Avec ce double album, Genesis passait au format chansons courtes enchaînées, plutôt que longs morceaux épiques, sauf sur un ou deux. Retour sur le dernier opus du groupe avec Peter Gabriel.
Sommaire
Un concept-album
En 1974, Genesis est déjà bien installé comme héraut du rock progressif anglais, aux côtés de Yes, King Crimson, Pink Floyd…pour ne nommer que les plus connus. Après des albums portés par des longues pièces épiques de 8, 10, 12 voire plus de 20 minutes, le groupe opte pour un format différent : un double vinyle, qui raconte une histoire du début à la fin à travers des chansons, plutôt courtes (à part une ou deux), et qui s’enchaînent la plupart du temps. Un concept-album, à mi-chemin entre Tommy des Who (1969) et The Wall de Pink Floyd, qui paraîtra 5 ans plus tard (chronique prévue dans un peu moins de 2 semaines, pour ses 40 ans: le 30 novembre).
Cette histoire quelque peu fantasmagorique, dans un New York futuriste, est essentiellement l’oeuvre de Peter Gabriel, dont ce sera la dernière contribution à la discographie du groupe. Il imagine les aventures de Rael (anagramme de “Real”, et quasiment au même moment où se fonde la tristement célèbre secte du même nom), new-yorkais d’origine porto-ricaine, et de son frère John. Ils voyagent à travers des mondes fantastiques et y croisent des créatures toutes plus étranges les unes que les autres.
Les textes sont tous signés par Gabriel, à part peut-être Lilywhite Lilith parfois indiqué au crédit de Collins. Les musiques en revanche sont la plupart du temps collectives. Une œuvre de groupe où chaque musicien apporte sa créativité.
Un musique complexe et variée
Comme dans tout concept-album, on retrouve des rappels mélodiques d’un morceau à l’autre, des renvois de phrases musicales qui assurent une continuité et une homogénéité. L’exemple le plus frappant est The Light Dies Down On Broadway qui mixe les mélodies du morceau-titre avec The Lamia :
Tony Banks compose comme à son habitude des mélodies imparables et des parties de piano ou synthé à la fois volubiles, expressives et grandiloquentes : que ce soit l’intro du tout premier morceau-titre, le riff en 5/4 de Back In NYC, les arpèges de Anyway, les chœurs fantomatiques de Silent Sorrow In Empty Boats, ou les arabesques synthétiques (au Moog ?) de Riding The Scree et Colony Of Slippermen. Ce morceau est le deuxième de l’album à dépasser les 8 minutes, et renoue ainsi avec les standards du groupe des années précédentes.
Michael Rutherford tisse des rythmiques ardues, à la basse ou la 12 cordes : The Chamber Of 32 Doors, le final It, et surtout In The cage, le premier morceau “long” du disque. Changements de rythmes, de tonalités d’ambiances…du pur Genesis
Steve Hackett brille de mille feux : des solos alambiqués sur Fly On A Windshield, Here Comes The Supernatural Anaesthetist ou The Lamia, à la ritournelle finale de It, en passant par ses phrases en style “violoning” (effet obtenu avec une pédale de volume pour amener le son après l’attaque) sur Hairless Heart (morceau qu’il reprend lors de ses concerts en solo) ou le magnifique Carpet Crawlers, sans parler de ses autres incursions, que ce soit en rythmique ou en lead. Une jam en studio sur ce qui allait devenir l’expérimental The Waiting Room, permet d’entendre l’influence majeure qu’a eu le musicien sur le groupe à cette période (lire ma chronique à ce sujet) :
Phil Collins quant à lui, maintient une assise rythmique à la fois solide et subtile, riche et foisonnante. Il peut être aussi bien sur un registre rock dans Lilywhite Lilith, pop swinguante avec Counting Out Time, ou tout en syncopes et contretemps sur Fly On A Windshield. Mais en plus de maitriser les fûts comme jamais, il offre également de très belles parties vocales, notamment sur Carpet Crawlers, un des plus beaux morceaux de Genesis (et pas loin d’arriver en deuxième position derrière mon préféré Firth of Fifth), en terme de mélodie et d’ambiance sonore.
