‘Il était une fois dans l’ouest’ sortait en France il y a 55 ans

Le 27 août 1969, ‘Il était une fois dans l’ouest’ arrivait dans les salles françaises. Un film que j’ai découvert en 1984 et qui m’a marqué à vie.

Une grande claque

1984. Je suis en quatrième. Un samedi soir je vais au cinéma Le Royal à Saint-Etienne avec un camarade de classe (Olivier, si tu me lis…) voir un western dont il me parle depuis des mois : Il était une fois dans l’ouest. Ce western je le connais déjà un peu par sa musique, parce que j’écoute en boucle depuis un moment le 45 tours acheté par mes parents à sa sortie. Face A, le thème principal lié au personnage Jill joué par Claudia Cardinale, et Face B le fameux Homme à l’harmonica, incarné par Charles Bronson.

A cette époque je ne connais pas encore bien Sergio Leone qui deviendra pourtant l’un de mes cinéastes préférés. Je crois me souvenir que j’avais vu le début de son cultissime Le Bon, la Brute et le Truand, mais j’avais été obligé d’aller me coucher bien avant la moitié du film parce que trop jeune et école le lendemain… je le verrai en intégralité quelques années plus tard.

Quand je découvre Il était une fois dans l’ouest, je suis donc en terrain vierge concernant le genre western italien en général, et Leone en particulier. Et là c’est la claque ! En plus sur grand écran. L’utilisation du cinémascope par le réalisateur avec ses fameux très gros plans, ces visages burinés et impassibles, cette musique incroyable, ces dialogues qu’on n’oublie pas, cette tension constante, parfois brièvement interrompue par un brin d’humour cynique. Le cinéma de Leone c’est un ton, une ambiance, un style, inimitable.

Un cinéaste réhabilité sur le tard

A la maison on est abonné à Télérama, et pendant toute mon adolescence, je forge ma culture cinéphile beaucoup à travers leurs critiques, souvent justes à mon humble avis. Mais avec Leone apparait un point de divergence : alors que je plonge littéralement dans son œuvre, le célèbre magazine fait la fine bouche et trouve toujours à redire sur ses films. Plus tard, ils reviendront sur leur opinion, et Télérama appréciera enfin le réalisateur italien, à l’instar de toute la communauté artistique et médiatique. Aujourd’hui, Leone est encensé et unanimement reconnu, mais à l’époque il pouvait être jugé comme trop cynique, et ses films souvent perçus par la critique comme des exercices de style sans âme. Heureusement, cette vision a bien changé.

Je n’ai pas attendu ce consensus politiquement correct qui consiste aujourd’hui à placer Leone au panthéon cinématographique et dès la sortie de cette projection de Il était une fois dans l’ouest je me suis pris de passion pour ce réalisateur, en lisant beaucoup sur lui, et en achetant même un livre dans la langue de Goethe lors d’un de mes séjours chez mon correspondant allemand à Francfort.

Ironiquement, Leone a commencé à être réellement pris au sérieux par les critiques après la sortie de Il était une fois en Amérique… justement en 1984, cette année où je découvre Il était une fois dans l’ouest. Il reste encore à ce jour mon film préféré de tous les temps, ex-aequo avec Police Python 357.

Des séquences d’anthologie

Il serait trop long de lister tous les moments cultes du film et les raisons qui m’en ont fait devenir fan. Mais rien que le début m’a subjugué d’entrée. Cette longue séquence d’introduction, sans dialogue, sans musique, avec tous ces petits bruits qui agacent l’oreille et en même temps instaurent un climat singulier, tellement identifiable au style de Leone. J’en parlais déjà dans cette chronique, cette symphonie sonore millimétrée dépasse de loin l’exercice de style et l’analyse de Blow Up nous en dévoile la métaphore. Ce grand moment de cinéma est divisé en deux parties sur YouTube :

Parmi les autres éléments qui m’ont instantanément captivés, il y a bien sûr les dialogues qui font mouche à chaque fois. Des répliques pince-sans-rire qui distillent un humour caustique comme pour briser la tension, et en même temps l’entretenir. Et puis cette utilisation de l’espace, ces cadrages tirés au cordeau qui placent les hommes comme des pantins dans un décor trop grand pour eux. Leone réinvente le duel de western, étire le temps, allonge les perspectives, et chorégraphie les affrontements. Une composition de l’image que mon ami Denys avait parfaitement reproduite dans son illustration en 2019 :

