Le 26 septembre 1969 sortait dans les bacs ce qui allait s’avérer être le testament musical des Fab Four. 50 ans après, retour sur ce chef d’œuvre intemporel, qui sort en version remixée par Giles Martin.
Sommaire
Le dernier enregistrement des Beatles
Bien que Let it be soit sorti au printemps 1970, et présenté à l’époque comme la dernière parution officielle du vivant du groupe, Abbey Road constitue réellement le dernier album des Beatles. Let it be est en fait constitué des Get back sessions, enregistrées pour la plupart en janvier 1969, avec quelques additions d’overdubs réalisés fin 1969 et début 1970.
Abbey Road est en tout cas le denier disque où ils jouent ensemble tous les 4. Et à l’inverse du double blanc qui était vraiment la juxtaposition de 4 personnalités bien distinctes, celui-ci laisse transparaître une dernière fois l’alchimie de ce groupe hors-norme. Même si une grande partie du disque, et notamment de la face B, est essentiellement l’œuvre de Paul, plusieurs morceaux affichent une cohésion qu’on n’avait plus entendue depuis quasiment Revolver :
1. Come Together
Typiquement lennonien dans ses paroles quelque peu obscures, le morceau qui ouvre le disque laisse entendre un groupe comme au premier jour : la basse de Paul ouvre le riff conjointement avec les breaks de Ringo, John mène la danse au chant et à la guitare rythmique, tandis que George illumine le solo et la coda de ses interventions claires et limpides. Le mix 2019 offre une stéréo plus élargie, et un son plus ample, avec des instruments qui sonnent comme s’ils avaient été dépoussiérés :
2. Something
George Harrison avait déjà commencé à s’affirmer sur le double blanc avec son chef d’œuvre While my guitar gently weeps, mais sur cet album il devient véritablement l’égal du duo Lennon-McCartney en signant 2 autres summums, dont ce Something, chanson la plus diffusée sur les ondes de l’année 1969. Succès énorme et repris par de nombreux artistes, notamment Sinatra qui était persuadé que le morceau était de Lennon et McCartney ! Là aussi, le nouveau mix apporte de la clarté et de l’espace. Dans les bonus de l’édition deluxe figure la version instrumentale avec uniquement les cordes
3. Maxwell’s Silver Hammer
Un morceau qui donnait la nausée à Lennon et qui n’en pouvait plus de reprendre l’enregistrement, encore et encore. C’est le synthétiseur Moog de Harrison qu’on entend, un instrument précurseur à l’époque, qui allait devenir une sonorité emblématique du rock progressif.
4. Oh! Darling
Superbe performance vocale de Paul avec sa voix à la Jerry Lee Lewis, de son propre aveu. Le nouveau mix fait ressortir les chœurs.
5. Octopus’s Garden
Composition de Ringo, sans doute aidé un peu par John et Paul. Encore un parfait exemple de la cohésion du groupe : le batteur est soutenu au chant par ses 2 compères, tandis que George délivre un solo dont il a le secret
6. I Want You (She’s So Heavy)
Du pur Lennon : rugeux, bluesy, sensuel. John s’adresse à Yoko, chante de toutes ses tripes, et prend même le solo de guitare sur son Epiphone 335. C’est aussi lui qui indique à l’ingénieur du son John Kurlander d’arrêter brutalement le morceau en lui donnant le signal : “coupe là !”
7. Here Comes the Sun
La deuxième face débute sur le second chef d’œuvre de George. Une magnifique ballade qui invite à sentir le vent dans ses cheveux, à marcher pieds-nus dans l’herbe, à se baigner dans une rivière…la beauté de la nature, l’arrivée du printemps, transpirent dans les notes de musique qui semblent couler d’une source. Certains ont perçu dans le pont des similitudes avec le morceau Badge de Cream. Pas étonnant quand on sait que ce dernier a été composé par Clapton et Harrison, lequel joue d’ailleurs sur l’enregistrement de Cream, sous le pseudo “L’Angelo Mysterioso”. Le remix de 2019 bénéficie même d’un clip vidéo :
Here comes the sun a été joué au concert pour le Bangladesh, en version épurée avec seulement 2 guitares acoustiques et les chœurs :
Et encore plus minimaliste en duo avec Paul Simon :
Avec Something et Here comes the sun, George Harrison se montre au meilleur de sa forme sur cet album. Et aussi bien en tant que compositeur que comme guitariste (Octopus’s garden, The end…), et également comme vocaliste, par exemple sur le morceau suivant.