Derrière les voix de Gabriel et Collins, c’est bien la guitare de Hackett qu’on entend, avec ce son qui pourrait presque s’apparenter à une flûte. Car il y a très peu de flûte sur cet album, a priori uniquement sur Cuckoo Cocoon et à la fin de The light dies down on Broadway. Pour sa dernière œuvre au sein de Genesis, Peter Gabriel s’est focalisé sur les textes et l’histoire, et ne joue plus de tambourin ou de grosse caisse comme par le passé. L’imposante scénographie de la tournée l’en aurait de toute façon empêché.
La dernière tournée avec Peter Gabriel
Dès fin 74, Genesis part en tournée pour jouer l’album, en intégralité, dans l’ordre, de façon à le présenter comme un spectacle dans son entier. Entre les chansons, Gabriel raconte l’histoire de Rael. Est-ce qu’aujourd’hui on appellerait ça une comédie musicale ou un opéra rock ? (lire mon paragraphe à ce sujet, dans ma chronique de Tommy)
L’expérience est autant visuelle qu’auditive : le groupe utilise de nombreux effets spéciaux dont des éclairages particuliers et la projection de diapositives (1 124 sur tout le concert) sur trois écrans, qui illustrent l’histoire. Dans une interview au début des années 90, le trio Collins-Banks-Rutherford expliquait qu’il n’y avait eu quasiment aucun concert où le dispositif ait fonctionné parfaitement du début à la fin ! Cette instabilité du système technique a rebuté le groupe pour filmer le spectacle. Par conséquent, il n’existe que quelques images amateurs.
Le Tribute Band The Musical Box reprend dès octobre 2000 en tournée le spectacle tel que Genesis l’avait conçu. Selon Phil Collins ce groupe canadien joue mieux que les musiciens originaux. Le chanteur possède exactement le timbre de Peter Gabriel et chante sans jamais donner l’impression de copier l’original. La qualité de cette reprise est telle que les anciens membres de Genesis, Peter Gabriel en tête, ont accepté de transmettre les notes de mise en scène et les diapositives du spectacle original (Wikipedia)
C’est durant la tournée que Peter Gabriel annonce aux autres membres son souhait de quitter le groupe. La nouvelle n’est rendue publique qu’une fois la tournée terminée. L’avant-dernier concert a lieu le 27 mai 1975 à Saint-Étienne, et le tout dernier à Besançon le lendemain. En tant que stéphanois, je ne peux qu’être fier que ma ville d’origine soit celle qui ait vu l’un des derniers concerts de Genesis avec Peter Gabriel !
A noter qu’une version live officielle est sortie en 1998 sur le coffret Archive 1967–75. Il s’agit du show enregistré à Los Angeles au Shrine Auditorium le 24 janvier 1975, mais avec la voix de Peter Gabriel réenregistrée en studio, car la prise de son en concert était quelque peu altérée par ses multiples costumes, dont certains masquaient partiellement sa voix. Steve Hackett a également réenregistré certaines parties de guitare.
Mais on peut également trouver le concert originel sans les réenregistrements :
L’album mis en images
Enfin, une curiosité : le Youtubeur Nathaniel Barlam a illustré diverses chansons, notamment Guinnevere de Crosby, Stills & Nash, deux morceaux de Joni Mitchell : Amelia et Song For Sharon, mais aussi Charlie Freak de Steely Dan, The Family and the Fishing Net de Peter Gabriel, ou encore Get Out Of My House de Kate Bush
Mais son plus gros travail concerne Genesis. Outre Supper’s Ready ou Who Dunnit? il a surtout dessiné la quasi-intégralité de The Lamb Lies Down on Broadway :
Sa dernière vidéo Riding the Scree date du mois d’août. Gageons qu’il est en train de terminer les deux derniers morceaux In The Rapids et It, pour peut-être bientôt les publier, et ainsi rendre hommage à cet album, sorti il y a tout juste 45 ans aujourd’hui.
© Jean-François Convert – Novembre 2019
Mise à jour janvier 2020 – VERSION INTEGRALE :
J’ai un peu de mal avec cet album… techniquement ils sont tous au top, je suis d’accord, on sent une maîtrise totale (a noter qu’ils n’ont pas 25 ans !!) mais ce n’est pas un vrai album de Genesis pour moi. Genesis c’est l’antithèse de Pink Floyd, c’est à dire qu’ils ne font jamais dans l’esbrouffe, dans l’effet facile ou la redite. Là, même s’ils ne sont pas non plus dans cela, il y a trop d’expérimentation, trop de calcul peut être… un album au final assez « Mainstream » à l’époque qui leur a donné le côté « cool » qu’ils n’avaient (et n’auront plus) jamais eu.
