Le 8 décembre 1967 arrivait dans les bacs ‘Their Satanic Majesties Request’, l’album le plus psychédélique des Rolling Stones.
Sommaire
Les Stones à la mode du moment
1967. L’année où le monde du rock a embrassé pleinement le psychédélisme. Bien sûr il y avait déjà eu des disques de psyché-rock depuis un an ou deux, mais l’année du Summer of love marque sans aucun doute l’apogée des couleurs chamarrées et de la musique qui part dans tous les sens. Nombreux groupes et artistes en activité à ce moment-là suivent le mouvement, et les Rolling Stones n’échappent pas à la règle. Si les Beatles ont voulu répondre au Pet Sounds des Beach Boys en sortant le fameux Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, alors les Stones rétorquent à leur tour aux Beatles avec Their Satanic Majesties Request.
Sauf que les pierres qui roulent sont moins aguerris au concept pop que les scarabées. Même si on a pu voir que l’opposition entre les deux groupes n’était pas aussi franche que l’affichait l’image officielle, il n’en demeure pas moins que les Stones sont avant tous taillés pour le blues, le Rhythm and Blues et le rock’n’roll. Qu’à cela ne tienne, comme ils le feront plus tard avec le country-rock, le reggae ou le disco, les 5 compères qui ont débuté au son de Chuck Berry et Howling Wolf plongent corps et âme dans l’euphorie psychédélique du moment : pochette en 3D (où on aperçoit les Fab Four !), déguisements de magiciens, décors de science-fiction, patchwork mystico-baroque… une démesure qu’on retrouve bien dans la playlist des vidéos, ainsi que dans la réédition 50ème anniversaire parue en 2017 :
Le coffret en format livre/disque contient l’album à la fois sur vinyle et CD, en versions mono et stéréo, mais sans bonus comme ça a été le cas sur toutes les rééditons du catalogue DECCA des sixties (exemples de Beggars Banquet et Let It Bleed), alors que les albums des seventies parus sur le label des Rolling Stones ont eu droit à des redditions largement augmentées (exemple de Goats Head Soup). Seule (et maigre) consolation, un livret conséquent et bien illustré :
Un album inégal…
On le sait, l’année suivante, les Stones reviendront au rock brut avec Beggars Banquet. Preuve qu’ils ne se sentaient pas forcément très à l’aise dans cette pop acidulée et colorée. L’album manque un peu de cohésion, d’une idée directrice et semble par moment proposer un catalogue de différents effets sonores disponibles à l’époque, en même temps qu’un éventail le plus large possible des instruments qu’on pouvait enregistrer alors.
Depuis Aftermath déjà, et ensuite Between The Buttons, Brian Jones avait démontré ses capacités de multi-instrumentiste. Ici encore il délaisse presque la guitare pour se consacrer au mellotron, à l’orgue, à la flûte, au saxophone, à la harpe et au dulcimer. C’est grâce à lui qu’on peut entendre toutes ces sonorités venues d’ailleurs qui accompagnent si bien les textes oscillant entre onirisme, fantasmagorie ou science-fiction, un thème très en vogue à l’époque. Dans l’avant-dernier titre, Mick Jagger nous emmène à « deux-mille années lumière de la terre », en direction d’Aldébaran (une étoile géante orangée, la plus brillante de la constellation zodiacale du Taureau, et la 13ᵉ étoile la plus brillante du ciel nocturne).
…mais avec des perles
Outre 2000 Light Years from Home et sa basse fantomatique, on cite souvent She’s A Rainbow, véritable hymne pop et parmi les chansons les plus célèbres des Stones (malheureusement devenue la bande son de pas moins de 7 spots publicitaires !), mais aussi l’ouverture Sing This All Together, dans la lignée de All You Need Is Love, ou encore In Another Land qui a la particularité d’être l’une des deux seules chansons du groupe composées par le bassiste Bill Wyman (l’autre étant Downtown Suzie, parue sur la compilation Metamorphosis en 1975), et la seule sur laquelle il assure le chant principal (avec en plus deux musiciens des Small Faces : Steve Marriott à la guitare et Ronnie Lane aux chœurs).
Mais au-delà de ces quatre morceaux les plus connus, l’album regorge de mélodies entêtantes (Gomper, On with the Show et sa voix à la Yellow Submarine) et de quelques riffs bien troussés, à l’instar des gimmicks électriques de Citadel et The Lantern ou le motif acoustique de 2000 Man. On peut finalement trouver dans chacune des chansons une accroche qui ne nous lâche plus et empêche le disque de tomber dans l’anecdotique.
Même s’il n’a pas l’envergure d’un Sgt. Pepper, l’innovation d’un Are You Experienced? ou la maitrise d’un Disraeli Gears, Their Satanic Majesties Request garde une certaine fraicheur et la naïveté d’un dessin d’enfant. Une démarche collage-origami expérimentale pas complètement finalisée mais avec tout plein de bonnes idées dedans. N’est-ce pas au final un peu l’esprit rock, et surtout celui des Rolling Stones ? Pas mal le foutoir, mais toujours jouissif à écouter, même 55 ans après sa sortie.
© Jean-François Convert – Décembre 2022