Roger Waters en concert au cinéma

Le concert de Roger Waters ce jeudi à Prague était retransmis en direct dans les cinémas Pathé.

Un concert en direct dans les cinémas

Dans le cadre de sa tournée This is not a drill, Roger Waters jouait à Prague les 24 et 25 mai. Le deuxième soir était retransmis en direct dans de nombreux cinémas à travers le monde. En France, c’est Pathé qui était chargé de couvrir l’événement. D’autres initiatives de ce genre avaient déjà été prises par le passé avec la diffusion de concerts en salles, comme par exemple pour David Gilmour en 2017, mais il s’agissait d’une diffusion bien postérieure à la tenue de l’évènement (un concert à Pompéi datant de 2016). Idem pour Bruce Springsteen avec le concert-documentaire Western Stars en 2019, là aussi une séance unique mais absolument pas en direct. Et Roger Waters lui-même avait déjà inauguré la retransmission d’un de ses concerts au cinéma, c’était le 3 octobre 2019 pour un documentaire comportant des images des concerts d’Amsterdam de la tournée Us+Them (2017-2018).

Dans le cas de ce jeudi 25 mai, le concert à Prague était diffusé en direct dans de nombreux cinémas aux quatre coins du globe, avec des décalages à plusieurs endroits en raison des fuseaux horaires, comme indiqué sur la chaine YouTube de Waters. Pour la France, on peut supposer qu’on était en simili-direct par la proximité géographique des deux pays. Le fait qu’un concert se soit tenu à Prague la veille peut éventuellement semer le doute : celui du 24 mai a-t-il été enregistré et diffusé le 25 ? Servait-il de bande secours en cas de problème technique ?

Cette bande annonce est parue il y a 1 mois, avec bien évidemment des images de concerts précédents. Il y a 2 semaines, la chaine YouTube Pathé Live a mis en ligne une deuxième vidéo intitulée « En direct de Prague | Extraits « . Il s’agit d’un passage du solo de Money, que Waters avait publié sur sa chaine YouTube il y a un mois. On suppose forcément qu’il s’agit là aussi d’un autre concert de la tournée ayant été également filmé… Et Waters avait aussi publié une vidéo This Is Not A Drill – Live From Prague – « Wish You Were Here »… il y a 2 semaines…

Une tournée d’adieu ?

Bref, direct ou pas, ce concert de jeudi soir dans les salles Pathé était représentatif de la tournée This is not a drill. Une tournée qui à l’origine devait avoir lieu entre juillet et octobre 2020, mais a bien sûr été annulée à cause de la pandémie. Elle a été reportée deux ans plus tard et a débuté le 6 juillet à Pittsburgh aux Etats-Unis. Elle est prévue de se terminer le 9 décembre 2023 à Quito en Equateur. Il s’agit de la septième tournée solo de Waters. En 2019, dans une interview au magazine Rolling Stone, l’ex-leader de Pink Floyd annonçait ce nouveau spectacle faisant suite à son précédent Us + Them (►ma chronique du concert à Lyon en mai 2018). En 2021, il a appelé ce nouveau show sa « première tournée d’adieu ».

Facétie de Waters en forme de boutade ironique à l’encontre de ces artistes qui n’en finissent plus de faire leurs adieux à la scène ? Ou réelle annonce du musicien d’abandonner prochainement les tournées ? Il est vrai que l’ex-frontman de Pink Floyd aura 80 ans le 6 septembre prochain. Mais de toute façon, ce n’est pas vraiment ce sujet qui fait l’actualité du chanteur ces derniers temps. Si la tournée This is not a drill a fait parlé d’elle, c’est avant tout en raison des prises de position clivantes de Waters sur le plan politique…

Non Waters n’est pas un facho

Je ne veux pas lancer de débat politique ici, ce n’est pas l’objectif de ce blog où je me concentre sur la musique. Mais difficile de parler de ce concert sans évoquer le contexte médiatique qui entoure la tournée. On le sait, la nuance n’est pas ce qui caractérise le mieux Roger Waters. Ses prises de position sont plus que tranchées et forcément clivantes. On a bien évidemment le droit de ne pas adhérer à tout ce qu’il dit, ce qui est mon cas, MAIS il me semble injuste de lui prêter une supposée apologie du fascisme comme certains media tendent à le faire depuis quelque temps.

