Genesis : Ne devrait-on pas parler de période “Hackett” plutôt que “Gabriel”?

Quand on parle de Genesis, on oppose toujours l’ère “Phil Collins” à l’ère “Peter Gabriel”. Mais si on y regarde (ou plutôt écoute) de plus près, on s’aperçoit que musicalement, la rupture ne s’est pas vraiment faite au départ de Gabriel, mais plutôt 2-3 ans après. Explications.

Genesis

Deux Genesis ?

Pour faire simple, les auditeurs distinguent généralement 2 Genesis :

  • celui des débuts, dans un style rock progressif flamboyant, théâtral, épique…c’est la période dite “Gabriel” qu’on situe grosso-modo dans les seventies, sans trop rentrer dans les détails.
  • celui des tubes à succès, dans un style pop-rock FM, aux morceaux formatés et taillés pour la radio. C’est la période dite “Collins” dont le style évoque instantanément les eighties, époque où on situe donc ce “deuxième” Genesis.

La réalité est légèrement plus subtile. Regardons un peu plus en détails la discographie du groupe, pour voir les différentes époques, et les changements d’orientation musicale.

1970-1977 Genesis première version

Les débuts

Genesis débute en 1969 avec un album From Genesis to Revelation qui ne connaitra pas un grand succès, en partie parce qu’il était souvent classé par erreur dans les bacs de musique sacrée au lieu de rock ! Une succession de morceaux pop plutôt courts en comparaison avec la suite de leur discographie, aux ambiances psyche-rock de fin sixties, où le groupe se cherche encore.

Trespass est plus souvent considéré comme leur premier véritable album. C’est d’ailleurs comme ça qu’il apparait dans la collection “remasters” du milieu des années 90, la liste des albums remasterisés figurant dans la page centrale du livret de chaque album. La discographie “officielle” du groupe commence en 1970 avec Trespass :

Exemple du livret du CD A trick of the Tail Remastered 1994

Trespass ne contient que 6 morceaux, entre 4 et presque 9 minutes. Même si Phil Collins et Steve Hackett ne sont pas encore arrivés, le style de Genesis “première version” est déjà là : des arrangements complexes, des ruptures de tons, de rythmes, des mélodies alambiquées, des morceaux qui s’affranchissent de la formule couplet/refrain, et des thèmes mêlant ésotérisme, heroic fantasy, science fiction, mythologie antique ou légendes moyenâgeuses.

Ma chronique de l’album

Difficile de dire qui est aux commandes : le guitariste Anthony Philipps est plutôt moteur dans les compositions des musiques, ainsi que Tony Banks qui aligne des mélodies dantesques à quasiment chaque morceau. Peter Gabriel a déjà une voix bien affirmée, mais n’a peut-être pas encore le charisme scénique qui va caractériser le groupe dans les albums suivants.

Arrivée de Phil Collins et Steve Hackett

En 1971 pour l’album Nursery Cryme, le batteur et le guitariste sont remplacés, respectivement par Phil Collins et Steve Hackett. La musique continue sur la même lancée, et Gabriel s’affirme comme le leader, par sa présence scénique, qui occulterait presque les quatre autres, concentrés à exécuter leurs parties instrumentales complexes.

Ma chronique de l’album

L’album suivant Foxtrot culmine dans la recherche musicale, l’expérimentation et la composition architecturale des morceaux, avec le fameux Supper’s Ready de 23 minutes.

Ma chronique de l’album

Cette symphonie rock, “en sept tableaux”, est une œuvre collective, comme la plupart des morceaux, qui sont d’ailleurs crédités “Genesis”. Mais sur scène, Peter Gabriel s’impose comme l’attraction principale, en introduisant de plus en plus de théâtralité, notamment avec ses fameux masques.

The musical box, version “vieillard” :

The musical box, version “Renard” :

Mais cette présence au charisme indéniable ne saurait éclipser l’impressionnante musicalité qui structure les morceaux.

L’apogée musicale du groupe

On peut considérer Foxtrot (1972) et Selling England by the pound (1973) comme les points culminants de Genesis première mouture. Les véritables épopées musicales que sont Watcher of the skies, Firth of fifth, Cinema show…témoignent d’une maitrise parfaite de la composition et de l’écriture. Les mélodies et les arrangements rivalisent avec les textes poétiques, surréalistes, à mi-chemin entre essais philosophiques et Lewis Caroll.

