Il y a 40 ans sortait ‘Il était une fois en Amérique’

Le 17 février 1984, le dernier film de Sergio Leone ‘Il était une fois en Amérique’ sortait dans les salles de cinéma aux Etats-Unis.

Un film testament

Il était une fois en Amérique clôt à la fois la trilogie entamée 15 ans plus tôt avec Il était une fois dans l’ouest, et la filmographie tout court de Sergio Leone, puisque ce dernier décède en 1989 sans avoir réalisé d’autre film. Ce long-métrage qu’il qualifiait comme « Antithèse du Parrain » lui tenait énormément à cœur et referme son œuvre de manière magistrale. Une histoire qui traite d’amitié d’enfance, de trahison, de  relations brisées. Le tout dans un contexte d’histoire de l’Amérique, en troisième volet d’une trilogie (la conquête de l’ouest, la révolution mexicaine, et le gangstérisme de la première moitié du 20e siècle pour résumer grossièrement).

Mais Il était une fois en Amérique est aussi et surtout une allégorie du cinéma, de l’aveu-même de son auteur.

Au public qui s’interrogeait sur le plan énigmatique de fin où on voit Noodles, le personnage joué par De Niro, sourire face caméra, Leone expliquait que dans son idée, le protagoniste était resté en 1933 dans la fumerie d’opium, et que tout ce qui passait après cette période (en 1968) n’était que rêve. Une vie fantasmée… comme au cinéma.

Une chronologie non linéaire

L’histoire du film se situe à trois époques distinctes : 1922, 1933 et 1968. Mais plutôt que de suivre les événements chronologiquement, Leone choisit d’utiliser des allers-retours, en commençant et terminant par le milieu (1933), puis avec un long flashback sur les années vingt, avant d’osciller à deux reprises entre les années trente et soixante. La page Wikipedia du film retrace le synopsis détaillé du film avec les différentes parties liées aux différentes époques telles qu’elles apparaissent dans l’ordre du long-métrage :

  • 1933 : traque et fuite de New York
  • 1968 : retour à New York
  • 1922 : l’enfance, formation de la bande
  • 1968 : visite au caveau de ses trois amis et découverte stupéfiante
  • 1933 : l’âge adulte, sortie de prison et Bercovicz & associés
  • 1968 : agression contre le sénateur Bailey
  • 1933 : protection du syndicaliste James Conway O’Donnell et projet du vol de la réserve fédérale
  • 1968 : la vieillesse, retour au foyer
  • 1933 : épilogue
La perspective sur le pont de Manhattan (ici photographiée en 1936 du côté de Manhattan) rendue célèbre par le film
© Domaine public

A sa sortie en 1984, le montage de Leone jugé trop long par les producteurs est malheureusement raccourci pour son exploitation en salles, et encore plus aux Etats-Unis où il ne dure « que » 139 minutes contre 221 minutes en Europe. Il ressort en version restaurée pour le festival de Cannes en 2012 avec une durée de 251 minutes. L’édition collector en DVD de 2003 propose elle aussi ce montage fidèle à ce que souhaitait Leone. Toutefois, cette version contient un nouveau doublage français, alors que celui original de 1984 avait été supervisé par le réalisateur comme il en avait l’habitude.

Ce film que j’ai vu plusieurs fois m’a profondément marqué. Par son histoire, sa vision du temps, des relations humaines, des regrets… sa mise en scène, sa photographie, son jeu d’acteurs… mais aussi et surtout par sa musique.

La plus belle musique de Morricone ?

Une nouvelle et dernière fois, le duo Leone-Morricone fait merveille. Les atmosphères du compositeur embrassent parfaitement la vision du réalisateur. Impossible de dissocier les images du film des mélodies qui les illustrent. A commencer par Cokeye Song et l’une des scènes emblématiques du film, la mort du petit Dominic, magnifiée par la flûte de pan de Gheorghe Zamfir et la maestria de Morricone à cristalliser la tragédie de l’instant, sans tomber dans le pathos larmoyant.

Le morceau Poverty accompagne parfaitement le décor du quartier juif new-yorkais des années vingt dans lequel grandissent les personnages. Une musique qui aurait très bien pu figurer dans Le Kid de Charlie Chaplin, par son intensité poignante et sa capacité à dresser instantanément un décor de misère sociale. Avec seulement quelques notes, Morricone nous plonge dans les bas-fonds du New-York au début vingtième siècle et nous suscite naturellement une empathie pour les protagonistes.

