Après le riff imparable de Cocaine, un autre morceau incontournable du répertoire Claptonien : Layla et son leitmotiv entêtant. Un cri d’amour désespéré, mais aussi un véritable concerto pour guitares. Retour sur ce monument du rock.
Sommaire
Un album de référence
En 1970, Eric Clapton a déjà derrière lui presqu’une décennie de musique à son actif. Après les Yardbirds, les Bluesbreakers, Cream et Blind Faith, il a souhaité se retirer des feux de la rampe, et s’est fondu dans le collectif “Bonnie & Delaney & Friends”. Ce groupe à géométrie variable comprend la base des musiciens qui vont l’accompagner sur son premier album solo en 1970, mais également le noyau dur de ce qui va devenir Derek (“Eric”) and the Dominos : Bobby Whitlock au chant et claviers, Carl Radle à la basse, et Jim Gordon à la batterie.
Les 4 membres partent en tournée en juin 1970, et entrent en studio en août suivant pour enregistrer ce qui va rester encore aujourd’hui comme l’un des plus grands albums de l’histoire du rock : Layla and other assorted love songs. (► Ma chronique de l’album sur franceinfo)
Le morceau-titre condense en 7 minutes un rock écorché et son refrain qui prend aux tripes, une ballade solaire et lumineuse qui invite à garder espoir malgré la déception amoureuse, et les interventions de 2 guitaristes possédés par la musique, au sommet de leur art.
En effet, le quatuor va être rapidement rejoint par une autre pointure de la six-cordes : Duane Allman, guitariste du Allman Brothers Band.
Un concerto pour guitares
Et c’est justement cet invité de marque qui donne l’idée de départ du morceau : il propose de reprendre le premier vers “there is nothing I can do” du blues As the years go passing by et de l’accélérer. C’est ainsi que naît le fameux riff d’intro.
Pour donner toute la puissance et le lyrisme à cette chanson, Clapton et Allman multiplient les parties de guitares, au nombre total d’au moins six, voire sept (si on compte le doublement du riff) :
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le riff, doublé
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la rythmique
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la partie lead
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la slide
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l’acoustique
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la guitare avec effet “Leslie”
Le producteur Tom Dowd détaille chaque piste dans la vidéo suivante :
La coda de fin au piano est attribuée au batteur Jim Gordon. Dans les photos à l’intérieur du disque, on peut en effet voir ce dernier au piano.
Cependant, il semble que cette seconde partie du morceau ait en fait été composée par Rita Coolidge, compagne de Gordon à l’époque, et choriste sur le premier album solo de Clapton. Bien qu’elle ait affirmé en être l’auteur, avec le soutien de Bobby Whitlock (qui joue la partie de piano), elle n’a jamais été créditée. Cette chanson était décidément prédestinée pour déchainer les passions.
Un amour impossible
Sur ce texte déchirant, Clapton crie littéralement son amour à Pattie Boyd, la femme de son ami George Harrison. Il utilise le prénom de Layla pour ne pas avoir à avouer publiquement ses sentiments envers l’épouse du Beatle, mais il révélera peu de temps après la réelle identité de celle à qui était destinée la chanson, tout comme Bell Bottom Blues ou I looked away, présentes également sur l’album.
Même s’il finira par l’épouser en 1979, à l’époque de l’enregistrement de Layla (1970), Eric a l’esprit torturé par cette relation impossible, et ne peut se résoudre à renoncer à cet amour. Dans le refrain, il crie son désarroi :
Layla, you got me on my knees
Layla, tu me fais tomber à genoux
Layla, I’m begging darling please
Layla, je t’en prie chérie
Layla, darling won’t you ease my worried mind
Layla, chérie ne vas tu pas apaiser mon esprit tourmenté
Cette relation tumultueuse, au sein d’un triangle amoureux somme toute assez classique, affecte beaucoup Clapton qui trouve refuge dans l’héroïne. Les disparitions prématurées de Jimi Hendrix (18 septembre 1970) et Duane Allman (29 octobre 1971) finissent de le plonger dans une profonde dépression dont il ne se relèvera que plusieurs années plus tard.
Les premières versions live des années 70
C’est Pete Townshend qui le pousse à remonter sur scène dès 1973 au théâtre Rainbow à Londres pour deux concerts le même soir. Et le premier set débute justement par Layla, dont la version ne réapparaîtra que sur la réédition du live en 1995.