Son discours à l’ONU en fin d’année au sujet de la guerre en Ukraine a mis le feu aux poudres. Puis ses apparitions en public et notamment un certain passage du show a été mal compris, interprété dans le mauvais sens, et forcément déformé sur les réseaux sociaux. La tension a culminé ces dernières semaines, notamment pour ses concerts en Allemagne.

Rappelons pour celles et ceux qui ne le savent pas, ou l’ont oublié : les deux morceaux (In the flesh et Run like hell) où Waters arbore un long manteau noir avec brassards rouges (que certains ont assimilé à un uniforme nazi) sont issus du double-album concept The Wall, transposé en film par Allan Parker. Dans ce pamphlet qui mêle critique sociale et auto-analyse psychologique, Waters fustige le monde du showbizz et sa propension à organiser des grand-messes où les rockstars peuvent parfois faire penser à des gourous suivis aveuglement par leur public. Ne pas oublier que « fan » est le diminutif de « fanatique »…

Oui, dans ces deux morceaux, Waters JOUE un facho qui harangue la foule comme s’il s’agissait d’un meeting glorifiant une politique totalitaire (tout comme Bob Geldof le faisait à travers son personnage dans le film). Et il critique justement cette dérive qui a pu parfois gangréner le monde du rock et ses stars adulées telles des messies. Il est dommage qu’une partie de l’opinion commune ne l’ait pas compris et prétendu que l’artiste se livrait à une apologie du nazisme. C’est tout le contraire. Une erreur d’appréciation qui rappelle celles affirmant que Born in the USA était un hymne patriotique, que Cocaine vantait les mérites de la drogue ou que Lynyrd Skynyrd était affilié aux suprémacistes blancs.

Les deux articles de franceinfo résument la polémique de ces dernières semaines :

Et avant de commencer le show, Waters met tout de suite dans l’ambiance…

Une intro théâtrale et surprenante

La voix du chanteur résonne dans l’assistance un quart d’heure avant le début du concert. « Le show va démarrer dans 15 minutes ». Le décompte est répété à 10 puis 5 minutes. Une voix glaciale, un brin solennelle, et qui en profite pour rappeler deux choses. D’une part qu’un tribunal a récemment statué à Francfort que Waters n’était PAS antisémite.

Et d’autre part une légère provocation qui correspond bien au personnage : « si vous faites partie de ces gens qui pensent « j’aime bien la musique de Pink Floyd, mais je ne supporte pas les prises de position politiques de Waters », alors dans ce cas, allez vous faire foutre et retournez au bar ! »

Passé ce préambule, on rentre dans le concert… de façon inattendue. D’emblée, Waters choisit de surprendre : une version de Comfortably Numb complètement revisitée. La tonalité est baissée d’un ton et passe en Lam (au lieu du Sim original) et la couleur musicale reste sombre tout au long de la chanson, même sur le refrain qui était habituellement lumineux. Plus d’envolée vocale, pas de solo de guitare, mais des chœurs envoûtants. Cette version a été enregistrée en studio par Waters et publiée l’année dernière.

Ces arrangements peuvent décontenancer les aficionados de guitare et bien évidemment les nostalgiques de l’ère Pink Floyd, et les friands des interventions de Gilmour…

Un spectacle anti-Gilmour ?…

Comfortably Numb est on le sait l’un des morceaux préférés du public de Gilmour et il clôt généralement les concerts du guitariste. Ici, Waters prend exactement le contrepied en ouvrant avec ce titre, et en lui ôtant ses parties de guitares, jugées cultes par nombre d’amateurs de six-cordes. Doit-on y voir un message caché de Waters adressé à Gilmour ? Ce ne serait pas étonnant compte-tenu des hostilités qui ont repris entre les deux depuis 2020, et atteint leur paroxysme en février dernier suite à un Tweet de Polly Samson, compagne de Gilmour, et que ce dernier a bien évidemment soutenue.

On pourrait penser que je me fais des idées et que j’extrapole, mais la suite du concert confirme mon impression du début. Waters enchaine avec un autre tube Another brick in the wall parts 2 & 3 (précédé de The happiest days of our lives), là aussi un morceau qu’on imaginerait plutôt en fin de setlist.