8. Because
C’est pour moi le plus beau morceau des Beatles. Les voix de John, Paul et George se marient à merveille et montrent une fois de plus l’osmose dont ils étaient capables. John se serait inspiré des accords de la Sonate au clair de lune de Beethoven, en les jouant à l’envers. En décortiquant le morceau, il s’avère qu’il y a quelques similitudes, mais ce n’est pas exactement la sonate à l’envers. C’est encore le synthétiseur Moog de George qu’on entend pendant le pont.
Les 3 Beatles ont enregistré leurs voix en chantant en même temps, en cercle, dans une ambiance feutrée, éclairée à la bougie, comme le raconte Geoff Emerick dans son livre. Chacune des voix a été multipliée par 3 au mixage, donnant ainsi l’impression d’entendre 9 choristes ! La version figurant sur l’album Love (sorti en 2006) offre un mix a cappella, et permet d’apprécier pleinement ce trio choral de toute beauté :
Le morceau a été repris de nombreuses fois sur YouTube. Cette cover permet d’entendre séparément les 3 hauteurs harmoniques : John chante la mélodie principale, Paul l’harmonie haute, et George l’harmonie basse :
9. You Never Give Me Your Money
C’est avec cette chanson que démarre le fameux medley qui va couvrir tout le reste de la face B. La patte de “Macca” est indiscutable, et c’est bien lui qui mène la barque sur cette œuvre finale qui clôt la discographie du plus grand groupe de pop-rock de tous les temps
Il semble que ce soit ce morceau qui ait insufflé l’idée du medley. Lui-même composé de 3 parties différentes, il comporte un thème qui revient dans Carry that weight.
10. Sun King
Encore de superbes harmonies vocales (qui ont été mixées à l’envers sur la version Gnik Nus de Love en 2006) sur ce titre signé une fois de plus Lennon. Même si l’ossature globale du medley est essentiellement l’œuvre de Paul, ce morceau montre l’apport de John, et son attrait pour les voix éthérées
11. Mean Mr Mustard
Cette chanson avait été écrite à l’origine pour l’album blanc, tout comme Polythene Pam, comme on peut l’entendre sur les Esher Demos.
12. Polythene Pam
A l’origine, Mean Mr. Mustard et Polythene Pam ne s’enchaînaient pas, Her Majesty se trouvant intercalé entre les deux. Petite particularité pour les amoureux de détails : Paul rate quelque peu son glissando à la basse vers 00’42. Désirant le refaire, il s’entend dire par les 3 autres : “non on laisse comme ça, ça sonne super !”
13. She Came In Through the Bathroom Window
Chanson de Paul inspirée par les “Apple Scruffs”, un groupe de fans inconditionnels des Beatles. A noter que George a composé une chanson intitulée Apple Scruffs, figurant sur son album All things must pass.
14. Golden Slumbers
Paul a repris une berceuse traditionnelle, changé la mélodie, et modifié quelques paroles. Fait assez rare, c’est George qui tient la basse sur ce morceau.
