur le même album Goodbye, avec Doing That Scrapyard Thing :
Grand adepte de la Leslie, Clapton l’a également utilisée sur le final de Layla :
En 1975, il joue à travers une Leslie sur plusieurs titres dans son album There’s one in every crowd (► Ma chronique de l’album) :
le solo de Better Make It Through Today :
Le riff sur Pretty Blue Eyes (canal gauche) :
Les arpèges sur Opposites :
George Harrison
La guitare rythmique (canal gauche) dans Something, sur le dernier album des Beatles, Abbey Road (► Ma chronique de l’album) :
David Gilmour
Le guitariste de Pink Floyd utilise une cabine Leslie sur sa guitare (canal droit) dans la troisième partie de sa composition The Narrow Way, sur l’album ummagumma, en 1969 (► Ma chronique de l’album)
Keith Richards
Bien que pas spécialement féru des effets, et préférant le son brut, Keith Richards a parfois utilisé la Leslie, comme dans Let It Loose :
ou If You Really Want To Be My Friend :
L’Uni-Vibe
Le branchement d’une guitare sur une cabine Leslie reste toutefois délicat, et nécessite là aussi un câblage particulier, peu pratique pour la scène. Pour y remédier, le fabricant japonais Shin-ei commercialise l’Uni-Vibe, créé par Fumio Mieda, spécialement conçu pour les guitares, et dont l’objectif est de reproduire le son de la Leslie.
La pédale permet de faire varier la vitesse de rotation, et donc la fréquence d’oscillation du son, tout comme sur la Leslie.
Jimi Hendrix et l’Uni-Vibe
Encore une fois, c’est Jimi Hendrix qui figure parmi les premiers à l’utiliser, et notamment au festival de Woodstock. On l’entend par exemple particulièrement sur Voodoo Child et Star spangled banner, mélangé à la Fuzz et la wah-wah
Il est également prépondérant sur Hey Baby (New rising sun), aussi bien sur la version studio, qu’en live :
De même, très prononcé sur le final de Midnight (à partir de 2:24) :
De nombreux autres enregistrements de Jimi utilisent l’Uni-Vibe, comme par exemple Pali Gap ou Angel. Mais c’est surtout sur Machine Gun avec le Band of Gypsys que l’effet va devenir prédominant et emblématique :
Jimi Hendrix utilisait au maximum les possibilités des effets. La combinaison des ces innovations techniques et de sa créativité artistique a emmené la guitare électrique dans des territoires sonores jusqu’alors inexplorés. Aujourd’hui encore, la modernité de sa musique et le caractère hallucinant des sons qu’il arrivait à produire reste inégalés.
Robin Trower
Robin Trower, un des meilleurs héritiers du style hendrixien, reprend ce son caractéristique dans Bridge of sighs, qui se veut musicalement un hommage manifeste à Machine Gun. On entend clairement cette couleur typique de l’Uni-Vibe, et Trower restera tout au long de sa carrière, obsédé par atteindre cette sonorité hendrixienne ultime.
Doors
La rythmique funky de Peace Frog des Doors, sur Morrison Hotel en 1969, ressemble bien à de l’Uni-Vibe :
David Gilmour période 1971-1974
En 1973, Pink Floyd enregistre son chef d’oeuvre Dark side of the moon. David Gilmour y utilise l’Uni-Vibe sur deux morceaux : Breathe, en version rotation lente
et Any colour you like, en version rotation rapide
Deux exemples significatifs du son qu’on peut obtenir avec un Uni-Vibe. Mais les fabricants de pédales d’effets vont encore continuer à innover.
Le Phaser
Steve Hunter et Dick Wagner
La même année que l’album de Pink Floyd, Lou Reed part en tournée et enregistre un concert le 21 décembre qui sort deux mois plus tard sous le titre Rock N Roll Animal (► Ma chronique de l’album)
Steve Hunter et Dick Wagner, les deux guitaristes qui accompagnent l’ex-leader du Velvet Underground, jouent avec un son particulier, issu du Phaser MXR P100.
Comme son nom l’indique, l’effet Phaser joue directement sur la phase du signal, ce qui reste toujours dans le même périmètre de modulation du son que la cabine Leslie et L’Uni-Vibe. Mais alors que la cabine Leslie produisait l’effet Doppler de façon mécanique par la rotation du haut-parleur, le phaser le fait de façon électronique, directement sur le signal (ce qu’avait déjà commencé à faire l’Uni-Vibe).
