Retour sur ma visite hier de l’exposition ‘Unzipped’ au stade vélodrome de Marseille. Plongée au cœur de l’univers des Rolling Stones.
Sommaire
Une entrée en matière saisissante
Dès l’arrivée en haut des escalators, on est tout de suite dans le vif du sujet : une enseigne Ladies and Gentlemen avec la typo du film du même nom (1972), dans les tons rouge vif, et la musique des Stones qui met immédiatement dans le bain. Puis, histoire de prendre la mesure de l’ampleur de ce que représentent les Rolling Stones, tout de suite les chiffres qui donnent le vertige : un compteur du nombre de pays visités par le groupe, le nombre de concerts joués, le nombre de spectateurs… aucun équivalent dans l’histoire du rock par un seul et même artiste.
La salle suivante propose une courte vidéo qui résume assez bien la carrière du plus grand groupe de rock’n’roll de tous les temps. Pas évident de condenser six décennies en quelques minutes, mais les extraits sont bien choisis, et une phrase prononcée par Jagger lors de leur intronisation au Rock’n’Roll hall of Fame en 1989 synthétise le paradoxe d’une telle exposition :
« D’abord ils vous descendent, et ensuite ils vous mettent dans un musée ! »
Mick Jagger – Rock’n’Roll hall of Fame – 1989
Les origines du plus grand groupe de rock
La salle ‘Meet the band’ montre les origines du groupe avec notamment des images impressionnantes de leur premier show aux Pays-Bas en août 64. Le public est littéralement hystérique et a le dernier mot envers les forces de l’ordre, quasiment obligées de battre en retraite !
Mais déjà, ce sont surtout les objets qui attirent l’œil : le carnet de notes de Keith Richards où il décrit entre autres ses impressions sur les concerts, ou encore la batterie des débuts de Charlie Watts, et les premières guitares de Keith et Brian, ainsi que l’harmonica et le dulcimer utilisé par l’ange blond sur la période 1966-67, notamment dans Aftermath. Une phrase dans une interview de ce dernier résume sa vision des choses aux débuts du groupe :
« On nous pose souvent des questions sur la longueur de nos cheveux, notre apparence… mais le plus important c’est notre musique »
Brian Jones – Interview – 1964
La suite des évènements lui donnera tort, tant le succès des Rolling Stones sera aussi lié à leur image. Et d’ailleurs, les salles suivantes relatives aux costumes relatent l’importance de la mode vestimentaire dans la communication du groupe. Tout comme le travail de Jagger avec des couturiers et esthètes sera un aspect important de l’imagerie stonienne dans l’inconscient collectif.
On remarque la belle mise en valeur de Ian Stewart, dit ‘Stu’, le pianiste à l’origine de la formation du groupe, puis écarté par le manager Andrew Loog Oldham dès 1963. Et une autre photo suscite l’intérêt : le groupe au complet lors d’une conférence de presse. On y remarque que Keith Richard s’écrit encore à l’époque sans le S de fin.
Et c’est Buddy Guy qui rappelle les origines blues des Rolling Stones (leur nom est d’ailleurs tiré d’une chanson de Muddy Waters), tout en reconnaissant au British Blues Boom son impact considérable sur la reconnaissance de ce genre musical :
« Les britanniques ont popularisé le blues plus que n’importe quel Afro américain »
Buddy Guy
Des reconstitutions soignées
Que ce soit l’appartement d’où tout est parti, ou les studios d’enregistrement, théâtre de créations mythiques, les reconstitutions sont particulièrement abouties avec un soin du détail impressionnant. Je n’ai pu m’empêcher de sourire en voyant la légende « Dobro » à côté de la photo d’une guitare de type « National » (► plus de précisions dans cette chronique). Les interviews sont classiques mais sympas. Et au détour d’un diaporama sur le fameux studio mobile des Rolling Stones, on découvre une photo rare de Mick Jagger jouant sur une Gibson Flying V (peut-être celle sur laquelle joue Keith Richards au concert à Hyde Park ?)