Sergio-Leone-par-Denys-Legros
© Denys Legros

Cette maitrise de la mise en scène est particulièrement visible dans ce qui est peut-être l’un des plus beaux plans dans l’histoire du cinéma, et sans aucun doute le plus complexe jamais réalisé par Leone : le fameux mouvement de grue qui part du quai de la gare pour nous dévoiler la ville située derrière. Une métaphore du cinéma au passage avec un cadre dans le cadre lorsque le point de vue se fait à travers la fenêtre du bureau, et puis l’aperçu aérien de la ville en train de se développer. Le plan commence à 2:37 dans la vidéo ci-dessous :

Mais si ce plan fonctionne aussi bien, c’est aussi en grande partie grâce à la bande sonore…

Une musique inoubliable

J’ai déjà parlé à de nombreuses reprises de l’œuvre d’Ennio Morricone que j’admire. Sa partition pour Il était une fois dans l’ouest est l’une de ses plus belles, avec Il était une fois en Amérique. Et l’une de ses plus célèbres aussi, avec Le Bon, la Brute et le Truand. Si le thème de Jill accompagne magnifiquement les images de Monument Valley (Leone posait enfin sa caméra aux Etats-Unis, alors que ses précédents westerns aveint été tournés uniquement en Espagne et Italie), celui de l’homme à l’harmonica illustre les séquences pleine de sadisme souvent présentes dans l’œuvre du réalisateur. Le massacre d’une famille entière ou le supplice d’un homme pendu sur les épaules de son jeune frère sont rendus encore plus dramatiques par la violence de la guitare saturée, un ingrédient inédit à l’époque dans de la musique pour westerns.

Morricone parvient à susciter des émotions intenses avec ces quelques notes. Et l’adéquation avec les images est parfaite. D’ailleurs, pour rendre cette symbiose visible à l’écran, Leone avait une méthode de tournage bien particulière : il faisait diffuser la musique sur le plateau pour mettre ses acteurs dans l’ambiance. Il faut donc s’imaginer en voyant Bronson et Fonda se toiser dans le duel de fin, qu’ils entendent tout comme nous la musique !

Quant à l’anecdote qui raconte que Leone serrait le cou de l’harmoniciste Franco De Gemini pour obtenir ce « cri de douleur » (selon les propres termes du cinéaste), je pense qu’il s’agit du court passage où Frank souffle dans l’instrument juste avant de mourir, et non les trois célèbres notes de la mélodie. Pour les aficionados de détails, on notera dans cette scène culte que c’est le frère d’harmonica qui le pousse avec son pied, se sacrifiant ainsi et évitant à son cadet de porter le poids de la responsabilité de sa mort, qui de toute façon incombe à l’ignoble Frank.

Des personnages habités

Ce film offrait un rôle totalement à contre-emploi à Henry Fonda qui était habitué à jouer les justiciers nobles défendant la veuve et l’orphelin chez Ford, ou les innocents injustement accusés chez Hitchcock.

Il racontait en interview avoir passé les essais pour le film avec des lentilles marron pour cacher ses yeux bleus, trop angéliques selon lui pour incarner un salaud. « surtout pas ! » lui a dit Leone qui voulait au contraire que son méchant ait la parfaite gueule de … Henry Fonda ! Ce dernier expliquait que le fameux plan circulaire qui fait découvrir son visage pour la première fois dans le film était destiné à choquer le public, notamment américain. Le metteur en scène voulait que les gens dans la salle s’exclament « Ce tueur sans foi ni loi, dépourvu de sentiments qui vient d’assassiner une famille entière…. mais, c’est Henry Fonda ! » On peut l’entendre raconter ceci dans l’émission de Dick Cavett en 1972 (à partir de 3:19) :

Fonda collaborera à nouveau avec Leone sur Mon nom est personne, où son personnage se dénomme… Jack Beauregard ! Ce même Henry Fonda d’une éducation pudique et classique se trouvait bien gêné dans le tournage de la scène avec Claudia Cardinale au lit. Il s’agissait de la toute première séquence tournée pour le film et l’actrice raconte que la femme de Fonda était présente sur le tournage… ce qui ne manquait pas de rajouter de la tension à la situation !

Claudia Cardinale n’a jamais été aussi belle que dans Il était une fois dans l’ouest (avec, juste après, Les professionnels de Richard Brooks en 1966) et je dois bien avouer qu’il était impossible de ne pas tomber amoureux d’elle en voyant ce film à l’âge de 13 ans. C’est le premier film de Leone où une femme a un rôle central, et c’est la seule des protagonistes qui survivra réellement, si on considère qu’Harmonica n’est qu’un mort en sursis. L’adieu entre eux deux est un des plus beaux que je connaisse et une autre de mes scènes préférées du film. A chaque visionnage (et dieu sait que je l’ai vu un paquet de fois, je ne compte plus) j’ai la gorge serrée en entendant leur échange :

  • Jill : « j’espère que vous reviendrez par ici… »
  • Harmonica : « j’espère aussi… »

Il est intéressant de noter que dans la Version Originale, Bronson répond « someday », qu’on pourrait traduire par « peut-être un jour », mais je trouve l’adaptation française bien mieux, avec ce brin d’espoir supplémentaire.

