Le 27 novembre 1967 arrivait dans les bacs aux Etats-Unis cet album qui n’en est pas vraiment un. Explications.
Sommaire
Un film, un double EP et un « album »
Après l’énorme succès de Sgt. Pepper’s lonely hearts club band en juin 1967, les Beatles ne se reposent pas sur leurs lauriers, et dès l’été (le fameux « summer of love ») ils retournent en studio pour leur projet suivant, essentiellement une idée de Paul. Magical Mystery Tour sera un téléfilm pour les fêtes de fin d’année et six chansons en composeront la bande son.
« Début 1967, on a réalisé qu’on ne ferait plus jamais de tournées en concert parce qu’on n’aurait pas pu reproduire sur scène le genre de musique qu’on s’était mis à enregistrer. Donc, si les spectacles sur scène c’était fini, on voulait quelque chose pour les remplacer. La télévision était la réponse évidente »
John Lennon
Sauf que 6 titres ça ne rentre pas sur un EP (« Extended Play » en opposition au LP « long play ») qui ne peut en contenir au maximum que 4, et ça fait trop peu pour un album… Les Fab Four optent donc pour un double EP avec les chansons réparties de la façon suivante :
- FACE A : Magical Mystery Tour / Your Mother Should Know
- FACE B : I Am the Walrus
- FACE C : The Fool on the Hill / Flying
- FACE D : Blue Jay Way
Mais le marché américain préfère sortir un disque plus conséquent, avant même la parution du double EP au Royaume-Uni prévue pour le 8 décembre. C’est ainsi que le 27 novembre 1967 sort cet « album » aux Etats-Unis avec sur la première face les six titres du double EP, et sur la deuxième une sorte de compilation des singles publiés durant l’année 67 :
FACE A
- Magical Mystery Tour
- The Fool on the Hill
- Flying
- Blue Jay Way
- Your Mother Should Know
- I Am the Walrus
FACE B
- Hello, Goodbye
- Strawberry Fields Forever
- Penny Lane
- Baby, You’re a Rich Man
- All You Need Is Love
Devant le succès rencontré (forcément avec une telle avalanche de hits sur la deuxième face), le marché européen suivra en 1976, et depuis, Magical Mystery Tour est communément présenté comme un « album », avec ses 11 morceaux.
Florilège de tubes
Cette face B du 33 tours regorgeant de tubes débute par Hello, Goodbye dont les paroles ne sont certes pas les plus subtiles écrites par Paul, mais avec des harmonies vocales très travaillées et un sens de l’orchestration qui fait mouche. Et le clip montre les Fab Four dans leurs costumes de Sgt. Pepper.
Cette continuité avec l’album précédent est encore plus prégnante sur les deux chansons suivantes, toutes deux enregistrées justement au début des séances de Sgt. Pepper’s lonely hearts club band, en décembre 1966 : Strawberry Fields Forever, dont le processus de création/fabrication reste encore aujourd’hui un petit miracle comme le hasard n’en fait plus, et Penny Lane un autre des morceaux les plus connus des Beatles. Un titre de John, un titre de Paul, deux petits chefs-d’œuvre qui avaient valu de sortir un single double Face A, tant il était impossible de les départager.
Les deux morceaux partagent le thème de la nostalgie de l’enfance de leurs auteurs dans leur ville natale de Liverpool. Tandis que John évoque de façon onirique le parc d’un orphelinat de son quartier où il allait jouer enfant dans Strawberry Fields Forever, Paul se remémore le quartier de Penny Lane où paradoxalement John est le seul Beatle à avoir vraiment habité. Bien que ce dernier avait été le premier à essayer d’en parler dans In My Life, c’est finalement Paul qui a su en faire une chanson.
On enchaine avec Baby, You’re a Rich Man, certes moins connue, mais bien dans l’esprit psyche-oriental de l’époque avec un calvioline (clavier électronique d’invention française) au son proche d’un shenai, instrument traditionnel indien. La chanson était au départ prévue pour le dessin animé Yellow Submarine mais ne figure pas dans la Bande Originale (bien qu’elle apparait dans le film). En revanche, elle atterrit en face B de All You Need Is Love, autre méga-tube des Beatles.