Le rendu reste dans les mêmes couleurs sonores, mais avec un aspect peut-être encore plus “liquide”. C’est particulièrement frappant sur le passage rythmique du dernier morceau Rock N Roll :
Mais les solos ne sont pas en reste et gardent aussi cette intonation “liée” et fluide. Tout le morceau Heroin baigne dans cette ambiance tournoyante, aussi bien dans les arpèges rythmiques que dans les envolées lyriques en lead :
Eric Clapton en 1974
Et les reprises de vieux classiques du blues prennent parfois une tonalité nouvelle comme le prouve Eric Clapton avec Steady Rollin’ Man :
David Gilmour période 1975-1976
Et c’est encore David Gilmour qui va s’emparer de cet effet (dans sa version P-90), en remplacement de son Uni-Vibe à partir de 1975. Il l’utilise sur Shine on you crazy diamond : d’abord sur les quatre fameuses notes, appelées “Syd’s theme” (à 3:40) puis sur le troisième solo (à 7:19)
On l’entend également sur le riff et la guitare lead de Have a cigar :
Et aussi sur la rythmique funky du final de Shine on you crazy diamond :
Rolling Stones
Le plus grand groupe de rock du monde a toujours privilégié un son roots sans fioritures. Mais il a également souvent suivi les modes musicales et sonores. Durant les seventies, Ron Wood et Keith Richards utilisent massivement le phaser.
Par exemple sur l’album Black and blue en 1976 :
et sur le suivant, Some girls en 1978 :
Et même lorsqu’il s’agit de reprendre en live d’anciens morceaux comme Wild Horses (plutôt acoustique sur la version studio), ils en mettent à profusion :
Dire Straits en 1978-1979
Durant les premières années du groupe, David Knopfler, le frère de Mark, joue en concert sur un ampli Peavey Deuce VT qui comporte un phaser intégré. Plus de détails dans cet article d’Ingo Raven (en anglais)
On entend cet effet principalement sur deux morceaux (guitare rythmique) :
Down to the waterline
Once upon a time in the west
Le Flanger
Dans la seconde moitié des seventies, l’effet va encore s’accentuer un peu plus avec l’arrivée du flanger en version pédale pour guitariste. Le tournoiement du son obtenu la décennie précédente par du bidouillage en studio, devient à portée de main (ou plutôt de pied) et peut s’enclencher à loisir. Les artisans de la six-cordes ne vont pas s’en priver, et même en abuser légèrement…
David Gilmour période 1977-1979
C’est encore le guitariste de Pink Floyd qui met à l’honneur un des premiers modèles du genre, sortie fin 1976 : l’electric Mistress du fabricant Electro Harmonix.
L’effet est particulièrement notable sur plusieurs morceaux de son premier album solo en 1978 :
Mihalis (rythmique et solo) :
So Far Away (solo) :
Short And Sweet (riff principal et rythmiques) :
A noter que le guitariste utilisait également à l’époque un haut-parleur rotatif Yamaha (il passera à la marque Doppola dans les années 90). Sur Raise My Rent, on peut l’entendre sur les arpèges accompagnement, tandis que le flanger Electric Mistress est sur le solo (qui démarre à 0:58) :
Avec Pink Floyd, il l’utilise en live au cours de la tournée In the Flesh en 1977 sur Dogs et Pigs :
Et plusieurs morceaux sur The Wall baignent dans cette sonorité particulière, le plus notable étant Empty Spaces (canal droit à partir de 0:48) :
Tout comme Jimi Hendrix, David Gilmour a toujours cherché de nouvelles sonorités, et testé les nouveautés technologiques pour rajouter de l’expressivité à son jeu. Il a été un des premiers guitaristes à s’équiper d’un “Pedal Board” dès 1973, alors que jusque là, les guitaristes disposaient leurs pédales d’effets à même le sol. En 1977, il travaille avec son technicien Pete Cornish afin d’aboutir à un objet culte pour beaucoup de fans du guitariste :
L’artisan du son Pink Floyd reste à jamais associé à ses sonorités planantes et aériennes. Gilmour a su exploiter les effets avec mesure, sans excès, et toujours à propos pour souligner les mélodies et les ambiances des morceaux. Il est à ce titre un immense musicien et un des plus grands guitaristes, pas forcément sur le plan technique, mais sans aucun doute sur l’approche sonore de l’instrument.