Le thème principal est décliné en deux versions radicalement différentes. L’une dans la plus pure tradition classique avec la voix magnifique d’Edda Dell’ Orso, et l’autre en mode jazzy dixieland, voire badinerie seventies. Rien d’extraordinaire sur le fait d’arranger une même mélodie de deux façons distinctes pour une musique de film, c’est monnaie courante (et très souvent le principe même de ce genre musical), mais dans ce cas précis la différence est tellement marquée qu’on ne reconnait pas de prime abord qu’il s’agit de la même mélodie. C’est là tout le talent de Morricone.

Mon morceau préféré de Morricone

Parmi tous ces titres qui compose la bande originale de Il était une fois en Amérique, il en est un qui me bouleverse encore et toujours à chaque écoute. Même si j’adore les superbes mélodies de Il était une fois dans l’ouest, Il était une fois la révolution ou Cinéma Paradiso, Morricone ne m’a jamais autant ému qu’avec Deborah’s Theme. Un morceau d’un romantisme magnifique. Durant le premier confinement, le guitariste Jacopo Mastrangelo l’a repris sur les toits qui font face à la Piazza Navona à Rome. Un moment de grâce. Et la même année, quel n’a pas été mon plaisir de savoir que Mark Knopfler l’a diffusé dans un épisode de sa série radio The British Grove Broadcast. Quant au compositeur lui-même, Deborah’s Theme était toujours un point d’orgue lors de ses concerts.

Comme son nom l’indique, ce morceau est affilé au personnage de Deborah, dont Noodles/De Niro est amoureux depuis son enfance. C’est d’ailleurs cette musique qui introduit le flashback de retour en 1922, en le reliant à Amapola, une chanson populaire espagnole qui parle d’amour impossible…. comme celui entre Noodles et Deborah. Ce vieil air traditionnel apparait une première fois, joué sur gramophone pendant que la jeune Deborah fait ses exercices de danse :

Il revient plus tard pour illustrer la séquence onirique de la soirée amoureuse entre les deux amants impossibles. Puis, par un tour de force dont Morricone a le secret, Amapola se fait le contrepoint de Deborah’s Theme pendant le générique de fin. Le compositeur a ainsi utilisé un air déjà existant pour s’harmoniser avec son œuvre fraichement écrite. Et la forme sert bien évidemment le propos, puisque ce dernier plan nous montre Noodles préférant s’échapper dans le rêve plutôt qu’accepter l’impossibilité d’être aimé par Deborah, celle-là même qui dansait au son d’Amapola. Un amour impossible… comme dans la chanson. Du grand art morriconien.

Des morceaux supplémentaires

En plus de la musique de Morricone, on peut entendre dans le film les airs suivants :

  • Irving Berlin – God Bless America
  • Lennon/McCartney – Yesterday
  • Joseph LaCalle – Amapola
  • Gioachino Rossini – Ouverture de La Pie voleuse
  • George Gershwin – Summertime
  • Cole Porter – Night and Day
  • Traditional – St. James Infirmary

On peut d’ailleurs relever un petit anachronisme : La chanson God Bless America, écrite par Irving Berlin en 1918, est utilisée pour la séquence de la fin de la prohibition en 1933. Or cette chanson n’a été enregistrée qu’à partir de 1938, pour la célébration des vingt ans de l’armistice de 1918. Elle fut à l’époque interprétée par Kate Smith (Wikipedia).

Mais en termes de morceaux supplémentaires, c’est surtout la Special Edition de la bande originale en 1998 qui nous offre des superbes bonus : Poverty joué au piano et glockenspiel, et un thème non utilisé (en deux versions) avec piano et hautbois (ou clarinette ?).

Une B.O à la beauté intemporelle pour un film qui ne l’est pas moins. Leone et Morricone au sommet de leur art. Un double chef d’œuvre qui sortait en salle aux Etats-Unis il y a tout juste 40 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Février 2024

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1 commentaire sur “Il y a 40 ans sortait ‘Il était une fois en Amérique’

  1. A quand une version ultra 4K de ce chef d’œuvre ?

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