Il y a 55 ans sortait le premier album de Jimi Hendrix

Le 10 mai 1967 arrivait dans les bacs anglais ‘Are you experienced ?’, premier opus du trio The Jimi Hendrix Experience. Un disque qui a révolutionné la musique.

Cliquez sur la pochette pour lancer la playlist de l’album

Un ovni musical

Mai 1967. C’est l’effervescence du swinging London. Depuis quelque temps déjà, la culture en général et la musique en particulier connaissent une révolution sans précédent. Les idées novatrices fusent de toute part et quasiment chaque semaine voit débarquer un nouvel artiste, un nouveau style, de nouveaux horizons. Néanmoins, ce 12 mai, on est encore aux prémices de l’explosion artistique. Les Beatles n’ont pas encore sorti Sgt. Pepper, ce ne sera que 3 semaines plus tard, le Summer of love n’a pas encore débuté, ce sera un mois après… bref on n’est pas encore au cœur du cyclone. Certes, les Fab Four ont déjà largement amorcé un virage psychédélique et expérimental avec Revolver, mais ce qui va arriver avec ce guitariste venu des Etats-Unis va dépasser tout ce qui a été entendu auparavant.

Lennon lui-même en reste bouche bée à la première écoute, et il s’empresse de le faire entendre à ses comparses. Les 4 de Liverpool iront voir Jimi Hendrix au Saville Theatre de Brian Epstein dès janvier 1967 et y retourneront le 4 juin avec une énorme surprise à la clé. Et c’est bien ce qui caractérise d’emblée le divin gaucher : un musicien hors-norme qui bluffe tout le monde, décloisonne les genres musicaux et emmène la guitare sur des territoires jusqu’alors inexplorés.

J’ai essayé de synthétiser les différents éléments qui font encore aujourd’hui de Jimi Hendrix le guitariste numéro 1 de l’histoire du rock. C’était il y a un an et demi, pour les 50 ans de sa disparition :

► Ma chronique sur franceinfo

Un premier album explosif

Ces innovations musicales, sonores, artistiques se révèlent dès le premier opus qui sort ce 12 mai 1967. Sons de guitare inouïs pour l’époque, bandes à l’envers (sans doute inspirées par Revolver), fusion de blues, de rock, de soul, et de psychédélisme, utilisation de la stéréo comme un élément à part entière… Are you experienced ? semble condenser tout ce qui va représenter la scène musicale de la seconde moitié des sixties.

Repéré à l’été-automne 1966 par Chas Chandler, bassiste des Animals reconverti en manager, Jimi Hendrix accepte de traverser l’Atlantique à une seule condition : rencontrer Eric Clapton. Celui qui à l’époque est surnommé le Dieu de la guitare va rapidement prendre une énorme claque en entendant jouer le gaucher américain. Et la météorite Hendrix va tout balayer sur son passage.

scène tirée du biopic Jimi, All Is By My Side (non validé par la famille Hendrix)

Dès le morceau d’ouverture Foxy Lady (orthographié sur certains pressages Foxey lady), le divin gaucher annonce la couleur : c’est un album où il y aura du larsen, de la sauvagerie, et où la guitare sera érigée en symbole sexuel manifeste. Les titres suivants enchainent sans temps mort et infligent d’assourdissantes déflagrations dont l’auditeur de 1967 va avoir du mal à se remettre

Même si aujourd’hui on peut avoir l’impression d’avoir entendu ce type de son des milliers de fois, il faut s’imaginer l’effet de bombe que cela a provoqué à l’époque. Rappelons-nous qu’en France à cette période, ce qui passait à la radio en gros c’était Cloclo et consorts… Alors forcément lorsque Jimi a déboulé ça a dû être un sacré choc ! Un choc qui ne se limite pas à l’Europe.

