Le 25 novembre 1977 arrivait dans les bacs ce cinquième album studio d’Eric Clapton, l’un des plus connus de sa carrière.
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Un « dieu » à la « main lente » ?
Quand cet album Slowhand sort en novembre 1977, il y a déjà plusieurs années que Clapton n’est plus surnommé ‘God’ comme dans les sixties. Le guitar-hero flamboyant des Yardbirds, des Bluesbreakers, de Cream, Blind Faith et des Dominos est passé depuis 461 Ocean Boulevard en 1974 à une musique tranquille et sans esbrouffe. Même sa reprise de Cocaine sonne encore plus laidback que l’original de JJ Cale ! Des ballades, du reggae, un soupçon de country… finis les longs solos de blues psychédélique. Alors, le terme de « main lente » pourrait renvoyer à ce nouveau style que le guitariste affiche désormais.
Sauf que le surnom de ‘slowhand’ lui a été donné au temps des Yardbirds. Il s’agit d’un jeu de mots avec « slow handclapping » signifiant « applaudissement lent ». Cette pratique était utilisée par le public quand il arrivait à Clapton de changer une corde cassée sur scène. Les spectateurs devaient alors prendre leur mal en patience et attendre avant que le spectacle ne reprenne. Pour patienter ils applaudissaient lentement, une sorte d’encouragement au guitariste pendant qu’il s’affairait à remplacer sa corde. C’est ainsi que le jeune Clapton (il n’avait que 19 ans en 1964) fût surnommé ‘slowhand’ par le manager Giorgio Gomelsky (d’autres sources disent par son assistant Hamish Grimes).
Embed from Getty ImagesEric Clapton en 1964 avec les Yardbirds © Jeremy Fletcher / Redferns
Ce titre d’album peut ainsi se lire comme à la fois une référence au passé et une rupture avec les années « guitar-hero » de la deuxième moitié des sixties.
Laidback et tubes
Musicalement, c’est un disque dans la lignée des précédents. Après There’s one in every crowd en 75 et No reason to cry en 76, le guitariste poursuit sur cette voie JJcalienne. Des mélodies simples, des chansons assez courtes, la guitare pas toujours forcément en avant, et une atmosphère globale très américaine, notamment avec deux reprises country : We’re all the way de Don Williams et May you never de John Martyn.
Et côté reprise, l’album s’ouvre sur ce qui deviendra un de ses plus grands tubes : Cocaine. Clapton avait déjà repris After Midnight de JJ Cale en 1970 sur son premier album solo éponyme, et il réitèrera en 1978 avec I’ll make love to you anytime sur Backless. Mais avec Cocaine, il s’approprie réellement le morceau, au point qu’on croit souvent qu’il est de lui.
Retrouvez ma chronique « à la loupe » sur la chanson :
Mais Cocaine ne va pas être le seul succès de l’album. Le countryesque Lay Down Sally devient lui aussi un incontournable en concert, et surtout la ballade romantique Wonderful Tonight reste encore aujourd’hui une des chansons les plus célèbres de Clapton. Il l’a écrite très exactement le 7 septembre 1976 en attendant que sa compagne Pattie Boyd se prépare avant d’aller assister à la fête annuelle en hommage à Buddy Holly, organisée par Paul et Linda McCartney. Le patchwork de la pochette intérieure (comportant des blagues en français !), réalisé par Clapton lui-même (avec l’aide de Pattie Boyd et Dave Stewart crédité comme ‘El & Nell Ink’), montre entre autres une photo où Eric embrasse sa chère et tendre Pattie. À cette époque, il n’était plus torturé comme du temps de Layla, mais il ne l’avait pas encore épousée. Ce ne sera le cas qu’en 1979.
La première fois que j’ai entendu Wonderful Tonight, c’était lors du concert donné à Wembley le 11 juin 1988 en l’honneur des 70 ans de Nelson Mandela (alors encore emprisonné), où Clapton accompagnait Dire Straits. Vous ne serez pas surpris si je vous dis que c’est ma version préférée :
Un guitariste qui n’a pas perdu la main (même lente)
En dépit de cette image anti-guitar-hero affichée sur ses albums studio, Clapton n’en demeurait pas moins un guitariste au jeu lumineux et parfois épique, surtout sur scène, comme en témoignent les concerts de l’époque, ou par exemple le magnifique live E.C. Was Here en 1975. Même en studio, il pouvait lui arriver de laisser ressurgir quelques fulgurances. Sur Slowhand, même si elle est discrète, la guitare sait aussi être percutante. Le solo doublé sur Cocaine est une petite merveille, la guitare lead sur Next time you see her semble ne jamais vouloir se taire, les phrases de Lay Down Sally sont toutes en subtilité, et le vieux blues Mean Old Frisco d’Arthur Crudup avait déjà été pressenti sur ce qui aurait dû être le deuxième album des Dominos. Preuve qu’en 1977, Clapton n’avait pas complètement tourné le dos à son passé de guitariste bluesy.
Mais pour les aficionados de guitare, ce sont surtout deux morceaux qui retiennent l’attention :
- d’abord le long (presque 9 minutes) The Core et son riff imparable où Blackie dialogue avec le saxophone de Mel Collins (qui jouera plus tard avec Dire Straits et King Crimson) et où Clapton partage le chant avec Marcy Levy (qui avait déjà pris le lead dans Innocent Times sur No reason to cry). La chanson a été jouée en live sur la tournée 1978 et également lors de récents concerts, notamment en 2018 avec Marcy Levy venue rejoindre Clapton sur la scène de Hyde Park :
- Et en guise de final de l’album, Peaches and Diesel, un instrumental bâti autour de trois parties de guitare, co-signé avec le producteur-compositeur-arrangeur Albhy Galuten. Comme si Clapton avait voulu mettre la guitare à l’honneur pour refermer son disque, et rappeler qu’il restait toujours et avant tout un maitre de la six-cordes. Le morceau a été joué en live sur la tournée 1978 :
Belle façon de terminer un album à la « main lente », mais la main de « Dieu » tout de même… Un album qu’on ne saurait réduire à ses trois tubes, et qui regorge d’autres pépites, à redécouvrir. Un album sorti il y a tout juste 45 ans aujourd’hui.
© Jean-François Convert – Novembre 2022