Le magnéto à cassette ayant servi à produire le son de guitare si particulier sur Jumping Jack flash et Street Fighting Man est là aussi. Tout comme le kit de batterie version jouet, utilisé par Charlie Watts sur ces mêmes enregistrements.
L’imagerie des Rolling Stones
Vient ensuite la partie visuelle : les costumes d’abord, et des interviews qui rappellent l’effervescence du swinging London, et le rapprochement entre les différents arts. L’éclosion culturelle des sixties ce n’était pas seulement la musique, mais aussi la mode, la peinture, le théâtre, la littérature… Et puis les pochettes de disques qui sont souvent aussi célèbres, sinon plus, que leurs contenus. On découvre plusieurs maquettes, des projets avortés, des photos promo…
Et puis bien sûr, LE logo le plus célèbre de l’histoire du rock. Cette langue et ces lèvres, imaginées par John Pasche, et qui contrairement aux idées reçues n’ont pas été inspirées par la bouche de Jagger. En tout cas pas consciemment explique le graphiste.
Les guitares
Un des passages les plus excitants de l’expo. Pour les amateurs de six-cordes bien sûr. La Hummingbird de Jagger côtoie une anecdote sur l’apprentissage de l’harmonica par le chanteur. Une basse fretless de Darryl Jones nous apprend par la même occasion que Bill Wyman a joué lui aussi sur fretless dans Memory Motel.
Mais ce sont surtout les instruments de Richards et Wood qui retiennent l’attention. Quel plaisir de pouvoir observer de si près les modèles Zemaitis de Ron Wood, véritables pièces uniques et bénéficiant d’un travail d’orfèvre. Et sa Stratocaster sunburst est un exemplaire mythique de 1954, première année de fabrication de cette guitare chez Fender, tout comme la ‘Jurassic strat’ de Mark Knopfler.
Pour Richards, il y avait surtout deux guitares que je voulais voir en chair et en os : la légendaire Telecaster ‘Micawber’ et la Les Paul ‘Black Beauty’. Pour la première, j’ai dû remballer mes espoirs car bizarrement elle ne figure pas dans l’exposition. Certes il y a bien la Telecaster Custom noire, elle aussi largement célèbre, mais pas l’instrument mythique auquel je m’attendais. Quant à la Les Paul, il semble que celle présente à l’expo ne soit pas celle qu’on voit dans le film One+One de Jean-Luc Godard. D’une part la légende ne mentionne pas l’enregistrement de Beggars banquet (j’ai d’abord cru à une erreur) et en y regardant de plus près les micros ne sont pas les mêmes.
Et une anecdote comme je les aime : Keith raconte que sa guitare utilisée sur Gimme Shelter était tellement en mauvais état que le manche s’est décollé à la fin de la prise !
Un petit moment ludique et interactif
Dans la même salle, on trouve une petite attraction réjouissante : la possibilité d’écouter séparément les instruments de plusieurs morceaux emblématiques des différentes périodes des Stones. J’ai ainsi pu entendre de façon isolée la guitare de Mick Taylor sur Honky Tonk Women dans Get yer Ya-Ya’s out! pour mon plus grand bonheur. J’ai aussi découvert une partie de slide dans Rock off, quasiment inaudible dans le mix final. Et les guitares seules dans Miss you ou Start me up sont un vrai régal.
Certes, le côté « interactif » de l’exposition a peut-être été un peu survendu au regard de la proportion d’interactivité sur l’ensemble du parcours. Mais ce petit atelier était fort sympathique et j’ai pu découvrir des choses que je n’avais jamais entendues auparavant.