15. Carry That Weight
Tout comme la séquence de Mean Mr. Mustard jusqu’à She Came In Through the Bathroom Window, les 2 titres Golden Slumbers et Carry That Weight ont été enregistrés d’une seul traite, à la suite. On retrouve le thème (aussi bien musical, qu’au niveau du texte) de You Never Give Me Your Money, à savoir les problèmes financiers et la difficulté d’être une superstar. Les paroles relatent les angoisses de Paul McCartney quant à ce qui semblait être et était la fin des Beatles. Il avoua plus tard que toutes les disputes sur les finances et le management l’avaient plongé dans les heures les plus sombres de sa vie (source : Wikipedia)
16. The End
Comme son titre l’indique, ce morceau a été pensé comme le dernier de l’album, et même comme le dernier de la discographie des Beatles, bien que de récentes découvertes puissent amener à controverse sur ce dernier point. Les paroles et la fin musicale ne laissent en tout cas aucun doute sur le fait qu’il était destiné à clore le disque. La phrase de fin sonne un peu comme une épitaphe pour le groupe : “And in the end, the love you take is equal to the love you make” (“ et à la fin, l’amour que tu prends est égal à l’amour que tu fais”).
C’est le seul morceau des Beatles où figure un solo de batterie de Ringo. Les soli de guitares sont joués dans l’ordre par Paul, George et John, chacun à 3 reprises. Ils ont joué ensemble en studio, et Geoff Emerick a indiqué que c’était l’une des sessions les plus excitantes de cet été 1969. La version de Anthology 3 laisse entendre des parties de guitare supplémentaires qui n’ont pas été retenues au mix final :
Une chanson qui aurait dû constituer le final grandiose du dernier album d’un groupe légendaire… mais l’histoire en a décidé autrement…
Her Majesty : le premier morceau caché de l’histoire du rock
Suite à une coupe au sein du medley, et une manipulation consciencieuse de l’ingénieur du son John Kurlander, le disque ne se termine pas sur The end comme prévu, mais sur Her majesty. Plus d’explications dans cette chronique.
Il est amusant de noter que les rééditions récentes en vinyle ont repris la pochette d’origine qui ne mentionne pas Her majesty, ce titre ne figurant qu’au dos des versions CD.
Savaient-ils que ce serait leur ultime album ?
Oui et non
Il est indéniable que les 4 musiciens savaient qu’ils arrivaient au terme de leur carrière en tant que groupe, et que les dissensions ne pourraient pas leur permettre de tenir encore bien longtemps. Et un titre comme The end ne laisse aucune ambiguïté quand à leurs états d’âme au moment des sessions.
MAIS :
d’une part, l’ambiance lors de l’enregistrement d’ Abbey Road était nettement plus détendue que lors des Get back sessions en janvier de la même année (et qui sortiront sous le titre Let it be au printemps 1970)
d’autre part, une découverte récente d’un enregistrement inédit datant du 8 septembre 1969 laisse à penser que les Fab Four envisageaient un album suivant. Plus d’explications dans cet article. Ainsi, la décision de séparation n’était a priori pas actée dans leurs têtes au moment de l’enregistrement, comme on l’a souvent pensé. Un nouvel éclairage sur la fin du groupe dont on pensait tout savoir.
La pochette : plus que célèbre
Sans doute la photo la plus célèbre des Beatles, si ce n’est de toute l’histoire du rock. Un simple passage piétons devenu mythique pour l’éternité. Maintes fois parodiée, elle est rentrée dans l’inconscient collectif comme une icône éternelle. Impossible d’afficher tous les innombrables détournements
Et la voici revisitée de façon iconoclaste par mon ami Denys Legros. Une façon d’ironiser sur la fin des Beatles, qui, même avec leurs roadies, n’arrivent plus à supporter le poids de leur musique, sans doute devenue un trop gros mastodonte pour eux ?
