Il y a 50 ans, Genesis débutait réellement avec “Trespass”

Le 23 octobre 1970 sortait ce deuxième album du groupe, souvent considéré comme le premier véritable opus affirmé de leur discographie.

Le deuxième disque, mais le premier « album »

Genesis débute sa carrière en 1967, et sort un premier disque en 1969 : From Genesis to Revelation, aux influences très pop, dans le style des Beatles ou des Bee gees de l’époque. Il s’agit d’un assemblage de chansons courtes, compilées par le producteur Jonathan King, mais on ne peut pas vraiment encore parler d’oeuvre homogène avec un fil conducteur, bien que King ait tenté d’en faire une sorte d’album-concept, ajoutant des arrangements de violons de son cru.

C’est un échec commercial, du en partie au fait que le disque est rangé dans la catégorie musique religieuse à cause de son titre prêtant à confusion. le groupe se sépare de King, qui réutilisera ses droits jusqu’à épuisement du filon en rééditant maintes fois le disque.

Aussi, lorsqu’ils signent en 1970 avec le label Charisma Records, tout juste fondé quelques mois auparavant, les 5 membres de Genesis prennent un nouveau départ, une nouvelle orientation musicale, clairement prog. Et Trespass marque le début de cette nouvelle ère pour le groupe, avec une démarche résolument tournée vers le concept d’album, au sens global du terme, avec une histoire ou des histoires, mais reliées par un socle commun. Et le fait de considérer Trespass comme le « premier » album se retranscrit par exemple dans l’affichage du catalogue du groupe au sein des livrets des rééditions remaster de 1994 :

► Lire ma chronique sur les différentes périodes dans la discographie de Genesis

Le virage prog

Après les chansons courtes à couleur pop du premier disque, Genesis opte pour un style différent : le genre musical alors en plein essor en Angleterre, le rock progressif. Porté par King Crimson, Yes, Pink Floyd ou ELP, le « prog-rock » s’affranchit du format couplet-refrain pour explorer des univers musicaux au croisement du classique, du psyché-rock, du jazz ou de la musique contemporaine. les morceaux sont pensés comme des pièces de musique classique, avec des mouvements, des orchestrations complexes, et des développement de thèmes mélodiques et rythmiques poussant les durées parfois au-delà des 20 minutes, la limitation restant la place disponible sur une face de disque vinyle, aux alentours des 23 minutes. Côté textes, les inspirations proviennent de récits mythologiques, de légendes moyenâgeuses, celtes, ou nordiques, ou carrément de l’univers de la science-fiction, à travers des paroles parfois obscures ou à tendance ésotérique.

Et Genesis embrasse ce courant musical au point d’en devenir l’un des hérauts pendant la majeure partie des seventies. Trespass ne compote que six morceaux, trois par face, le plus court Dusk dépassant les 4 minutes, et les cinq autres se situant autour des 7 minutes en moyenne, le final The knife avoisinant les 9 minutes. C’est d’ailleurs ce titre qui inspire le visuel de la pochette, dont l’illustration ne prend son sens, qu’une fois dépliée. Ce sera la cas de quasiment toutes les pochettes de Genesis durant les années 70.

Genesis trespass

Une pochette lacérée

Celle de Trespass a une histoire singulière : la peinture est signée Paul Whitehead (qui fera aussi celles de Nursery Cryme et Foxtrot) représentant les thèmes pastoraux de certains chansons (sans doute notamment White mountain). Whitehead a déjà terminé son illustration lorsque le groupe rajoute le morceau The knife à la liste des chansons. Trouvant que l’image ne colle plus vraiment à l’ambiance de l’album, les membres de Genesis demandent au graphiste de la refaire. Devant sa réticence, ils lui suggèrent alors de taillader littéralement la toile avec un réel couteau !

Quant au morceau, il reste un classique du groupe sur scène pendant plusieurs années :

Et même après le départ de Peter Gabriel :

Six chansons épiques

Outre le final The knife qui termine l’album en apothéose, les cinq autres morceaux ne sont pas en reste en terme de souffle épique ou balade mystique. La voix de Gabriel est intensément expressive, et sa flûte traversière (à l’instar de Ian Anderson dans Jethro Tull) la relaie pour des mélodies plaintives ou aériennes. Les claviers de Tony Banks sont au cœur du son du groupe et « Monsieur Genesis » s’affirme déjà comme le compositeur central avec des phrases mélodiques devenues des classiques comme celles de Stagnation, Looking for someone, ou Visions of angels.

Rutherford excelle à la basse, mais il n’a pas encore trouvé le binôme parfait qu’il exercera avec Collins. John Mayhew se cantonne en effet dans un registre rock pas suffisamment subtil pour les compositions très travaillées du groupe. Les guitares d’Anthony Phillips alternent saturation électrique en riffs ou solos nerveux, et arpèges acoustiques cristallins avec une tendance folk comme dans Dusk ou White mountain, un morceau ou la rythmique s’emballe dans la deuxième partie de chaque couplet.

White mountain vu par © Denys Legros

Avec ses changements d’atmosphères au sein d’un même morceau, ses ambiances si particulières entre musique baroque et rock post-psychédélique, Trespass jetait les bases du style Genesis, qui allait être peaufiné et sublimé dans les albums suivants. Un acte fondateur de la carrière du groupe, et du rock progressif en général. C’était il y a tout juste un demi-siècle.

© Jean-François Convert – octobre 2020

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