“Led Zeppelin II” : 50 ans aujourd’hui

Led Zep n’a pas fait dans la demi-mesure l’année de son lancement. Après un premier album sorti en janvier, il jette littéralement les bases du hard rock dans ce deuxième opus, à peine 10 mois plus tard. Retour sur un des disques les plus célèbres de l’histoire du rock.

Opus numéro 2 : on passe la seconde

C’est réellement avec ce deuxième opus que Led Zeppelin s’affirme comme le mastodonte du heavy rock, genre qu’il va dominer pendant les 10 années suivantes. Cette fois ça y est, le dirigeable est lancé, et il porte haut et fier son adjectif de “plomb” (sur une idée de Keith Moon), même tronqué du “A” (idée du manager Peter Grant).

Un véritable rouleau compresseur déferle en ce 22 octobre 1969, et s’impose comme le leader incontesté de ce qu’on n’appelle pas encore le hard-rock. Le quatuor ne va pas tarder à être perçu comme la tête de la sainte-trinité hard avec Deep Purple, et Black Sabbath.

Leur premier album avait déjà annoncé la couleur : riff brûlants, voix haut perchée, rythmique bulldozer. Mais là, Page et ses comparses passent la vitesse supérieure. D’ailleurs, même s’il garde les rênes en matière de production, il n’est plus le seul étendard du groupe. Plant prend de plus en plus d’espace avec une voix inouïe pour l’époque, Bonham joue de la batterie à mains nues (!) et Jones peaufine les arrangements en montrant que le groupe est bien plus qu’un simple combo heavy blues.

 

 

La guitare qui va tout changer

Cela peut paraitre anodin pour les non-guitaristes, mais un des éléments-clés de cette étape est le fait que Jimmy Page abandonne (provisoirement) la Telecaster, pour passer sur Les Paul.

la Les Paul “number one” de Jimmy Page, ici exposée au Metroplitan Museum of Art (MET), à New York

Achetée à Joe Walsh (alors dans le groupe James Gang, et bien avant qu’il rejoigne les Eagles), cette guitare de 1959 va donner à Page un son avec plus de corps, plus d’épaisseur, plus de présence, tout ce qu’il faut pour graver une empreinte indélébile.

JImmy Page pendant les sessions d’enregistrement de l’album au printemps 1969, avec sa toute nouvelle acquisition :
une Les Paul “burst” de 1959 © Dominique Tarlé

Et histoire d’enfoncer le clou et de marquer les esprits à jamais, quoi de mieux que de démarrer l’album sur un riff inoubliable.

 

 

L’album chanson par chanson

1. Whole lotta love

Sans doute le morceau le plus connu de Led Zep. Un riff simple mais ultra-efficace, la voix de Plant qui transperce le mix, des éclairs de slide avec echo sur le refrain… un cocktail savamment dosé, qui part dans des contrées psychédéliques dans l’intermède sulfureux du milieu : Plant pousse la sensualité à son paroxysme, tandis que Page se positionne en alchimiste de studio, trafiquant les sons, et utilisant notamment le Thérémine, instrument électronique qui a la particularité de produire des sons sans qu’on le touche.

Pendant l’enregistrement de Whole lotta love © Dominique Tarlé

Ce morceau devient rapidement un cheval de bataille en concert, et dépasse parfois les 20 minutes !

Les paroles empruntées au You need love de Willie Dixon ont longtemps été sujet à controverse, les crédits ne mentionnant pas le bluesman. Plusieurs années après, au terme de longues procédures judiciaires, Dixon et les membres du groupe sont parvenus à un accord à l’amiable en 1987 qui englobait ce titre ainsi que le dernier Bring it on home.

2. What is and what should never be

Une des premières chansons enregistrées lors des sessions, donc probablement l’une des premières (sinon la première) où Page a utilisé sa Les Paul récemment acquise. L’utilisation de la stéréo sur le riff final est plutôt novatrice pour l’époque. Un effet qui sonne très Jimi Hendrix. Même si on pourrait être tenté de faire le lien par l’ingénieur du son Eddie Kramer, ce dernier n’intervient pas sur ce morceau, enregistré à Londres par George Chkiantz. Seuls Heartbreaker, Ramble On, et Bring It On Home ont été enregistrés par Kramer à New York.

Pendant l’enregistrement de What is and what should never be © Dominique Tarlé

Plant signe les paroles, et c’est ainsi un des premiers titres pour lesquels il est crédité. Le texte évoque sa relation avec la jeune sœur de sa première femme… un sujet qui serait sans doute censuré aujourd’hui.

La chanson a fait l’objet d’un clip en 2016, à l’occasion de la sortie des BBC Sessions.

3. The lemon song

Après Londres et New York, un troisième studio à Los Angeles pour ce morceau. L’album a en effet été enregistré en plusieurs fois, à des endroits différents, entre les concerts de la première tournée. Et malgré cela, on ressent une cohésion d’ensemble, un son massif du début à la fin, preuve que le groupe ne faisait qu’un.

C’est particulièrement audible sur ce titre où chaque personnalité s’exprime : Plant nous susurre à l’oreille des paroles torrides (inutile de faire un dessin sur la signification du vers “squeeze (my lemon) till the juice runs down my leg” / “presse (mon citron) jusqu’à ce que le jus coule sur ma jambe”), Page oscille entre notes tantôt plaintives ou qui exultent, Jones offre une ligne de basse dantesque à la fois groovy et mélodique, et Bonham prouve qu’il peut être aussi bien subtil et funky que puissant et heavy.

Le texte est inspiré de plusieurs blues, dont entre autres Killing floor de Howlin’ Wolf. Sur la partie rapide, Page en reprend d’ailleurs le riff emblématique.

