‘Exile on Main Street’ des Rolling Stones fête son demi-siècle

Le 10 mai 1972 arrivait dans les bacs ce dixième album des Rolling Stones. Un double LP, considéré comme un des plus grands disques de l’histoire du rock.

Décrié à sa sortie, encensé plus tard

Keith Richards racontait dans une interview : « quand ‘Exile on main Street’ est sorti, la presse l’a descendu en flèche, comme quoi on tournait en rond et qu’on faisait toujours la même chose. Et puis quelques années plus tard c’est devenu le plus grand album de rock ou je ne sais trop quoi. Alors, vous savez les critiques… »

Keith Richards sur la scène du Hollywood Palladium (Los Angeles) en juin 1972 © Barry Schultz

Effectivement, même s’il n’a pas fait l’unanimité à sa sortie il y a 50 ans, ce double album est aujourd’hui souvent cité comme l’un des meilleurs des Stones, sinon leur meilleur, et l’un des plus grands disques de toute l’histoire du rock. En tous les cas, il constitue avec Beggars banquet, Let it bleed et Sticky fingers ce qu’on appelle communément le carré d’or du plus grand groupe de rock’n’roll. Pour ma part je ne manque jamais d’y ajouter le fabuleux live Get Yer Ya-Ya’s Out ! (situé chronologiquement juste au milieu) pour obtenir la quinte flush royale incontournable.

Peu de morceaux connus

Paradoxalement, si cet album est souvent cité comme référence, il ne contient quasiment aucun « tube ». Tout au plus Tumbling dice et Happy sont devenus des classiques en concert, mais il serait exagéré de dire qu’ils figurent parmi les morceaux « très connus » du groupe. C’est d’ailleurs ce que certains reprochent à cet album : peu de chansons sortent en exergue, et on a souvent du mal à en citer un titre si on n’est pas spécialiste des Stones.

Quant au titre, il fait référence à l’exil fiscal des musiciens venus se « réfugier » dans le sud de la France, plus précisément à la Villa Nellcote, manoir construit à la Belle Époque sur un promontoire surplombant la mer à Villefranche-sur-Mer, sur la Côte d’Azur. Et si certaines rumeurs ont circulé affirmant que Jim Morrison serait à l’origine du nom « Exile on Main Street », ce vieux pirate de Keith dément formellement en qualifiant cette légende de « bullshit story » :

Le plus américain des albums des Stones

À la fois en villégiature et en sessions d’enregistrement, le groupe anglais prend son temps, passe des heures a jammer, à enregistrer, à écrire et composer, à tester des sons… beaucoup de mythes ont été écrits sur ces fameux mois passé à la Villa Nellcote. Le photographe français Dominique Tarlé venu au départ passer un après-midi pour quelques photos y est finalement resté 6 mois et a vécu l’expérience de l’intérieur. Sex drugs and rock’n’roll ? Oui forcément un peu. Mais peut-être pas tant que ça. Tarlé explique notamment que tous les matins à 7h, Keith s’occupait de son fils Marlon en véritable papa poule. Le rockeur cradingue était aussi prompt à boire du Jack Daniels qu’à donner le biberon ou promener son fils de 3 ans en poussette.

► Un livre sorti récemment relate ce « mythe » de la Villa Nelcote.

© Denys Legros

Bien qu’enregistré en grande partie en France (l’album a été terminé à Los Angeles), Exile on main street est sans doute le plus américain des disques des Stones. En tout cas celui qui sonne le plus comme s’il avait été enregistré à Memphis ou Chicago. Pas mal de cuivres sur plusieurs morceaux (Loving cup, Rocks off, Casino boogie, Rip this joint, Sweet virginia, Let it loose, All Down The Line…) des influences southern-soul évidentes, des couleurs country parfois avec la pedal steel d’Al Perkins (qui à la même époque jouait dans le groupe Manassas) sur Torn and Frayed.

Et bien sûr du blues, encore et toujours. Un vrai disque des Stones n’en est pas un s’il n’y en a pas. Shake Your Hips de Slim Harpo et son groove caractéristique rappelle inévitablement cette ambiance moite et râpeuse à la John Lee Hooker. Un rythme que ZZ Top reprendra l’année suivant dans La Grange.

Mick Taylor discret

En revanche, on sent une volonté, assumée ou non, de minimiser les solos de guitare. Dès le premier morceau Rocks off au riff typique stonien, une timide guitare lead apparait à la fin en plus des deux autres, mais plutôt faible dans le mix et rapidement masquée dans le fondu de sortie. Le reste de l’album reste à cette image, avec peu d’interventions mises en avant de Mick Taylor, comme cela pouvait l’être dans Sticky fingers.

Un très beau solo sur Shine a light, des passages lead et slide ça et là (All Down The Line, Casino boogie ou Stop breaking down par exemple), mais pas de final flamboyant à la Sway, Can’t you hear me knocking, Winter ou Time waits for no one pour ne citer que certains de ses meilleurs solos.

Mick Taylor sur la scène du Winterland à San Francisco en juin 1972 © Larry Rogers

Paradoxalement, c’est le seul disque des Stones où Taylor est crédité à la co-signature d’un titre : Ventilator blues. Quand on sait qu’il a grandement participé à la genèse d’au moins Sway, Can’t you hear me knocking, Moonlight Mile, Winter ou Time waits for no one sans que le duo des Glimmer Twins n’ait daigné l’indiquer, on peut légitimement se demander à quel degré il est à l’origine de ce Ventilator blues ! Pour que Jagger et Richards aient mentionné son nom, c’est qu’ils ne pouvaient vraiment sans doute pas faire autrement sur ce cas-là !

Finalement, aux longues envolées lyriques, les Stones préfèrent le son brut et une sensation globale plus directe. À l’image de Rip this joint et son rythme effréné. Malgré le saxo, son tempo sur les chapeaux de roues offre une énergie punk avant l’heure. Et Rocks off, All down the line ou Soul survivor qui clôt le disque, rappellent que Keith est le maitre du riff.

Et c’est ce qui caractérise au final Exile on main street : un album qui semble par moments joué dans l’urgence, ou au contraire décontracté, presque façon jam session. Pas trop de fioritures, un désir manifeste d’authenticité, et avant tout du blues et du rock. C’est bien ce qu’on attend d’un opus des Stones. Un album sorti il y a tout juste 50 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Mai 2022

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