« La première fois qu’on a entendu ‘Purple Haze’ à la radio avec mon frère, on s’est dit : mais bon sang, qu’est-ce que c’est que ça ?! c’était complétement sauvage »

Stevie Ray Vaughan

À noter que sur ces premières versions live de Purple Haze, Jimi n’utilisait pas l’effet Octavia, alors qu’il y a en a bien un sur la version studio, durant le solo.

Et d’ailleurs le morceau ne sort d’abord qu’en single et ne figure pas sur l’album. Du moins sur l’édition britannique et internationale qui sort ce 12 mai 1967. En revanche il apparaitra sur l’édition américaine le 23 août, ainsi que certaines rééditions ultérieures ce qui a pu porter à confusion.

Plusieurs versions de l’album

La discographie de Jimi Hendrix est un imbroglio sans fin et il est souvent difficile de s’y retrouver (► lire ma chronique à ce sujet). Afin de clarifier le contenu de Are you experienced ?, voici les différentes tracklists de l’album, selon les éditions :

édition anglaise

  1. Foxy Lady
  2. Manic Depression
  3. Red House
  4. Can You See Me
  5. Love or Confusion
  6. I Don’t Live Today
  7. May This Be Love
  8. Fire
  9. Third Stone from the Sun
  10. Remember
  11. Are You Experienced?

édition américaine

  1. Purple Haze
  2. Manic Depression
  3. Hey Joe
  4. Love or Confusion
  5. May This Be Love
  6. I Don’t Live Today
  7. The Wind Cries Mary
  8. Fire
  9. Third Stone from the Sun
  10. Foxy Lady
  11. Are You Experienced?

Réédition

  1. Foxy Lady
  2. Manic Depression
  3. Red House
  4. Can You See Me
  5. Love or Confusion
  6. I Don’t Live Today
  7. May This Be Love
  8. Fire
  9. Third Stone from the Sun
  10. Remember
  11. Are You Experienced?
  12. Hey Joe
  13. Stone Free
  14. Purple Haze
  15. 51st Anniversary
  16. The Wind Cries Mary
  17. Highway Chile

On voit que le marché américain a clairement misé sur les singles, surtout en sortant l’album en août, après le tsunami du festival de Monterey en juin. Beaucoup de gens pensent ainsi souvent à tort que ce premier album studio de Jimi Hendrix contient les iconiques Hey Joe, Purple Haze et The wind cries mary. Mais en réalité, ces trois tubes sont sortis en singles avec chacun une face B (respectivement Stone Free, 51st Anniversary et Highway Chile). La réédition de l’album sortie en 1995 (avec la pochette américaine) contient les 11 titres du disque originel de 1967, complétés par les six morceaux des singles avec leurs faces B, ce qui permet d’avoir l’ensemble des enregistrements des débuts du Jimi Hendrix Experience.

sur la version studio de Hey Joe, les chœurs sont assurés par The Breakaways, groupe vocal féminin anglais fondé en 1962

Outre la disparité des pochettes anglaise et américaine, la France se démarque elle aussi en proposant une imagerie encore différente mais quand même bien dans l’ambiance psychédélique alors en vogue. Le disque est distribué dans l’hexagone par Barclay :

Un deuxième guitariste ?

Au moment de sa sortie, plusieurs critiques rock se sont demandés si les crédits de pochette n’avaient pas omis un quatrième membre du groupe, car beaucoup entendaient un deuxième guitariste… Sans doute qu’en 1967, le processus d’overdubs n’était pas encore complètement rentré dans les usages. Pourtant les Beatles le pratiquaient déjà sous l’appellation « réduction ». Mais le fait qu’un même guitariste joue lui-même plusieurs parties de guitares n’était pas si courant, on était avant Led Zeppelin par exemple…

Quoiqu’il en soit, Jimi joue évidemment toutes les pistes de guitare qu’on entend sur le disque, et plusieurs morceaux contiennent effectivement une guitare rythmique et une guitare solo : Foxy Lady, Love or confusion, Fire, May this be love, Are you experienced?, Remember, I don’t live today, ainsi que les singles Hey Joe, The wind cries mary. En revanche, Manic Depression, Third Stone from the Sun, Stone free, 51st Anniversary et Highway chile sont joués à une seule guitare. Pour Purple Haze, difficile de dire si l’effet Octavia est sur une guitare supplémentaire ou sur la principale et simplement pan-poté sur un canal.