Mais surtout, Gilmour va être le seul musicien de Pink Floyd qui n’apparaitra pas une seule fois sur les écrans durant ce concert. Waters évoque à plusieurs reprises Pink Floyd, de façon parfois un peu mégalomaniaque (« avant, je jouais mes chansons dans un autre groupe ») et parle longuement de Syd Barrett en introduction de la chanson Wish you were here. Il raconte comment ils sont tous les deux allés voir les Rolling Stones en concert en 1965 et ont décidé de monter un groupe. Plusieurs images défilent sur les écrans géants : Waters, Barrett, Wright, Mason… mais il n’y en aura aucune de Gilmour.

… mais avec ses solos note pour note

Waters n’est pas à un paradoxe près. Si on sent qu’il souhaite occulter Gilmour en tant que personnalité, il ne peut faire autrement que reproduire sa musique. Les chansons de Pink Floyd, même celles composées uniquement par Waters, n’auraient jamais été les mêmes sans l’apport du chanteur-guitariste. Et ce concert en est une fois de plus la preuve, puisque ses parties de guitares sont reproduites à la note près ! Les deux guitaristes David Kilminster et Jonathan Wilson ne peuvent se départir des solos mythiques imaginés par Gilmour. Wish you were here, Another brick in the wall, Have a cigar, et bien sûr Money sont reproduits à l’identique par rapport aux versions studio, avec même les guitares doublées comme sur l’enregistrement original de The dark side of the moon.

Autre grand moment « gilmourien », le solo de lapsteel effectué par le multi-instrumentiste Jon Carin (autant à l’aise au clavier, à la guitare qu’à l’accordéon) sur Shine on you crazy diamond. Le long morceau de 1975 est ici réduit aux parties 6 et 7, enchainées à la 5, avec le solo de saxo, lui aussi fidèle à l’original.

Même l’intro au clavier de Sheep signée Richard Wright, correspond note pour note à ce que l’on entend sur le disque. En 2018, Waters jouait Dogs et Pigs (three different ones) mais ne complétait pas le triptyque. Sur cette tournée il choisit d’interpréter le morceau qui ouvrait les concerts de 1977. Même si je savais que les paroles expliquaient que les moutons avaient vaincu les chiens grâce au karaté… ça fait quand même bizarre de voir ce concept matérialisé dans un clip animé ! Et avec son humilité légendaire, Waters se situe au même rang qu’Orwell et Eisenhower rien que ça.

Un set en deux parties

Sheep est suivi d’un entracte et on rattaque avec les deux titres de The Wall au cœur de la polémique évoquée plus haut, puis quelques chansons solo de Waters, tout comme il y en avait eu dans la première partie.

1ère partie

  • Comfortably Numb
  • The Happiest Days of Our Lives
  • Another Brick in the Wall, Part 2
  • Another Brick in the Wall, Part 3
  • The Powers That Be
  • The Bravery of Being Out of Range
  • The Bar
  • Have a Cigar
  • Wish You Were Here
  • Shine On You Crazy Diamond
  • Sheep

2ème partie

  • In the Flesh
  • Run Like Hell
  • Stop
  • Déjà Vu
  • Déjà Vu (Reprise)
  • Is This the Life We Really Want?
  • Money
  • Us and Them
  • Any Colour You Like
  • Brain Damage
  • Eclipse

Rappels

  • Two Suns in the Sunset
  • The Bar (Reprise)
  • Outside the Wall

La deuxième partie fait ainsi la part belle à The dark side of the moon en reprenant toute la seconde face du disque. Là encore en respectant scrupuleusement l’original. On note juste quelques légères disgressions mélodiques dans Any colour you like (comme c’était déjà le cas sur la tournée de 1974), et le refrain de Eclipse repris deux fois. On regrette que la voix de Jonathan Wilson soit un peu trop timide. N’est pas Gilmour qui veut…

Une scène à 360° mais fixe et un son pas optimal

Comme on peut le voir sur les vidéos, la disposition scénique est assez particulière. Les musiciens ne sont pas tous du même côté, parfois ils vont sur des avancées au pied de la fosse, mais qui du coup privent de la vue celles et ceux qui se retrouvent à l’opposé… Les écrans géants sont là pour compenser. Dans notre cas, la réalisation multi-caméras nous a permis d’apprécier tous les angles, tout en lisant les inscriptions projetées. Le contexte de la salle de cinéma n’est évidemment pas le même que d’être dans la salle du concert, mais plusieurs applaudissements se sont fait entendre, notamment au moment de l’affichage demandant la libération de Julien Assange.