Pour les aficionados de guitare, il est à noter que ce concert au Rainbow est le premier où Clapton utilise sa fameuse guitare “Blackie” ( issue de 2 Stratocasters différentes : corps de 1956, manche de 1957). Autre détail, le deuxième set a été surnommé sur des enregistrements pirates comme le “Gibson show”, le guitariste jouant sur Les Paul.
Mais l’une des toutes premières versions live dont on a pu retrouver une trace enregistrée (malheureusement de piètre qualité) est celle du 1er décembre 1970, avec Duane Allman :
En dehors de cette exception, lorsqu’ils étaient en formation quatuor, les Dominos ne jouaient pas Layla sur scène, sans doute à cause de la complexité des arrangements, difficiles à reproduire avec un seul guitariste. Au cours des années 70, avec George Terry à la seconde guitare, Eric Clapton peut reprendre son morceau, et teste différents arrangements :
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avec un long solo de batterie, mais sans la coda au piano en 1974
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toujours pas de coda, mais avec un long duel de guitares en 1975
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toujours pas de coda, et le retour du solo de batterie en 1976
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toujours pas de coda, mais un final inédit en 1977
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toujours pas de coda, et le rajout de la wah-wah en 1978
On peut voir sur les rares vidéos de l’époque qu’il joue la chanson parfois sur “Blackie”, et d’autres fois sur “Brownie” comme sur l’album.
Sur la tournée 1979 (année où il se marie avec Pattie Boyd), cette fois avec Albert Lee à la seconde guitare, Layla est bien jouée (avec encore la wah-wah et toujours pas de coda), mais ne figurera pas sur le live Just one night qui sort en 1980.
Les versions des années 80
Il faut attendre l’année 1983 pour réentendre Layla sur scène. La coda fait sa réapparition sous une forme qui va perdurer pendant toutes les eighties : le thème du piano est repris à la guitare solo, et parfois doublé en guitares harmonisées, comme sur cette version au concert de charité “ARMS”, qui réunit le trio légendaire des Yardbirds : Eric Clapton, Jeff Beck et Jimmy Page, excusez du peu ! (Les plus attentifs remarqueront Bill Wyman à la basse et Charlie Watts à la batterie, le fidèle Chris Stainton au piano et l’excentrique Ray Cooper aux percussions, et les soucieux de détails noteront que Jimmy Page joue sur Telecaster, même s’il ne s’agit pas de sa mythique “Dragon”).
L’année 1985 est celle du Live Aid et de la tournée Behind the sun qui donne lieu à la sortie en vidéo du concert Live’85. Sur ces versions, Clapton ajoute une intro jouée à la guitare et aux claviers, avant d’entamer le riff légendaire, acclamé par le public. Sur la coda, il double seul la mélodie du piano.
En 1988, c’est avec Mark Knopfler en deuxième guitariste qu’il reprend le duo de guitares harmonisées sur le final. L’intro est toujours présente, avec Alan Clark, de Dire Straits.
La version acoustique des années 90
En 1992, Eric Clapton enregistre le live Unplugged pour l’émission sur MTV. Layla va connaitre une seconde jeunesse avec une version acoustique et en rythme ternaire.
Il reprend la chanson sous cette forme en 1997 lors du concert de charité en faveur des victimes de l’ouragan sur Montserrat, avec Mark Knopfler à la Les Paul :
Depuis, en concert, il alterne la version électrique comme par exemple au Madison Square Garden en 1999, ou pour le 50e jubilé de la Reine en 2007 avec entre autres Phil Collins, et la version acoustique comme plus récemment sur sa tournée 2014 ou encore l’année dernière à Hyde Park.
Pour terminer, une version en 2006 avec Derek Trucks (neveu de Butch Trucks, batteur du Allman Brothers Band). Ce guitariste prodige au toucher unique à la slide, ravive la mémoire du grand Duane Allman, qui avait insufflé à Eric Clapton l’inspiration pour composer ce morceau de légende.
© Jean-François Convert – Janvier 2019
Merci pour cette histoire détaillée que je ne connaissais que dans les grandes lignes… j’en aime d’autant plus le morceau… bravo !
Merci pour cette plongée historique
Mon approche centrée sur le texte, et la traduction que j’en propose :
http://www.rocktranslation.fr/2018/10/eric-clapton-layla.html
merci pour le lien