Quant à Third Stone from the Sun dont le titre témoigne de la passion de Jimi pour le cosmos et la science-fiction (« la troisième pierre à partir du soleil » soit… la terre), il est le morceau le plus expérimental de l’album. Une seule guitare (à la fin avec de la fuzz) mais des overdubs de la voix de Jimi dont la vitesse des bandes a été ralentie.

C’est une maison rouge adossée à la colline

Enfin, Red house est un cas à part… Il n’y a pas d’overdub et pourtant bien deux guitares sur ce morceau. Mais la deuxième est tout simplement tenue par le bassiste Noel Redding. Sauf qu’en réglant l’égalisation à fond sur les graves, sa six-cordes sonne quasiment comme une basse, tout en lui permettant de jouer un shuffle typique blues qu’il aurait eu plus de mal à exécuter sur une basse. Notons au passage que Noel Redding était à la base guitariste.

De son côté, Jimi utilise sa vieille Höfner Club 50. L’instrument est dans un tel état que les micros tiennent avec du scotch ! Ça n’empêche nullement le divin gaucher de délivrer un son bluesy en diable et une performance inspirée où transpirent ses influences des 3 kings.

Si Maxime Le forestier n’avait pas encore hébergé dans sa maison bleue (ce sera en 70-71) d’une colline de San Francisco, Jimi Hendrix lui nous parlait de cette maison rouge, située vraisemblablement elle aussi sur les hauteurs de la ville, sans doute dans le quartier de Haight-Ashbury, haut lieu du mouvement flower power. Et le texte baigne dans cette ambiance hippie et sa libération sexuelle, puisque l’auteur y déclare que « si sa compagne ne l’aime plus, alors sa sœur s’en chargera ! »

© Denys Legros

Un formidable songwriter

La science-fiction, le mouvement hippie, l’amour libre, le mysticisme, les « expériences » de toutes sortes (« pas forcément défoncé » comme il le précise dans le morceau-titre), des thèmes qui inspirent le Jimi Hendrix parolier. Car si on ne retient souvent que le talent guitaristique de l’artiste, on oublie fréquemment qu’il était aussi un songwriter de la trempe des Dylan ou Lennon-McCartney, des auteurs qu’il adulait, et dont il s’inspirait.

Aux côtés des fougueux Fire, Can you see me ou Foxy lady, il faut savourer les deux très belles ballades que sont May this be love et surtout The wind cries Mary, qui annonce le futur chef d’œuvre Little wing.

Et même pour l’unique morceau qu’il reprend, Jimi arrive à se le réapproprier totalement, si bien qu’on pense souvent à tort qu’il est de lui : quel apprenti guitariste ne s’est pas exercé sur Hey Joe, « de Jimi Hendrix » ? Même si l’origine de la chanson reste encore un peu floue, Maxime Pambrun m’a apporté des éclairages pas plus tard qu’avant-hier. Billy Roberts, Dino Valenti, Len Partridge, Tim Rose… ► plus d’infos sur Wikipedia

Are you experienced? constitue ainsi une œuvre totalement maitrisée de bout en bout par un musicien visionnaire. De l’utilisation révolutionnaire des techniques d’enregistrement en studio aux limites constamment repoussées au niveau de la guitare, en passant par des compositions devenues des références et une écriture inspirée, Jimi Hendrix ouvrait sa discographie en étant déjà au summum.

Un premier album d’une courte mais fulgurante carrière pour un artiste de génie. Un album sorti il y a tout juste 55 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Mai 2022

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3 commentaires sur “Il y a 55 ans sortait le premier album de Jimi Hendrix

  1. merci encore belle chronique

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  2. Belle chronique pour un bel album.

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    1. merci 🙂

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