Hier soir j’ai regardé le film ‘Ennio : The Maestro’ de Giuseppe Tornatore. Il est disponible sur le replay d’Arte jusqu’au 21 mars.

Je l’avais raté à sa sortie en salles il y a 3 ans, mais hier soir j’ai enfin regardé le film Ennio (The Maestro) de Giuseppe Tornatore sur la plateforme Replay d’Arte. Un long documentaire de près de 2h30 qui explore l’œuvre monumentale d’Ennio Morricone, sans doute le plus célèbre compositeur de musiques de films, lui qui en a signé plus de 500, pour la télé et le cinéma ! Rien que sur l’année 1969, 21 films sont sortis en salles avec une bande son signée de sa main !
On connait moins ses pièces de « musique absolue », mais il en est question dans ce long-métrage, et on comprend que Morricone est parvenu a réussir la prouesse de faire converger les deux styles. On apprend aussi qu’il a failli arrêter de composer pour le cinéma à plusieurs reprises dans sa vie, notamment à l’époque du film Mission (1986), mais qu’il a finalement changé d’avis. Le film met également en lumière la relation avec sa femme, la première personne à écouter ses compositions et qui souvent faisait le « tri » dans les propositions à envoyer aux réalisateurs. Si bien que comme il le dit lui-même, beaucoup de cinéastes ont en réalité bénéficié des musiques qu’appréciait madame Morricone !
Grand fan du compositeur, j’avais déjà pas mal lu sur lui, notamment à travers des ouvrages sur Sergio Leone. Mais j’ai beaucoup appris avec ce documentaire. Je ne savais pas :
- qu’il avait composé une symphonie en hommages aux victimes des attentats du 11 septembre 2001
- qu’il avait déjà composé pour des westerns avant ceux de Leone
- que certaines de ses musiques étaient totalement improvisées en studio, notamment celles dissonantes pour les thrillers
- qu’il avait été contacté par Kubrick pour Orange mécanique, mais que Leone a prétexté que Morricone était encore occupé pour Il était une fois la révolution. Ce que le compositeur explique comme un mensonge de la part de Leone (et en quelque sorte un veto pour garder son collaborateur rien que pour lui). Morricone ajoute que c’est son plus grand regret de ne pas avoir travaillé sur le film de Kubrick qui ne l’a jamais recontacté.
- que Leone avait d’abord envisagé d’illustrer la dernière scène de duel dans Pour une poignée de dollars avec le traditionnel Deguello, déjà utilisé dans Rio Bravo, mais que Morricone a insisté pour composer sa propre musique, dans le même esprit :
Beaucoup d’aspects de sa vie sont abordés, entre autres sa complicité avec Leone. Lorsque ce dernier lui demande de composer la musique de son premier western en 1964, Morricone le reconnait pour l’avoir côtoyé sur les bancs de l’école. Deux anciens camarades de classe, un peu comme Jagger et Richards ! Et les films sur lesquels ils ont collaborés sont tout naturellement cités. La trilogie du dollar bien sûr, et bien évidemment Il était une fois dans l’ouest, largement présenté avec Edda D’ell Orso expliquant qu’elle a immédiatement senti la mélodie et l’a chantée sans avoir eu besoin de la répéter. Il était une fois la révolution n’est que brièvement évoqué.

On voit également un extrait du tournage de Il était une fois en Amérique avec la musique diffusée sur le plateau. J’avais bien sûr déjà lu à ce sujet, mais je n’avais encore jamais vu d’exemple concret. Et toujours à propos de ce même film, on voit et entend Morricone jouer Deborah’s Theme, seul au piano. Un de ses plus beaux morceaux, sinon son plus beau, à mon gout, et sur lequel il s’exprime :
« C’était un thème fait de silences, de pauses, ce que j’aimais beaucoup ».
Ennio Morricone à propos de “Deborah’s Thème”

Le documentaire insiste sur la qualité de la bande originale de Il était une fois en Amérique, et plus précisément sur l’impact qu’elle a eu quant à la perception de l’œuvre de Morricone par ses pairs. Ainsi, le compositeur Boris Porena avoue n’avoir pas apprécié tout de suite sa musique mais à fini par le faire, au point de lui envoyer une lettre d’excuse. Il explique : « La révélation définitive est venue avec la musique de ‘Il était une fois Amérique’. Cette musique n’aurait pas pu être écrite par quelqu’un qui n’était pas profondément musicien. C’est une musique qui ne reste pas à la surface des choses. Elle les pénètre. Elle les créé. C’est lorsque j’ai compris ça que j’ai compris Morricone. Pas avant ». Après avoir assisté à la projection du film, Porena a renchéri : « il y a quelque chose qui va au delà de la conception qu’on se fait normalement de la musique de film ».