Les Stones en films, en costumes, et sur scène
Le très court documentaire sur les différents films des Stones, et la brève compilation de leurs clips n’apportent rien d’exceptionnel, si ce n’est une parfaite définition de leur musique par Martin Scorsese :
« Leur musique est très influente, dangereuse, comme le rock en général. Elle est complexe, ironique, parfois sarcastique, brutale, honnête. Et surtout, elle accepte le côté obscur de la nature humaine. Elle est très riche, évocatrice du passé, parfois troublante, et profondément ancrée dans le blues »
Martin Scorsese à propos des Rolling Stones
Les différents costumes portés par Mick Jagger pour interpréter Symptahy for the devil sur scène sont fascinants, de même que les tenues de Richards et Wood sur le plateau suivant.
Quant aux maquettes des différentes scènes, elles éclairent sur un point pas forcément connu du grand public : le discret Charlie Watts s’investit énormément dans la préparation et les choix visuels des tournées du groupe. Celui qu’on considère comme le batteur le plus flegmatique de l’histoire du rock a aussi un œil avisé sur l’imagerie des Rolling Stones, aussi bien dans la réflexion des dispositifs scéniques que dans le concept des pochettes. Cette exposition nous apprend le lien étroit qu’il entretient avec Mick Jagger sur ce sujet, et les longues heures que le duo a passé à réfléchir aux thématiques visuelles du groupe.
Les anecdotes
Il n’y a pas d’espace dédié spécifiquement aux anecdotes. Toutes les salles en regorgent, plus ou moins connues. Mais la dernière sur l’aspect live offre les setlists de répétitions griffonnées par Wood (et qui sans lui, laisserait le groupe bien désemparé s’il fallait se remémorer l’ensemble des morceaux), ainsi que des souvenirs des premiers concerts sans sonorisation adéquate, dans des salles inadaptées. Quel chemin parcouru pour arriver aux méga-shows dans les stades ! Les néophytes peuvent ainsi apprendre l’émergence de la technologie sonore et visuelle depuis la fin des années 60 jusqu’à nos jours.
De même, la vidéo multi-écrans du concert à la Havane en 2016 offre l’occasion d’une anecdote savoureuse. En effet, le Vatican n’avait pas apprécié que la date du 25 mars choisie pour le concert à Cuba tombe le vendredi saint. Les organisateurs avaient alors proposé d’attendre minuit avant de démarrer le show pour ne plus être le vendredi, mais le samedi… ce à quoi Jagger avait répondu :
« ça ne sert à rien d’attendre minuit, parce qu’à 21h à la Havane, ça fera déjà un moment que le Vatican ne sera plus le vendredi ! »
Mick Jagger à propos du concert à Cuba le 25 mars 2016
Dans cette même salle, un panorama des différents musiciens ayant gravité autour du noyau stonien nous en apprend un peu plus sur ces « session-men & women ». Le pianiste Ian Stewart occupe la première place, et c’est une belle reconnaissance.
Mick Taylor, le grand oublié de l’exposition
Mais à l’inverse, le grand Mick Taylor est quasiment totalement absent de l’expo. Une fois encore, le talentueux guitariste des années 1969-1974 (la plus belle période du groupe pour beaucoup, dont l’auteur de ces lignes) est éclipsé de la carrière des Stones. Bien sûr, il y a quelques photos, et on l’aperçoit sur quelques vidéos (encore heureux !). Mais pas un encart qui lui est dédié, pas un mot sur son apport musical inestimable, pas une seule de ses guitares exposée…
Comme je le disais en préambule de cette chronique qui lui est consacrée, c’est une constante : lisez un ouvrage sur les Stones, regardez un documentaire, écoutez une interview, ou bien allez voir une exposition sur le plus grand groupe de rock du monde, et il y a neuf chances sur dix pour que vous n’entendiez pas parler de Mick Taylor. Au mieux, son nom sera discrètement évoqué, mais sans plus.