Jimmy Page
Le guitariste de Led Zeppelin utilise un flanger sur le riff de Nobody’s Fault but Mine dans l’album Presence en 1976
Téléphone
En France le groupe phare du rock hexagonal sort son album Crache ton venin en 1979, et la couleur dominante des guitares n’échappe pas à la mode du flanger.
idem en concert :
Louis Bertignac et Jean-Louis Aubert continuent d’en utiliser dans leurs concerts actuels.
Le Chorus
A la fin des années 70 arrive l’effet qui va dominer la décennie suivante : le CHORUS. Difficile d’entendre une guitare durant les eighties qui ne soit pas ornementée de ce son typique. Des arpèges cristallins, renforcés par ce “liant”, voilà l’archétype des parties de guitares dans les années 80.
Police
Et quant on veut désigner le son du chorus, le plus parlant est de dire que c’est le “son Police”. Quasiment tous les morceaux de groupe sont avec du chorus.
D’autres exemples très significatifs :
Pretenders
Christopher Cross
U2
Cure
Robert Smith a beaucoup joué sur l’ampli Roland Jazz Chorus JC-120 qui intégrait l’effet chorus.
Dire Straits
Un ampli également utilisé par Mark knopfler sur le premier album de Dire Straits. Mais à la différence de Cure qui utilisait à fond les possibilités de l’ampli, l’effet est dosé très subtilement sur Sultans of swing, à peine perceptible :
A nouveau, le chorus sera utilisé sur d’autres morceaux, comme par exemple Why Worry, mais toujours avec parcimonie, juste une légère touche pour lier l’ensemble, mais sans en abuser comme l’ont pu faire d’autres guitaristes, jusqu’à ce que ça devienne indigeste.
En revanche, sur ce même album Brothers in arms, fleuron des années 80, et vitrine du nouveau support CD, Dire Straits a expérimenté un son où la guitare pilotait un synthétiseur, le synclaviar de la marque NED. Mark Knopfler utilisait une guitare spéciale, la Pensa-Suhr R-Custom qui dialoguait en protocole MIDI avec le synthétiseur.
L’effet sonore obtenu est à mi-chemin entre le flanger et le chorus, mais il s’agit bien réellement du son du synthétiseur, “joué” par la guitare :
D’autres guitaristes se sont essayés à la “guitare-synthé”, plus souvent dans le jazz, comme Pat Metheny, John McLaughlin, Al Di Meola… mais aussi dans la pop et le rock, notamment Eric Clapton sur l’album Behind the sun, avec le titre Never Make You Cry
Les années 80 resteront à jamais associées aux sons synthétiques et parfois un peu artificiels. Les années 90 sonneront le glas du trop plein d’effets et de surproduction, pour revenir à des sonorités plus organiques. L’avènement du grunge poussera de nombreux guitaristes à ressortir leur matériel vintage au milieu des nineties : bandes analogiques et amplis à lampe feront leur retour en grâce dans la dernière décennie du XXième siècle.
En résumé
Pour synthétiser, voici 5 vidéos qui reprennent les 5 grands effets évoqués dans cette chronique. Le rendu sonore est parfois similaire, et il n’est pas toujours aisé de les distinguer
Cabine Leslie
Uni-Vibe
Phaser
Flanger
Chorus
Les grands musiciens sont ceux qui ont su utiliser la technologie au service de la création, et ne se sont pas laissés emprisonner par les outils. Et très souvent, une bonne vieille guitare branchée directement dans un ampli, sans rien d’autre autour, c’est largement suffisant.
© Jean-François Convert – Avril 2020
Super article et en plus assez rare de lire des sujets abordant de cette façon les effets en français.
Merci.
J’étais persuadé que Police utilisait une Electric Mistress !
la mistress est beaucoup plus marquée, c’est vraiment l’effet flanger où le son « tourne ». Le son Police ets plus « chorus ». En revanche, je pense qu’Andy Summers utilise un flanger sur « Behind my camel », mais je ne suis pas sûr du modèle. Dans les années 80, c’est vraiment Boss qui avait le quasi-monopole des effets, Electro Harmonix était plus présent dans les années 70 il me semble. Puis ils sont revenus en force dans les années 90 avec le revival vintage (Kravitz, grunge, etc…)