Il y a 30 ans disparaissait Stevie Ray Vaughan

Le 27 août 1990, le bluesman texan perdait la vie dans un accident d’hélicoptère.

Stevie Ray Vaughan et son frère Jimmie, lors de son dernier concert, le 27 août 1990 à Alpine Valley
© Robert Knight

Cela aurait dû être Clapton…

Août 1990 : Stevie Ray Vaughan est en pleine renaissance depuis l’année précédente avec la sortie de son album In step. Après des problèmes de drogue et d’alcool au milieu des années 1980, puis cure de désintoxication en Georgie à partir de 1986, le bluesman texan a fait un retour un grâce en 1989. In step a remporté le Grammy Award du meilleur disque de blues contemporain, et Vaughan est en tournée à guichets fermés. En cette fin d’été, il joue avec plusieurs autres artistes, et notamment Eric Clapton, à Alpine Valley, dans le Wisconsin. Pour repartir, 4 hélicoptères attendent les équipes. Le texan est pressé de rentrer à Chicago, et Clapton lui cède sa place dans le sien aux côtés de son staff. A cause du brouillard, l’engin s’écrase près d’East Troy, sur une piste de ski à quelques centaines de mètres du lieu du concert.

Stevie Ray Vaughan, Phil Palmer, Jimmie Vaughan, Buddy Guy, et Eric Clapton, sur scène à Alpine Valley, le 27 août 1990
© Robert Knight

Stevie Ray Vaughan a connu une carrière relativement courte (à peine une dizaine d’années de célébrité) mais a largement contribué au renouveau du blues dans les années 1980. Il est considéré comme l’un des plus brillants guitaristes de l’histoire de la musique.

© Official SRV Facebook Page

Le retour du blues sur le devant de la scène

Au début des années 80, après la vague Punk, la New Wave et la Cold Wave ont pris les feux de la rampe. Le disco s’éteint lentement, le metal donne quelques signes de balbutiements, et le hard rock et le rock à l’ancienne ne sont plus vraiment au goût du jour, à part quelques exceptions comme AC/DC ou Bruce Springsteen.

Après le British Blues Boom dans les sixties et la redécouverte d’authentiques bluesmen à la fin des années 60, une deuxième vague de renaissance du blues va avoir lieu, cette fois en provenance du Texas…

Stevie Ray Vaughan sur la scène du Club « After Hours », Austin (Texas), le 25 Septembre 1977 © DR

Élevé au blues des 3 kings et au rock de Jimi Hendrix, Stevie Ray Vaughan a re-popularisé un genre musical jugé « pour les vieux ». Après une multitude de groupes dans les années 70 (entre autres : Liberation, Blackbird, Krackerjack, The Cobras, et enfin Triple Threat Revue avec la chanteuse Lou Ann Barton) il se lance en power trio en 1978 en fondant Double Trouble avec le batteur Chris Layton et le bassiste Tommy Shannon, qui avait joué quelques années plus tôt avec Johnny Winter.

« …Il y a au Texas un jeune guitariste nommé Stevie Ray Vaughan qui va mettre tout le monde d’accord… »

Billy Gibbons (ZZ Top)
Double Trouble en 1983. De gauche à droite : Chris Layton, Stevie Ray Vaughan, et Tommy Shannon
© Don Hunstein / Domaine public

Après un passage remarqué au festival de Jazz de Montreux, le trio enregistre son premier album Texas flood, son meilleur à mon goût : live en studio, en deux jours (sauf pour les vocaux), aucun overdub de guitare, un son brut sans fioritures, qui restitue bien le jeu que le guitariste déploie sur scène

Pour l’anecdote, c’est John Hammond Jr (également à l’affiche du Festival) qui a transmis les bandes du groupe à son père J. Hammond Sr, et ce dernier a signé Double Trouble chez CBS.

Le groupe en studio avec J. Hammond Sr © DR

Mais même si Texas Flood est un excellent album, son succès hors des contrées texanes va surtout être dû à un autre facteur…

La célébrité grâce à David Bowie

Parmi le public de Montreux, David Bowie et Jackson Browne assistent subjugués à la performance de Stevie. Browne lui propose gratuitement son propre studio pour enregistrer Texas Flood, et Bowie lui demande de jouer les parties de guitares sur son prochain disque.

David Bowie, Stevie Ray Vaughan et Nile Rodgers © DR

Produit par Nile Rodgers, Let’s Dance offre à Vaughan une visibilité internationale, et le monde entier découvre ce jeune texan au toucher inimitable, quelque part entre Albert King et Jimi Hendrix.

Bowie lui propose même de l’emmener avec lui en tournée, mais sans Double Trouble. Stevie préfère rester avec son groupe et décline l’offre. Peu importe, sa carrière est lancée.

amusant de voir Bowie mimer le solo joué par Vaughan !