Même Bill Wyman est plus présent dans ‘Unzipped’ que Mick Taylor. Une de ses interviews est exposée. Même Darryl Jones a l’une de ses basses en vitrine ! Ian Stewart et Brian Jones sont mis en lumière à plusieurs reprises, et c’est bien normal. Mais faire ainsi l’impasse sur Mick Taylor, et dans le même temps faire l’éloge des albums-chefs-œuvre entre Let it Bleed et It’s only rock’n’roll restera toujours pour moi une énorme contradiction et une énigme incompréhensible. Le guitariste ne semble pas brouillé à vie avec les autres musiciens, en témoignent ses apparitions sur scène aux côtés du groupe de temps à autre, et la sollicitude de Ron Wood à son égard lors de leur intronisation au Rock’n’Roll hall of Fame en 1989.
Pourquoi à chaque fois cet oubli ? Comme si Taylor n’avait été qu’un fantôme traversant la carrière des Stones. Bien évidemment, tous les fans du groupe le connaissent, et la majeure partie le vénèrent. Mais il mérite tellement plus que ça.
Il est d’ailleurs amusant de noter que sur l’attraction de remix des morceaux, seuls MICK, KEITH, RONNIE et CHARLIE ont droit à voir leur nom affiché sur leurs pistes. Les patronymes de Brian Jones, Bill Wyman et Mick Taylor n’apparaissent pas, et leurs contributions sont uniquement indiquées par leurs instruments : GUITAR, BASS… Ainsi n’auraient droit à l’appellation « Rolling Stones » que les quatre membres officiels actuels ? On peut le comprendre en terme contractuel et commercial. Mais ça me semble moins pertinent d’un point de vue « historique ». Ces trois-là ont été et resteront toujours des Stones, à mon sens.
Une excellente journée
Malgré ce bémol, l’exposition m’a permis de passer un merveilleux moment. J’y suis resté 4 heures (!) histoire de bien tout lire, voir et écouter chaque passage sonore et visuel, et de pouvoir prendre photos et vidéos. Le parcours offre une répartition soignée par thématiques, et bien que connaissant déjà 2-3 trucs sur les Stones, j’en ai encore appris sur eux.
J’ai même entendu parler anglais, ce qui prouve que Unzipped attire du public étranger, aussi ici en France, et je n’ai pu m’empêcher de repartir avec quelques souvenirs. Et puis qui sait… une guitare à gagner, on peut toujours rêver…
Enfin, comment ne pas terminer cette chronique par un détail amusant qui m’a fait énormément sourire : un des visiteurs croisés hier après-midi (il se reconnaitra peut-être s’il vient lire ceci) portait un T-shirt… des Beatles ! il fallait oser…
Pour ma part, je n’avais ni mon T-Shirt avec la langue, ni celui de Exile on main street, mais bien celui de Textes, Blog & Rock’n’Roll. Et croiser les Fab Four traversant le passage piéton d’Abbey Road à une exposition des Stones, ça m’a vraiment fait ma journée ! Stones ou Beatles ? Je vous l’ai déjà dit : dans ce domaine, je suis bi ! Et même si ce n’est que du rock’n’roll, j’adore ça…
© Jean-François Convert – Août 2021
RETROUVEZ TOUTES MES CHRONIQUES SUR LES ROLLING STONES :
A noter : une chronique à venir mardi prochain 24 août pour les 40 ans de Tattoo You
Excellente rétrospective, comment souvent sur votre blog….cela m’a rappelé la visite de cette expo a Londres qui s’appelait ‘exhibitionism’.
Merci !!!!!!
Mais j’adore les Stones (je suis resté trois heures), l’Expo était passionnante. Superbe description et blog👍RIP Charlie
Moi j’y suis allé avec un tee-shirt de Zappa 😉
Très bon compte rendu, je l’ai ratée mais je compte sur vous pour nous tenir in formé d’une autre session dans un pays limitrophe !!
Bravo pour le bog.
Excellent blog ! Quelle belle rétrospective vous nous offrez là ! Un grand merci à vous car j’ai beau être allée à l’expo avec mes 3 ados, je n’ai pas eu votre oeil expert ! Alors encore merci à vous pour ce merveilleux partage, pour votre humour et bravo pour toutes vos explications !