V.O. ou V.F., la frontière est bien ténue dans les films de Leone tant celui-ci portait un soin particulier au doublage. Du fait de la diffusion de la musique sur le plateau, beaucoup de scènes étaient postsynchronisées même dans la version « originale ». Et le réalisateur supervisait assidûment les doublages dans quelques autres langues, notamment en français. Dans le cas de Claudia Cardinale, c’est bien évidemment elle-même qui se double dans la langue de Molière avec ce brin de voix auquel il est difficile de résister. Et Claude Bertrand (voix de Tuco, mais aussi… Balou dans Le Livre de la Jungle ou O’Maley dans Les Aristochats, entre autres) incarne à merveille le physique taciturne de Bronson.

Dire que son personnage d’Harmonica m’a hanté dès cette soirée de 1984 serait un euphémisme. Son regard impassible, sa façon de rentrer dans l’écran, sa particularité de ne pas porter son revolver à la ceinture, son harmonica en pendentif, son identité inconnue, ou encore son humour sarcastique, sa manière de s’exprimer lentement et toujours calmement… autant de traits qui l’ont placé haut dans mon imaginaire d’adolescent rêvant d’être cowboy…

Ses joutes verbales avec Cheyenne sont toujours savoureuses tout au long de l’histoire. Ce quatrième protagoniste joué par Jason Robards apporte la touche à la fois légère et sentimentale dans le scénario. Un bandit romantique, une sorte de Tuco en plus gentil et nettement plus attachant. Sa musique clopinante et nonchalante est restée dans toutes les mémoires. Elle l’accompagnera jusqu’au bout… Cette dernière scène a été supprimée des versions américaines, les producteurs jugeant que le public n’apprécierait pas de voir mourir un des « gentils » !

On pourrait citer Morton qui ne peut qu’inspirer compassion par son handicap malgré sa position de riche propriétaire exploitant d’autres plus faibles que lui, mais aussi le shériff débonnaire qui évoque des personnages de Lucky Luke, le guide Sam qui voudrait résister au progrès, le tenancier joué par Lionel Stander qui sursaute au nom de la Nouvelle Orléans mais qui n’y est jamais allé, le fourbe Woobles ou encore les trois tueurs venus attendre Harmonica à la gare. Interprétés par Jack Elam, Woody Strode et Al Mulock (qui s’est suicidé pendant le tournage), il devaient être au départ incarnés par Eastwood, Wallach et Van Cleef, Leone voulant faire un clin d’œil à son film précédent. Seul Eastwood a refusé la proposition, alors que les deux autres étaient d’accord.

Mais c’est sur le personnage de Jill et la superbe Claudia Cardinale que se referme le film (même si sur le générique de fin on aperçoit au loin Harmonica partant vers d’autres horizons).

L’édition DVD collector de 2003

J’ai vu le film à trois reprises au cinéma et au moins autant à la télévision. A cela s’ajoute les multiples re-visionnages sur l’édition collector DVD sortie en 2003. Celle-ci comporte de nombreux bonus intéressants : des documentaires, des interviews, des photos de tournage, et un commentaire audio tout le long du film par plusieurs personnalités éminentes : le biographe de Leone Christopher Frayling, les réalisateurs John Carpenter, John Milius et Alex Cox, ainsi que des acteurs et membres de l’équipe du film. J’en ai encore appris par ce biais, en plus des livres que j’avais déjà lu.

La réédition de la B.O.

Après avoir usé le 45 tours à la corde pendant des années, j’avais copié sur cassette quelques morceaux issus du 33 tours par un copain du collège, celui-là-même qui m’avait fait découvrir la bande dessinée XIII cette même année (Eric si tu me lis). Plus tard, je me suis acheté le CD. Cette première édition reprenait l’intégralité du vinyle, mais pas tous les passages musicaux du film que je connaissais par cœur, notamment une phrase supplémentaire dans le thème de l’homme à l’harmonica durant le duel final. Et puis il y a quelques années, j’ai enfin trouvé tous ces morceaux manquants sur YouTube. Ils proviennent d’une réédition de 2005, bien plus complète que l’originale, avec absolument TOUS les passages musicaux qu’on peut trouver dans le film.