4. Thank you

Une ballade qui montre la diversité de la musique de Led Zeppelin, qui ne se cantonnait pas au rock lourd. Et Jimmy Page inverse la règle habituelle en matière de guitares : la rythmique est électrique et le solo est acoustique.

Robert Plant s’affirme encore un peu plus comme le songwriter du groupe. Page a expliqué plus tard que c’est par ce titre qu’il a commencé à réaliser que le chanteur pourrait à l’avenir signer les paroles de (quasi) toutes les chansons. Ce texte est dédié à Maureen, la femme de Robert à l’époque.

5. Heartbraker

Encore un riff imparable. S’il y en a un, emblématique de la Les Paul, c’est bien celui-ci. Le solo improvisé du milieu a été enregistré à part. Page explique d’ailleurs qu’on entend la coupure.

6. Living loving maid (She’s just a woman)

Ce morceau semble débuter immédiatement après le précédent, comme s’ils étaient enchaînés. C’est un des exemples que j’avais choisis pour ma chronique sur ce sujet. Cet enchaînement rapide a d’ailleurs souvent été diffusé à la radio qui passait les 2 titres d’affilée.

Texte à propos d’une groupie, la chanson a toujours été considérée par Jimmy Page comme la plus faible de l’album, et même celle qu’il déteste le plus de la carrière du groupe, et par conséquent n’a jamais été jouée en live par Led Zep. En revanche, Robert Plant l’a intégrée dans son set solo en 1990.

7. Ramble on

Un morceau qui résume Led Zep à lui tout seul : ça démarre comme une ballade folk-hippie, la voix céleste nous berce, quand soudain un riff vient trancher la quiétude apparente et repart aussi vite qu’il est apparu pour laisser place à des effluves orientales… les guitares harmonisées embrument l’atmosphère et nous embarquent dans un trip psyché, mais c’est pour mieux se laisser surprendre une seconde fois par le riff, avant un solo à la mélodie inattendue…

…et puis les paroles obscures commencent à prendre leur sens : on nous parle de “Mordor”, de “Gollum”…oui on est bien dans le Seigneur des Anneaux, et Plant affiche pour la première fois sa passion pour l’oeuvre de Tolkien. Il y reviendra à plusieurs reprises, notamment sur The Battle of Evermore et Over the Hills and Far Away . Et enfin, la chanson se termine sur le riff et les voix qui se répondent à l’infini.

Un mélange de quasiment tous les styles et thèmes chers à Led Zeppelin

8. Moby Dick

La performance de John bonham. Un peu comme Ginger Baker avait son moment avec Toad, le batteur de Led Zep se devait de montrer qu’il savait dompter son instrument. Il pousse l’exercice encore plus loin que son prédécesseur, et s’attaque à la bête à main nues ! Les tomes, les cymbales, rien ne lui résiste.

En concert, sa prestation pouvait avoisiner les 25 minutes, et bien que parfois indigeste pour des non-musiciens, elle offrait tout de même à voir une performance impressionnante :

9. Bring it on home

Le dernier morceau de l’album mêle habilement les 2 styles musicaux majeurs du groupe :

  • le blues auquel il doit un lourd tribut (même si cette reconnaissance sera un peu longue et devra parfois passer par la justice). Shuffle et harmonica, on revient aux sources du genre, avec cet emprunt à peine modifié à Willie Dixon (encore une fois)
  • le hard-rock dans toute sa splendeur. Guitare hurlante, voix éraillée, rythmique au rouleau compresseur. C’est bien le dirigeable de plomb qui clôt cet album, et se pose comme le représentant en chef du genre.

 

 

 

La pochette

Quand un album marque autant, c’est aussi souvent pour son visuel. Led Zeppelin II est ainsi fréquemment surnommé “Brown Bomber (Bombardier marron)” en raison de sa pochette.

Le design vient d’un poster de David Juniper, à qui le groupe avait simplement demandé de proposer une idée « intéressante ». Son concept est basé sur une vieille photographie de la Jasta, une escadrille de chasse allemande de la Première Guerre mondiale, sur laquelle apparaît notamment le célèbre Manfred von Richthofen.

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Outre les quatre membres du groupe, on y voit le manager Peter Grant ainsi que celui des tournées Richard Cole. La femme est Delphine Seyrig, dans son role de Marie-Madeleine dans le film Mister Freedom (1969) de William Klein. Le dernier visage ajouté est celui du bluesman Blind Willie Johnson.

Le directeur artistique David Juniper est nommé en 1970 pour le Grammy Award de la meilleure pochette d’album.

L’image intérieure du disque en forme de piédestal pourrait donner l’envie de taxer les 4 membres de mégalomanes :

La pochette intérieure du disque

Mais quand on réécoute cet album encore aujourd’hui, on réalise à quel point il a inscrit les fondements du hard rock. Alors oui, certes, Page et ses acolytes ne sont peut-être pas des plus modestes, mais on doit bien leur reconnaître leur immense talent, et leur place incontestée au panthéon du rock tout court. Une place acquise en grande partie par cet album, sorti il y a tout juste un demi-siècle.

Led-zeppelin-II

 

 

 

© Jean-François Convert – Octobre 2019

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2 commentaires sur ““Led Zeppelin II” : 50 ans aujourd’hui

  1. On le revisite avec un immense plaisir au fil de ton analyse. Quelques détails cruciaux dans une apologie justifiée. Merci beaucoup.

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  2. Toujours aussi bien argumenté, c’est un vrai plaisir de connaître tous les détails de certains albums qui vous marqueront à jamais !

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