Le fils spirituel de Jimi Hendrix

Si Vaughan arrive à élargir son audience en dehors des puristes du blues, c’est parce qu’il embrasse une culture musicale bien plus large : rock, funk, jazz, soul, boogie… un melting-pot qui évoque immanquablement l’une de ses idoles : Jimi Hendrix. A l’instar du maître, Stevie fusionne de nombreux styles et arrive ainsi à séduire plusieurs publics.

Dès le premier album, un titre comme Testify sonne hendrixien en diable, avec son fameux accord de neuvième augmentée, typique du divin gaucher, ou ses arabesques dont le Voodoo Chile était aussi adepte.

De même, la superbe ballade Lenny (dédiée à sa première femme Lenora Bailey) baigne dans une ambiance que n’aurait pas renié Jimi : la guitare mêle habilement rythmique et solo, accompagnement et mélodie, accords et ornements. Sur ce titre, Stevie joue sur une Stratocaster rouge ambré au manche en érable, surnommée « Lenny ». Il a joué ce morceau pour la dernière fois le 13 mai 1988, après avoir divorcé d’avec Lenora.

La chanson Life witout you qui clôt le troisième album de Double Trouble Soul to soul a elle aussi des accents à la Jimi. Une structure qui n’est pas sans rappeler Bold as love : la rythmique soul typique dans le style de Curtis Mayfield, suivie du solo bien gras pour terminer. En concert, Stevie faisait souvent durer le morceau autour des 10 minutes.

Et sur le deuxième opus Couldn’t stand the weather, le guitariste texan franchit un palier supérieur en matière d’hommage hendrixien en osant s’attaquer à l’intouchable : une reprise de Voodoo Chile (slight return)… Bien qu’il soit impossible d’égaler l’intensité d’Hendrix, Vaughan s’en sort plus qu’honorablement, et ses versions en concert ont régulièrement enflammé l’ambiance dans le public.

Stevie Ray Vaughan reprenait aussi l’instrumental Third stone from the sun, parfois couplé avec soit Testify, soit Little wing. Il faisait subir les pires outrages à sa Stratocaster, dans le plus pur style du divin gaucher.

Un guitariste phénoménal

Le jeune Stevie a appris la guitare en suivant les pas de son frère aîné Jimmie et en écoutant inlassablement tous les grands maîtres de la six-cordes : d’Albert King à Otis Rush, de BB King à Buddy Guy, de Jimi Hendrix à Eric Clapton.

Ce dernier avait d’ailleurs été réellement impressionné par le texan. Lors de ce fameux dernier concert à Alpine Valley le 27 août 1990, Clapton est en coulisses avec Buddy Guy et lui demande :

« …Comment puis-je passer après ce gars là… »

Eric Clapton 
Stevie Ray Vaughan, Phil Palmer, Jimmie Vaughan, Buddy Guy, et Eric Clapton, sur scène à Alpine Valley, le 27 août 1990
© Robert Knight

 « …fais simplement de ton mieux.. »

Buddy Guy

Il avait eu la chance de jouer avec nombre de ses mentors :

Outre les maîtres du blues et Clapton, Vaughan avait aussi ferraillé le manche avec d’autres grands guitaristes, comme par exemple Jeff Beck ou Jeff Healey

Sur cette dernière vidéo avec Jeff Healey , on voit qu’il joue sur une Strato avec un manche pour gaucher (tête inversée). Il expliquait qu’en effet il avait testé de jouer sur des guitares pour gaucher en inversant les cordes, afin de se retrouver dans une position similaire à celle d’Hendrix (qui lui, étant gaucher, jouait sur des guitares de droitier). Et il avait constaté que la tension des cordes était différente, la sensation de jeu également, et que cette configuration particulière influait sur le son, le toucher, le style.

Stevie sur scène à Rotterdam, le 19 Juin 1988, avec une Strato équipée d’un manche pour gaucher

Même s’il n’avait pas conservé le manche inversé, il avait installé un chevalet pour gaucher sur sa Stratocaster fétiche, la « number one ». Une guitare de 1959, dont le corps usé avait quasiment perdu toute sa finition sunburst

Stevie Ray Vaughan
Stevie Ray Vaughan sur sa Stratocaster de 1959 et son chevalet pour gaucher, avec la barre de vibrato située en haut

Toujours dans les pas de Jimi, il avait aussi l’habitude de s’accorder un demi-ton en dessous de la normale, soit en Mib au lieu du Mi classique. On parle souvent du fort tirant de ses cordes, mais il faut relativiser du fait de cet accordage qui forcément diminue la tension. Il pouvait ainsi faire des bends de 2 tons sans casser systématiquement. Et quand cela lui arrivait quand même, cela ne l’empêchait pas de continuer à jouer…

Une maîtrise incomparable ou comment rester détendu en toute circonstances ! La grande classe.