Pour une simplification des droits d’auteur, les morceaux sont encore signés collectivement, mais on sait que certains sont des œuvres individuelles. La paternité de Firth of fifth par exemple, revient entièrement à Tony Banks, paroles et musique, même si l’interprétation de tous les membres réunis, apporte évidemment une autre dimension à la chanson. Le solo de Steve Hackett est bien sûr légendaire, mais il n’est « que » le reflet de la superbe mélodie de Banks.

Ma chronique de cette chanson, « à la loupe »

Voici une version live de 1974, où la chanson est introduite en français :

De cette période, Peter Gabriel dira plus tard que The Battle of epic forest a été le morceau où, selon lui, ils sont allés “trop loin” dans la dissociation texte/musique. Il estimait qu’il y avait un trop grand décalage entre le contenu (l’histoire de 2 bandes rivales) et le contenant (une chevauchée musicale épique composée de plusieurs mouvements, et de multiples thèmes instrumentaux).

Ma chronique de l’album

Est-ce pour ça qu’il décide sur l’album suivant d’une écriture plus uniforme, en accouchant d’un concept-album, racontant une histoire de bout en bout ?

The lamb lies down on Broadway sera le dernier opus de Genesis avec Peter Gabriel. L’histoire de Rael (anagramme de “Real”, et quasiment au même moment où se fonde la tristement célèbre secte du même nom) dans un New York futuriste. Les textes sont tous signés du chanteur-leader, à part peut-être Lilywhite Lilith au crédit de Phil Collins (qui chante également le lead).

Ma chronique de l’album

Suit une tournée qui prend des dimensions pharaoniques avec projections d’images derrière les musiciens, costumes délirants, et mise en scène non moins exubérante.

A la fin de la tournée, Peter Gabriel quitte le groupe.

Période de transition

Contre toute attente, Genesis se relève de la désertion de son leader. Collins prend le chant lead de façon permanente, sachant qu’il l’avait déjà fait sur plusieurs chansons : For Absent Friends, More Fool Me, Lilywhite Lilith, Here Comes The Supernatural Anaesthetist

Et le groupe sort coup sur coup deux excellents albums : A trick of the Tail (1976) et Wind and wuthering (1977), et prouve qu’il n’a rien perdu de sa superbe.

La voix de Collins fait parfois presque penser à celle de Gabriel, et la musique reste du même acabit : longues envolées instrumentales, et textes non moins épiques, comme par exemple One for the Vine, signé encore une fois Tony Banks :

Ces deux albums sont clairement dans la même lignée que ceux avec Peter Gabriel. Le changement va avoir lieu sur le disque suivant, après le départ de Steve Hackett qui tente lui aussi sa chance en solo.

Pour être tout à fait exact, il sort son premier album solo Voyage of the acolyte en 1975, soit la même année que le départ du leader de Genesis. Phil Collins et Mike Rutherford y participent. John Hackett, le frère de Steve, joue, entre autres instruments, de la flûte, prenant ainsi en partie le rôle tenu par Peter Gabriel.

Les fans du guitariste qualifient ironiquement cet album comme “le meilleur jamais enregistré par Genesis” ! Au-delà de la boutade, cette réflexion est néanmoins symptomatique de l’apport de Steve Hackett à la musique du groupe. Et c’est après son départ, réellement effectif en 1977, à la fin de la tournée enregistrée pour le live Seconds out, que la musique de Genesis va changer radicalement.

1978-1994 Genesis deuxième version

Le virage pop

En 1978 sort And then they were three, en référence aux 3 musiciens restant : Phil Collins assure le chant et la batterie, Mike Rutherford les guitares et la basse, et Tony Banks les claviers. En concert, Chester Thompson et Daryl Stuermer viennent prêter main forte, respectivement à la batterie et à la guitare/basse. A noter que Thompson était déjà présent depuis la tournée précédente, après un court passage de Bill Bruford (ex-Yes et King Crimson).

Le moins que l’on puisse dire, est que les morceaux passent à des formats beaucoup plus standards : des chansons “courtes”, des structures classiques couplet/refrain, et des mélodies pop que le grand public peut entonner, à l’instar de Follow you follow me, ou Many too many.

Cette orientation se confirme dans l’album suivant Duke (1980), avec les tubes Misunderstanding ou Turn It On Again

Les clips vidéo, alors en plein essor, ajoutent au virage pop, lorgnant clairement vers les radio FM et le grand public, alors que les albums avec Gabriel et Hackett témoignaient d’une exigence artistique et d’une intégrité intellectuelle quelque peu différente.