Il est amusant de noter que le morceau identifié L’homme à l’Harmonica figurant sur toutes les éditons n’apparait à aucun moment dans le film dans cette version : soit on n’a que les 3 notes d’intro pour les scènes avec le personnage de Bronson, soit on a directement le thème à la guitare électrique pour les scènes avec Fonda. La seule fois où il est en entier c’est sur le duel final, mais il est justement légèrement différent avec notamment cette phrase supplémentaire à 5’47 dans l’extrait du film et à 3’01 sur l’audio :

La chanson de Dire Straits

Quelques années après la claque de Leone, j’en prendrai une autre avec Dire Straits. Ce sera en 1988, et parmi le répertoire du groupe je découvrirai un morceau intitulé… Once upon a time in the west ! La chanson figure sur l’album Communiqué sorti en 1979, et Mark Knopfler avoue l’avoir écrite et composée dans un état quelque peu éméché. Certains vers font référence au film, notamment « Even the hero gets a bullet in the chest » (« Même le héros reçoit une balle dans la poitrine ») qui évoque le tir envoyé par le personnage de Woody Strode sur celui de Bronson à la gare au début.

La version studio originale (qui a bénéficié d’un clip) surfe sur une rythmique reggae, tandis que le version sur le live Alchemy est un moment épique avec des envolées lyriques, et Mark osant des mimiques de cowboy pendant le solo.

Grand fan de Morricone, Mark Knopfler a eu la chance de le rencontrer en Italie durant la tournée 1980-81 de Dire Straits, tournée où le groupe montait sur scène au son du thème du Bon, la Brute et le Truand, avant d’entonner le premier morceau de la setlist qui n’était autre que… Once upon a time in the west !

Cette connexion entre deux de mes artistes favoris trouvera une autre résonance en 2020 lorsque Mark Knopfler choisira de diffuser dans son émission radio The British Grove Broadcast, le magnifique Deborah’s Theme issu de la B.O. de Il était une fois en Amérique et mon morceau préféré de Morricone.

L’affiche du film

Enfin, concernant l’affiche, les pointilleux comme moi ont depuis longtemps remarqué que l’image ne correspond pas exactement à la scène du film :

  • les 3 tueurs ont des cache-poussière alors que le personnage de Woody Strode n’a plus le sien à ce moment dans le film
  • les 3 tueurs ont des carabines ce qui n’est pas le cas dans le film non plus (seul Woody Strode a une Winchester a canon scié)
  • la silhouette qui correspond à Harmonica porte un ceinturon avec holster alors que c’est justement une caractéristique du personnage de ne pas en avoir
  • cette même silhouette est gauchère alors qu’Harmonica est droitier

En revanche les 4 photos en bas sont bien tirées du film :

  • Jill / Claudia Cardinale dans la scène des adieux
  • Frank / Henry Fonda dans la scène du duel final
  • Cheyenne / Jason Robards juste après la scène du puits (« il joue de l’harmonica mais il joue aussi de la gâchette »)
  • Harmonica / Charles Bronson au début de la scène de la vente aux enchères

Cette affiche, elle a orné les murs de ma chambre d’adolescent. Et à 53 ans passés, elle trône toujours actuellement dans mon salon, tout naturellement du côté du téléviseur. Cette année, ça fait 40 ans que j’ai découvert ce film, qui est sorti dans les salles françaises il y a tout juste 55 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Août 2024

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6 commentaires sur “‘Il était une fois dans l’ouest’ sortait en France il y a 55 ans

  1. Il y a des plans qui nous marquent à vie…

    Pour moi, même si je n’ai jamais vu ce film au cinéma, c’est celui où l’on découvre la statue de la Liberté, à moitié enfouie sur la plage, dans la Planète des Singes (1968).
    On réalise alors que toute l’aventure s’est déroulée sur terre.

    Et peut-être aussi la 1ère apparition de Darth Vader dans le Star Wars originel de 1977.
    Celui-là je l’ai vu au cinéma à sa sortieq, je devais avoir 9 ans.

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  2. Excellent article. A sa sortie en cinémascope, le fameux plan sur la ville m’avait ébloui, sur un maxi-écran. Ca reste pour moi le plus beau plan de cinéma qui m’ait autant ému.

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    1. merci 🙂
      oui je suis entièrement d’accord

  3. Merci pour ce travail
    Excellent 👍
    Je suis aussi fan absolu de ce film…

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  4. Si vous comprenez l’anglais, il y a beaucoup d’anecdotes très intéressantes à trouver sur imdb:

    https://m.imdb.com/title/tt0064116/trivia/?ref_=tt_trv_trv

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  5. Magnifique !

    Merci, Jef…

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