Stevie Ray Vaughan a souvent eu l’occasion de s’exprimer sur son jeu, ses influences : que ce soit à propos de cette attaque inimitable, ou ces fameux shuffles en arrière du temps, presque décalés, ses sonorités à la fois feutrées et stridentes, son groove et sa gestion du contretemps… maints aspects d’une façon de jouer caractéristique qui permettait de l’identifier instantanément. Il a aussi démontré qu’il pouvait être à l’aise aussi bien sur électrique que sur acoustique :

Petit florilège

Pour terminer, quelques-uns de mes morceaux préférés de Stevie, outre ceux déjà cités dans les paragraphes précédents.

Mary had a little lamb

Issu du premier album Texas Flood en 1983, cette reprise de Buddy Guy est un sommet de nonchalance funky. Un riff qui groove, un son crunchy, un solo « so tasty », tout est parfait dans ce morceau.

Texas Flood

Le morceau-titre du premier album est un modèle du genre. Le guitariste arrive à renouveler le blues, tout en synthétisant les phrasés emblématiques de ce style musical. Une façon de tirer les cordes comme s’il n’y avait pas de limite (à 3:18) ou d’en tordre plusieurs simultanément dans des bends hallucinants (à 3:33), des solos entre sauvagerie brute et mélodie plaintive.

Couldn’t stand the weather

Encore un exemple d’utilisation parfaite de la syncope, avec ce mélange de blues, de funk, et de soul. Le son de la guitare porte une nouvelle fois la patte Stevie, instantanément reconnaissable. Le solo ne cherche pas à en mettre plein la vue, mais cette attaque des cordes reste inimitable.

Tin Pan Alley

Ce blues crépusculaire à propos d’un lieu mythique de l’histoire de la musique me donne des frissons à chaque écoute. Tout l’art de Vaughan est de se contenir et de ne jamais exploser. Alors qu’un guitariste classique aurait à un moment ou un autre enclenché une saturation quelconque avec appui de la caisse claire marquée, au contraire le trio Double Trouble reste en permanence sur le fil de la subtilité, tout en délivrant une intensité rare.

Stevie a joué ce morceau plusieurs fois en concert, notamment avec Johnny Copeland, tandis que la version studio a été utilisée dans la bande son du film Romuald et Juliette de Coline Serreau (1988).

Tightrope

Encore un riff très soul-funk, et un solo qui fait rugir la Tube Screamer. A la différence des premiers albums, In step comporte quelques overdubs, et ce titre en fait partie : on distingue bien la guitare rythmique et la guitare solo.

Little wing

Joué régulièrement en concert (et parfois enchaîné avec Third stone from the sun) ce morceau de Jimi a également été enregistré en studio par Stevie. Mais cette version n’est parue que sur l’album posthume The sky is crying, sorti en 1991. Le texan choisit de rester en instrumental, et alterne les ambiances feutrées (dans le même esprit que Tin Pan Alley) avec celles plus rugueuses, quand le son de la guitare est coloré par la Tube Screamer.

L’original du Voodoo Chile reste un monument, mais Stevie Ray Vaughan a su lui donner sa patte avec ce côté légèrement ternaire, et une couleur très bluesy.

Riviera paradise

Pour le dernier morceau du dernier album paru de son vivant, Stevie Ray Vaughan nous laisse un petit bijou entre jazz et blues, qu’il dédie à tout ceux qui vivent dans la souffrance et la dépendance aux drogues et à l’alcool.

Pour se mettre dans une ambiance particulière, il demande à ce que toutes les lumières du studio soient baissées au maximum. Lorsque le groupe termine la dernière note du morceau, il reste moins de cinq secondes sur la bande d’enregistrement… l’ingénieur du son a du avoir très chaud !

En concert, il arrivait à Stevie de coupler ce titre avec Lenny, comme par exemple sur cette version, d’ailleurs jouée sur la guitare du même nom :

Un dernier morceau qui clôt une belle discographie, bien qu’écourtée prématurément. Le 27 août 1990, quatre ans jour jour après le décès de son père, Stevie Ray Vaughan est parti rejoindre Jimi Hendrix, les 3 Kings et tous les grands bluesmen qu’il adulait. C’était il y a tout juste 30 ans.

© Denys Legros

© Jean-François Convert – Août 2020

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5 commentaires sur “Il y a 30 ans disparaissait Stevie Ray Vaughan

  1. Un monstre de la musique, pas de la guitare ni du blues, un illuminé qu’a donné son âme à l’art pour nous le transmettre.
    Merci pour cet article qui laisse transparaître tout cela.

    1
  2. Merci pour ce superbe article complet 😉

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  3. Bravo pour cet article complet, 30 ans déjà qu’il nous a quitté c’est ouf !!!!!

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    1. Merci infiniment. J’ai beaucoup appris sur ce guitariste exceptionnel grâce à vous

      1

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