Les tubes des années 80-90

La décennie des eighties enfonce le clou : Genesis est devenu un groupe taillé pour remplir les stades, et cartonner au box-office. Les tubes s’enchaînent, et le succès ne faiblit pas. Les albums Abacab (1981), Genesis (1983), et Invisible Touch (1986) regorgent de morceaux qui figurent parmi les plus connus du groupe : No Reply At All, Mama, Land of Confusion, Invisible Touchla plupart avec des clips qui ont marqué leur époque

Même si Tony Banks compose encore nombre de mélodies, Phil Collins s’affiche clairement comme le leader du groupe, et la musique de ces années porte fortement son empreinte. Sa carrière solo parallèle à succès n’y est d’ailleurs pas étrangère.

Il est cocasse de noter que parmi tous les membres du Genesis première période, le seul n’ayant pas eu de succès en solo est Tony Banks, celui qu’on surnomme “Monsieur Genesis” tant il est l’auteur de nombre ritournelles du groupe. En effet, Peter Gabriel, Phil Collins, et dans une moindre mesure Steve Hackett et Mike Rutherford (certes un peu plus anecdotique avec Mike and the Mechanics) ont chacun connu une carrière en dehors de Genesis, avec un public toujours fidèle. Il n’en va pas de même pour Tony Banks, qui a pourtant publié plusieurs disques sous son nom, mais qui ne sont pas restés à la postérité. On peut citer son dernier en date Five (2018), entièrement instrumental et orchestral, mais où on reconnait bien la patte mélodiste de “Monsieur Genesis”. Ironie du sort, celui qui est à l’origine de nombreux morceaux piliers du groupe n’aura pas connu la gloire en son nom seul.

Enfin, le groupe connait un dernier grand succès en 1991 avec l’album We can’t dance, puis un disque anecdotique en 1997 Calling All Stations, sans Phil Collins, remplacé par Ray Wilson.

Après avoir longuement espéré une reformation du line-up originel, le public se contente en 2007 des retrouvailles du trio Collins-Banks-Rutherford pour leur dernière tournée à ce jour sous le nom de “Genesis”.

En résumé

En conclusion, si on devait identifier deux grandes périodes du groupe sur le plan musical, et pas forcément en lien avec les membres, on pourrait découper ainsi :

  1. une première époque allant de Trespass à Wind and wuthering caractérisée par un style rock progressif, mouvement dont Genesis était d’ailleurs fer de lance, avec Yes. (si les sixties opposaient Beatles et Stones, dans les seventies, les fans se disputaient souvent le leadership du “prog-rock” entre Yes et Genesis)
  2. une deuxième époque allant de And then they were three à Calling All Stations, dans un esprit beaucoup plus pop-rock FM (ce terme n’étant pas forcément péjoratif)

Le tout premier album restant vraiment à part, et témoignant plutôt d’un groupe en devenir… qui est justement devenu une véritable institution dans l’histoire du rock.

© Jean-François Convert – Mai 2019

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8 commentaires sur “Genesis : Ne devrait-on pas parler de période “Hackett” plutôt que “Gabriel”?

  1. Je suis 100 % d’accord. Parler de période Gabriel ou Collins n’a pas de sens étant donné que les albums entre 1971 et 1977 sont de la même facture, avec des qualités et des aspects inégaux certes, mais on reste dans un même esprit. L’absence de Steve Hackett se sent d’ailleurs lourdement sur And then there were three qui n’est pas un très bon album selon moi. Pour, l’album Duke qui a suivi Genesis semble avoir digéré cette absence et fait partit des meilleurs du groupe. En ce qui concerne le virage « pop » que l’on attribue souvent à tort à Phil Collins (Banks et Rutherford ont toujours eu l’ambition de faire des tubes et on refusé la proposition de Collins de faire d’Abacab un double album sous prétexte que ce n’était pas assez commercial…) il faut bien se dire que s’il n’avait pas été prit, Genesis serait tombé dans l’anonymat très vite ! Non seulement ils ont su prendre ce virage, mais ils en ont même défini certains code. Pour autant ils n’ont jamais totalement abandonné le côté prog et ont signé quelques monuments. De plus, leurs chansons dites « pop » ont globalement toujours été de qualité. Pour finir, l’album We can’t dance dure 72 minutes, soit un double album vinyl et comporte toutes sortes de chansons et en particulier un retour prog inattendu. En effet un titre comme Living Forever et finalement assez proche d’un titre comme the cinema show. On sent même le plaisir qu’ils ont à le jouer sur la partie instrumentale. Fading Light, pareil. Si on ajoute Driving in the last pike, Dreaming While you spleep et même Non son of mine on a 40 minutes sur cette album qui est dans l’esprit du « vieux » Genesis. Certaine chanson semblent être dispensable (Hold on my hearts, Since I lost you) mais Jesus He Knows me (censuré sur certaines radio et tv US) ou le très original I can’t Dance sont du très bon Genesis.
    Bref, tout ça pour dire que Genesis n’a jamais fait dans l’esbrouffe comme Pink Floyd par exemple, n’ont jamais chercher à se la raconter et on souffert d’une image « pas cool ». En vrai, qu’y a t’il de plus cool que de ne pas se soucier de ce qu’on pense de vous ? Genesis est pour moi, Beatles à part, le plus grand groupe de tous les temps.