Si l’image était parfaite, on peut en revanche regretter la mauvaise balance sonore. Était-ce le mixage provenant de Prague, ou l’équilibre de la salle de cinéma mal ajusté ? Les voix parlées durant les morceaux de The dark side of the moon étaient bien trop fortes par rapport à la musique.

Un très beau final

Le rappel donne l’occasion de terminer sur trois très beaux morceaux. D’abord Two suns in the sunset qui clôturait The Final Cut. Waters en explique le sens. Malgré son atmosphère calme et presque bucolique, le morceau décrit rien de moins que l’apocalypse atomique de la troisième guerre mondiale… avec là encore une illustration animée sur les écrans.

Si pendant Another brick in the wall, on avait aperçu les images de Reagan ou Bush, au cours de ce final c’est Poutine qui est pointé du doigt. Un final qui se veut moins grandiloquent que le reste du concert en se terminant par une ambiance style piano-bar avec la reprise du bien nommé The Bar. Cette chanson déjà interprétée dans la première partie, Waters la dédie ici à sa femme et son frère décédé l’an dernier. Le morceau est enchainé à Outside the wall. Tous les instruments sont acoustiques, et Jonathan Wilson joue sur une National Syle O, un modèle de guitare que je connais bien

Ce final synthétise un peu le cas Roger Waters : un personnage qui montre des signes de schizophrénie en s’affichant parfois mégalo, provocateur et suffisant, et par d’autres moments rieur, affable, avec même un brin d’autodérision quand apprès Run like hell, il a fait mine d’enlever son T-shirt.

Et quoiqu’on en dise, malgré ses défauts, son manque de diplomatie, ses déclarations souvent borderline, Waters a quand même montré plusieurs signes confirmant son côté humaniste, notamment à travers sa réaffirmation de défense des minorités, qu’elles soient liées à la couleur de peau, la religion, l’orientation sexuelle… N’en déplaise à ses détracteurs, l’ex-leader de Pink Floyd est sans doute beaucoup moins consensuel que Gilmour, il n’en reste pas moins un artiste majeur.

© Jean-François Convert – Mai 2023

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3 commentaires sur “Roger Waters en concert au cinéma

  1. Très belle critique de ce monsieur Waters.
    Il est indissociable de Pink Floyd malgré ma préférence pour Dave,Rick et Nick.
    J ai suivi Pink Floyd de nombreuses années et David Gilmour.
    Je ne suis jamais allé voir Roger Waters.
    Aujourd’hui, je regrette malgré que je n aime pas être dans le regret.
    Mr Waters,Vous m avez ému .En sortant du ciné à Lyon,j etais triste de voir un homme,un grand homme.
    Pink Floyd est l œuvre de cinq personnes.
    Merci pour votre musique qui embellit ma vie depuis 55 ans
    A bientôt .
    Rick Move

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  2. Merci vraiment super. Je suis un inconditionnel de gilmour donc un peu moins de waters mais là bravo pour le décryptage c est quand même un sacré bonhomme qui dénote dans notre monde si lissé merci encore jm

    1
    1. Merci pour cette analyse que nombreux journalistes devraient lire avant de fustiger autant Roger Waters. Sans adhérer à toutes ses idées il faut bien se rappeler que les textes ont été écrits dans les années 70 et qu’ils sont toujours d’actualité. C’est plutôt ça le vrai souci de notre humanité. Les dérives, les excès, les attaques des minorités se sont amplifiés et l’apocalypse n’a peut être jamais été aussi proche.
      N’ayant pu aller au concert à Paris, j’étais en Espagne lors de la retransmission au cinéma à Tarragone et c’était quand même sensationnel.
      Loin d’être une fan inconditionnelle, j’ai perçu ce show comme un signal d’alerte à nos consciences, à nous qui nous sentons bien tranquilles et par delà les polémiques la musique était incroyable.

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