Et quand il ne les joue pas au piano, Morricone fredonne ses thèmes les plus connus. Il explique comment il compose et on perçoit son immense culture musicale, lui qui dans son enfance « était nul en solfège ». Le film met l’accent sur sa vision esthétique et artistique. Plusieurs exemples montrent sa capacité à avoir su imposer ses idées, parfois contre l’avis des réalisateurs qui à chaque fois ont admis après coup qu’il avait raison.
« Il a une capacité d’interprétation du cinéma bien plus intéressante que la notre »
Le réalisateur Roberto Faenza
Ce sont les passages les plus intéressants du film à mon sens, et qui permettent de comprendre (un peu) la façon dont Morricone conçoit la musique. Il raconte par exemple que Le clan des Siciliens a été sa musique « la plus compliquée ». Il précise : « le thème m’a demandé beaucoup de travail. » Et il explique ensuite que le contrepoint est basé sur les notes correspondant aux lettres qui forment le nom de BACH, le tout complété par un thème musical sicilien ! Il en va de même avec la combinaison de trois styles musicaux (thème du hautbois, thème liturgique du Motet, thème ethnique des indiens) pour Mission. Une science indéniable de la musique, qui dépasse très largement la simple illustration d’images.
« Selon moi une musique de film doit avoir un sens en soi pour rendre justice au film auquel elle est destinée »
Ennio Morricone
Un autre élément essentiel de son travail est d’avoir très souvent recyclé ses propres compositions. Bien que l’exemple le plus célèbre (Chi Mai issu de Maddalena et réutilisé dans Le professionnel) ne soit pas cité, cette méthode est parfaitement exposée en rappelant que parfois elle était à l’initiative du réalisateur, contre l’avis de Morricone. C’est notamment le cas avec Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon :
Le film raconte aussi forcément nombre de ses autres collaborations dont celle avec Joan Baez sur Sacco & Vanzetti qui a donné le tube Here’s to you, ou encore sa rencontre avec le réalisateur Giuseppe Tornatore pour le film Cinema Paradiso à la fin des années 80. Ce même Tornatore qui célèbre donc Morricone dans ce documentaire foisonnant avec de nombreux intervenants (réalisateurs, acteurs, producteurs, compositeurs, musiciens, membres de la famille…), des images d’archives et bien sûr des interviews de Morricone lui-même.
Le Maestro est mis en scène dès le début dans une séquence d’introduction singulière où on le voit faire ses étirements qu’on imagine quotidiens et ensuite diriger la musique qu’il entend probablement dans sa tête, chez lui dans son bureau envahi de partitions. On observe même un point de vue en caméra subjective comme si on était dans son esprit, en voyant ses mains battre la mesure et conduire un orchestre imaginaire. Une image du compositeur et chef d’orchestre solitaire qui ressent viscéralement sa musique, et y trouve une dimension presque métaphysique.
« Il y a un côté très spirituel en lui. Il peut réveiller en nous des énergies dont on ne soupçonnait pas l’existence »
La Chanteuse Dulce Pontes




Les superlatifs ne manquent pas pour qualifier le génie d’Ennio Morricone et le film est bourré de commentaires élégiaques à son encontre, de la part d’autres artistes, dont certains que je ne m’attendais pas à entendre parler de lui. Quelle ne fut pas ma surprise de voir Bruce Springsteen ou Pat Metheny dans un documentaire sur Morricone ! Le Boss a en effet diffusé la musique de Il était une fois dans l’ouest lors de ses concerts, tandis que le guitariste virtuose de jazz a adapté les différents thème de la bande originale de Cinema Paradiso à la six-cordes.
Bruce Springsteen : « il a défini ce que la musique serait »
Pat Metheny : « le plus grand modèle que j’ai jamais eu »
Impossible de les citer toutes, mais ce florilège de phrases entendues dans le film témoignent de l’admiration universelle portée à Ennio Morricone :
- Quincy Jones & Quentin Tarantino : « mon compositeur préféré de tous les temps »
- Bernardo Bertolucci : « Ennio a réussi à fusionner la prose et la poésie »
- Nicola Piovani (compositeur) : « Sa musique, c’est la grande musique du 20e siècle »
- Marina Cicogna (productrice) : « Il ne prend pas la grosse tête mais il est devenu une sorte d’icône »
- Fabio Venturi (ingénieur du son) : « Il n’y a pas d’endroit où il ne soit pas accueilli comme une pop star »
- Pat Metheny : « Quand on écoute sa musique, il est difficile de trouver quelque chose de comparable dans la musique de film. Il faut chercher ailleurs, parmi les grands maîtres comme les Beatles, Bach, ou Charlie Parker »
Oui, un « Maestro » à n’en pas douter. Un immense mélodiste qui pourtant affirmait ne pas aimer la mélodie ! Un musicien touche-à-tout qui selon ses propres dires « devait savoir tout faire, de la symphonie à la chansonnette ». Un compositeur de génie dont la musique nous transcende et accompagne nos vies, en tout cas la mienne sans hésitation. Merci pour tout Ennio.
Vous avez jusqu’au 21 mars pour (re)voir ce film sur Arte.tv. Et vous pouvez également retrouver toutes mes chroniques concernant Ennio Morricone sur la page qui lui est dédiée :
© Jean-François Convert – Mars 2025
bravo pour cet hommage
Quand la musique du film devient plus célèbre que le film lui-même, c’est bien le talent des notes qui parle, au lieu des acteurs.