Bref, un bon album évidement, très marquant, de très grande qualité, mais qui est plus fait pour les critiques rock que pour les admirateurs de Genesis qui préfèrent en général « Selling England By The Pound » ou « Foxtrot » (et même « Wind & Wuthering », « A Trick of the Tail » et « Duke » pour ma part).
Ce n’est que mon avis
Mon album préféré est Selling England by the pound. Chronique prévue le 12 octobre pour les 50 ans de sa sortie
J’ai eu la chance de voir le concert de Genesis en 1975 en Belgique, mon meilleur concert et j’en n’ai vu..
J’avais 15 ans à l’époque et c’était totalement fascinant, me rappelle bien de Peter Gabriel qui criait sur un spectateur qui pendant qu’il annonçait les prochains morceaux, et puis Peter à fait le même cri et puis lui dit « Tu es pas fou dans ton tête »
Oh que je suis heureux d’avoir vécu cela !
merci pour ce témoignage
Merci pour cet article, émouvant pour moi qui les ai vus à Besançon pour le dernier coucert
J’étais à Cambrai pour ce concert, une merveille…Je ne dirais pas que c’est le plus bel album car foxtrot et selling England sont des chefs d’oeuvres également mais the lamb m’envoute
Peter était survolté avec son blouson de cuir….Une légende
J’y étais également !!! Magique ! Inoubliable ! Gravé pour toujours…
J’étais également à Cambrai, prestation inoubliable.Leurs vinyls toujours proches de la platine.👍
Que de souvenirs émouvants à lire cette chronique et ces commentaires sur mon groupe préféré(époque Peter Gabriel) parmi les Pink Floyd, King Crimson, Jethro Tull et autres. Et comme certains, heureux et fier d’avoir vécu le dernier concert à Besançon en 1975. Mais l’histoire nous a permis de revoir dès 1977 Peter Gabriel toujours à Besançon et depuis plus de 40 ans sur plusieurs scènes françaises comme King Crimson grandiose à l’Olympia en 2015, à quelques jours des attentats du Bataclan! Que vive encore longtemps la bonne musique
merci pour ce témoignage.
j’ai pu voir King Crimson en 2019 : https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/rock/magma-et-king-crimson-2-geants-aux-nuits-de-fourviere-a-lyon_3519041.html
Tres belle chronique…petite correction cependant.sur lilywhite lilith c est gabriel qui assure le lead.par contre phil collins prend le lead sur colony of slippermen vers la 6eme minute « he says to me now can’t you see where the raven flies there is jeopardy
Merci. Pendant des années j’ai cru que c’était Gabriel sur Lilywithe Lilith. Et puis un jour j’ai lu que c’était Collins, et en écoutant bien, il m’a semblé que ça pouvait effectivement être Collins.je ne retrouve plus cette source. du coup j’ai un doute
Le dernier concert de peter gabriel avec genesis ce n’est pas le 27 mai á st Etienne mais le 28 mai á Besançon.. je le sais parceque j’y etais..
merci pour cette précision. je ne sais plus où j’avais trouvé l’info, mais visiblement elle était fausse ! J’ai corrigé
Alors pour l’histoire le concert de Génésis à ST Etienne c’était le dimanche 2 mars 1975 en fi d’après-midi.
Voilà voilà,
(je possède encore le ticket qui etait à 26 francs)
Bonne journée
merci 🙂
Pour moi le plus bel album de tout les temps!!!!…je le réécoute avec passion et des frissons parcourant mon corps me donne la chair de poule;et mes poils se hérissent.. Une MERVEILLE tout simplement
Ai vu leur concert THe lamb… à Paris
Inoubliable, même avec aujourd’hui avec mes 68 ans je vois encore le concert défilé dans ma tête, un des plus beaux que j’ai vu.
Il suffit d’écouter et il nous semble que le temps s’est arrêter à ce jour, des émotions indicibles, mer ci Genesis…
merci pour le partage de ce qui a du être effectivement un grand moment.
si vous aimez Genesis, vous pouvez retrouvez 3 autres chroniques sur ce blog :
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