Enregistré en plusieurs fois dont certaines parties en live le 25 juin 1967 pour la première retransmission satellite de l’Histoire, cet hymne à l’amour a symbolisé le mouvement flower power durant le summer of love de cette même année. Les Beatles embrassaient littéralement le mouvement hippie, et leur musique d’alors symbolisait l’acmé du psychédélisme.
Les Beatles plus psychédéliques que jamais
Sgt. Pepper’s lonely hearts club band s’était déjà posé en fer de lance du psyche-rock anglais. Mais sur les six chansons exclusives du projet Magical Mystery Tour, les Fab Four vont encore plus loin.
Si l’ouverture tonitruante de la chanson-titre avec trompettes et chœurs rappelle l’esprit fanfare de Sgt. Pepper, si l’ambiance jazzy-cabaret de Your Mother Should Know est typique du style old school qu’affectionne particulièrement Paul (« de la musique de grand-mères » selon John), et si la ballade The Fool On The Hill est une des plus belles de Macca (même d’après Lennon) ; ce sont surtout les ambiances complétement barrées qui dominent.
L’instrumental Flying débute comme un classique 12 mesures, avant que des voix qui semblent provenir des chœurs de l’armée rouge ne fassent leur apparition. George Harrison apporte une touche bad-trip, presque cauchemardesque, dans Blue Jay Way. Et Lennon nous embarque dans un univers qui n’appartient qu’à lui avec I am The Walrus.
Lennon en a écrit des textes farfelus, mais celui-ci reste sans doute l’un de ses plus obscurs. Adepte du nonsense so british, il se délectait d’ailleurs des soi-disant exégèses publiées par des analystes prétentieux. Rien ne lui plaisait plus que de les savoir en train de chercher une quelconque signification à des paroles qu’il avait assemblées par hasard !
Ironie du sort, I am The Walrus constitue en quelque sorte l’apothéose du disque/film : Un tour de force presque revanchard qui vole la vedette, quand on sait que c’était d’abord Paul aux manettes du projet.
Un film expérimental
Projet qui tourne autour d’un téléfilm qui sera diffusé sur la BBC pour les fêtes de noël 1967. Et ce sera un échec critique et commercial retentissant. Le premier dans la carrière des Beatles. Il faut bien avouer que ce moyen métrage ne figure pas dans les annales cinématographiques… sans scénario ni dialogues écrits, le « film » est un enchainement de sketches improvisés, où s’intercalent les chansons.
Un pseudo road-movie avec des séquences dont on ne sait plus si elles relèvent du rêve ou du cauchemar. Des atmosphères qui font parfois penser au passage apocalyptique dans A Day In The Life, et son happening déjanté avec l’orchestre symphonique. Des ambiances qu’on aurait volontiers imaginées provenant plutôt de l’esprit de John ou de George, alors que c’est bien Paul qui « réalise » le film. On est loin de l’image de Help ou Hard Day’s Night !
L’intention de départ était sans doute de créer une nouvelle manière de filmer, un peu comme l’écriture automatique en littérature : laisser venir l’inspiration toute seule, sans trop intervenir… Mais McCartney a bien compris qu’on ne devient pas cinéaste du jour au lendemain, et privés de leur manager Brian Epstein, décédé le 27 août 1967, les Beatles se sont rendus compte avec ce film que conduire un projet de A à Z n’était pas chose aisée.
Reste la musique. Même si le film Magical Mystery Tour demeure toujours autant inregardable, les chansons du double EP sont elles intemporelles et s’écoutent avec la même fraicheur qu’il y a 55 ans quand sortait ce disque aux Etats-Unis. Un « album » avec sa deuxième face de singles, eux aussi immortels. Tous comme les Beatles.
© Jean-François Convert – Novembre 2022