Paul is dead
Mais si cette pochette est plus que célèbre, c’est aussi et surtout parce qu’elle a alimenté la fameuse légende de la mort supposée de Paul, encore plus que celles des autres albums, tels Sgt Pepper, Magical Mystery tour ou Revolver. Que de symboles décelés dans cette image à l’apparence innocente : les pieds nus de Paul, qui tient sa cigarette dans la main droite alors qu’il est gaucher, le costume blanc de John symbolisant le deuil dans certaines cultures, le costume noir de Ringo évoquant le croque-mort, tandis que la tenu jean de George serait le bleu de travail du fossoyeur. Que dire aussi de la non moins fameuse coccinelle (“Beetle” en anglais, tiens tiens…) avec sa plaque d’immatriculation “28IF” censée donner l’âge qu’aurait eu Paul (“28 si ”) s’il n’était pas mort dans l’accident de voiture…et quid du mystérieux personnage sur le trottoir à droite ? (le site culturesco nous en apprend mieux sur ce sujet)…
Ah, que de fantasmes, de chimères, de délires mystico-complotistes générés par cette photo représentant 4 musiciens traversant une rue, celle située juste à la sortie de leur studio. S’il faut y voir un message caché, celui que je trouve le plus pertinent est le fait que le cliché retenu pour la pochette définitive est un de ceux où les Beatles traversent dans le sens quittant le studio…
Quant à Paul McCartney, il est toujours bel et bien vivant, comme il a tenu à le rappeler sur son album live en 1993, non sans humour :
Bref, une pochette mythique, un morceau caché, des chansons qui s’enchaînent, un groupe qui joue ensemble, des compositions superbes….comment qualifier Abbey Road autrement que par “chef d’oeuvre” ?
Et comme tout chef d’oeuvre qui se respecte, un demi-siècle ça doit forcément se fêter à la hauteur de la création artistique :
L’édition anniversaire
Comme pour les 2 albums précédents (Sgt. Pepper, et l’album blanc), Abbey Road bénéficie d’une réédition luxueuse :
Contenu de l’édition Super Deluxe (3 CD + 1 Blu-ray)
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Format livre identique à Sgt. Pepper et à l’album blanc
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CD 1 : Nouveau mix stéréo de l’album
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CD 2 + CD 3 : Demos et Outtakes
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DISC 4 (Blu-ray) : Mix Dolby Atmos de l’album / Mix 5.1 de l’album / Mix stéréo haute résolution de l’album / Édition limitée
Contenu de l’édition 2 CD Deluxe et 3 LP Deluxe
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CD 1 / LP 1 : Nouveau mix stéréo de l’album
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CD 2 / LP 2 et LP 3 : Demos et Outtakes
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Édition limitée
Contenu de l’édition 1 CD / 1 LP
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Nouveau mix stéréo de l’album
TRACKLISTING (et liens vers les morceaux)
CD1
- Come Together
- Something
- Maxwell’s Silver Hammer
- Oh! Darling
- Octopus’s Garden
- I Want You (She’s So Heavy)
- Here Comes the Sun
- Because
- You Never Give Me Your Money
- Sun King
- Mean Mr. Mustard
- Polythene Pam
- She Came In Through the Bathroom Window
- Golden Slumbers
- Carry That Weight
- The End
- Her Majesty
CD2
- I Want You (She’s So Heavy) [Take 32 + Billy Organ]
- Goodbye [Demo]
- Something [Demo]
- Ballad Of John And Yoko [Take 7]
- Old Brown Shoe [Take 2]
- Oh Darling [Take 4]
- Octopus’s Garden [Take 9]
- You Never Give Me Your Money [Take 36]
- Her Majesty [Takes 1-3]
- Golden Slumbers / Carry That Weight [Takes 1-3]
- Here Comes The Sun [Take 9]
- Maxwell’s Silver Hammer [Take 12]
CD3
- Come Together [Take 5]
- The End [Take 3]
- Come And Get It (Studio Demo)
- Sun king [Take 20]
- Mean Mr Mustard [Take 20]
- Polythene Pam [Take 27]
- She Came In Through The Bathroom Window [Take 27]
- Because [Take 1 / Instrumental]
- The Long One [Trial Edit And Mix]
- Something [Orchestral – Take 39]
- Golden Slumbers / Carry That Weight [Take 17 / Instrumental / Strings & Brass Only]
Sources
- Infos sur la réédition via Valérie Lefebvre / Universal Music Catalogue
- Article France Culture
- Article culturesco
- “Les Beatles, La Totale” de Philippe Margotin et Jean-Michel Guesdon, Chêne/EPA
- Illustration Denys Legros
- et surtout des heures et des heures à écouter en boucle cet album au casque