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  2. Je suis clairement en accord avec cette idée. C’est bien « Wind and Wuthering »qui est le dernier album de la première période de Genesis. Ca n’enlève rien à l’empreinte de Peter, qui a marqué profondément le groupe, par son génie de l’écriture et de la présence scénique.

    Je suis en train de relire « Toute l’Aventure » en ce moment. Je ne peux pas affirmer que le départ de Steve est réellement la cause du virage effectué par le groupe à ce moment-là. J’ai plutôt tendance à reporter sur la mode d’alors et le comportement mercantile des majors la responsabilité de la quasi-disparition du mouvement progressif à cette période. Cela, accumulé avec l’apparition des radios libres et l’envahissement de la publicité et du marketing, générant la dictature des formats courts, a massacré la créativité.

    Par contre, Genesis a su retrouver plus tard la veine dramatique qui l’habitait entre 1970 et 1978, notamment avec leur dernier album qui reste pour moi un chef-d’oeuvre de fin de carrière, avec des titres à vous arracher le coeur de la poitrine.

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  3. Jeff,

    En tant que grand fan de Genesis, je te rejoins sur ton analyse. J’ai une question : que penses-tu de Steve Hackett et Mike Rutherford en tant que guitaristes?

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    1. Steve a un style très particulier, virtuose et imaginatif. Je trouve qu’il excelle pour sortir des schémas classiques qu’on entend chez les autres guitaristes. Dès Nursery Cryme il a su montrer une utilisation de la guitare différente de ce qu’on entendait alors, sauf peut-être chez Robert Fripp.
      Mike est très bon en tant que bassiste et arrive à jouer simultanément aussi de la guitare et des bass pedals ce qui est loin d’être aisé. En tant que guitariste, je ne lui trouve rien de spécial, mais j’avoue que je connais beaucoup moins bien le Genesis des eighties

    2. Bonjour,

      Mike, avec la modestie qu’on lui connait, ne s’est jamais caché être un guitariste d’un niveau en-dessous des grands virtuoses. Il a souvent dit qu’il n’était pas aussi bon que Steve, et ce dès que Steve intègre le groupe. Et ça n’enlève rien à tout ce qu’il a fait, ni à son jeu que ce soit en studio ou sur scène. D’ailleurs, il a sans cesse progressé.

      Steve, lui, est manifestement un virtuose, avec une technique et une maitrise impressionnantes, une capacité à composer et une créativité énormes, et un jeu d’une très grande sensibilité malgré son caractère impressionnant. Il ne joue pas l’esbrouffe et n’est pas en permanence en représentation de son immense talent (comme le fait un Satriani par exemple). Ecouter sa discographie est toujours un ravissement.

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  4. sans steve hackett c est du phil collins en solo c est la meme chose pour moi

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    1. vous n’avez donc jamais écouté Phil Collins en solo…

  5. Plutôt d’accord avec cette analyse, ce qui n’ote rien à l’immense talent de Gabriel. Par contre les puristes et nostalgiques de la période prog-rock devraient se pencher un peu plus sur les chefs-d’œuvre de la seconde période comme par exemple :  »tonight tonight »,  »dodo »,  »man of our time » et tant d’autres jusqu’au dernier album. Pour faire une parralelle, ça me fait penser à ceux qui disent que les Stones après Brian Jones c’est fini! Genesis, le groupe de ma vie.

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