Le 15 avril 1996, Mark Knopfler était l’invité vedette de Jools Holland sur la BBC. Concert sorti ensuite sous le titre ‘A night in London’.
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Un concert de lancement
En ce mois d’avril 1996, Mark Knopfler vient juste de sortir son tout premier album solo Golden heart. Il s’apprête à partir sur les scènes d’Europe pour environ 4 mois, jusqu’au milieu de l’été. En guise de lancement de cette première tournée solo (dont le premier véritable concert a lieu le 24 avril à Galway en Irelande), il joue à l’émission Later with Jools Holland sur la BBC2.
Un showcase d’un peu moins de 2h, qui annonce l’ossature de base des setlists des futurs concerts, mais sans trois titres centraux (Calling Elvis, The bug, I’m the fool), ni le dernier quart (Water of love, Telegraph road, Long highway), ni quelques titres qui seront joués épisodiquement (Portobello belle, Vic and Ray, No can do).
Une setlist balbutiante
Comme souvent sur les débuts des tournées de Dire Straits ou Mark en solo, la setlist est déjà bien en place mais pas encore totalement peaufinée. Tous les morceaux ne sont pas forcément présents, certains sont testés puis seront progressivement abandonnés, et les arrangements ne possèdent pas encore toutes les subtilités qui se rajouteront au cours des concerts. Ainsi, il n’y a pas encore l’enchainement Je suis désolé – Calling Elvis (du fait de l’absence de ce dernier morceau), Going Home est joué sur la Schecter Stratocaster rouge, alors qu’il le sera sur la Les Paul plus tard dans la tournée (car enchainé à The Long highway), A night in summer long ago est étonnamment jouée sur Telecaster, alors que la National reprendra sa place plus tard, tout comme sur la version studio.
En revanche, l’idée d’introduire des morceaux par des musiques de films est déjà bien là : Last exit to Brooklyn offre un prélude parfait à Romeo and Juliet, et Father and son (issu de la BO de Cal) nous plonge dans une ambiance celtique avant d’enchainer sur Golden heart. Dès le premier concert du 24 avril à Galway, une troisième association verra le jour avec A love idea en intro de Vic and Ray. Il faudra attendre la mi-mai pour voir apparaitre The Long Highway, couplée à Going home. Cette fois c’est à l’inverse une chanson qui servira « d’intro » à une musique de film.
Quelques invités
Ce concert est l’occasion d’accueillir quelques invités : le fidèle Paul Franklin vient embellir certains morceaux avec sa pedal steel guitar, notamment Darling Pretty, Walk of life, Rüdiger, Are we in trouble now, et Gravy train. Ce dernier titre, tout comme dans sa version studio, offre de beaux échanges en les trois solistes que sont Mark à la Pensa-Suhr MKI, Paul Franklin à la pedal steel guitar et Sonny Landreth en slide. Celui-ci a joué sur l’album Golden heart, et Mark lui a rendu la pareille sur son disque South of 1-10. Ici, outre Gravy train, il contribue à deux autres excellents duos : Cannibals, où il double la ritournelle du clavier à la slide, en plus d’une intro particulièrement inspirée, et Je suis désolé qui reprend l’idée du tandem de la version studio, mais ici avec des guitares électriques (alors que la version album est jouée sur folk pour Mark et National pour Sonny). Mark gardera le principe d’interpréter ce morceau à la Les Paul sur le reste de la tournée, pour pouvoir l’enchainer à Calling Elvis. En ce qui concerne les notes de Pedal Steel, elles seront reproduites par Guy Fletcher sur des samples de synthé pour le reste de la tournée.
Autres invités, le quatuor à cordes Electra Strings qui ajoute une dimension lyrique à Brothers in arms, interprète réellement Last exit to Brooklyn (alors que sur une bonne partie de la tournée c’est Guy Fletcher qui s’en chargera aux synthés), conforte à Going home son ambiance musique de film, apporte une touche mélodique sur Golden heart, et surtout une couleur musique de chambre viennoise dans l’intro de Rüdiger. Les Electra Strings, qui sont en fait l’orchestre à cordes attitré de l’émission, participeront à plusieurs concerts de la tournée de Mark, mais pas la totalité.
Pour les morceaux celtiques, le groupe est rejoint par les musiciens ayant participé à l’enregistrement de l’album : Liam O’Flynn , Máirtín O’Connor, Dónal Lunny, et Seán Keane des Chieftains. On peut les voir sur Done with Bonaparte, A night in summer long ago, Father and son et l’intro de Darling Pretty.
Enfin l’hôte de maison, Jools Holland lui-même, vient pianoter sur le final Gravy train. Dans les années suivantes, Mark aura l’occasion d’enregistrer à plusieurs reprises avec lui : Mademoiselle will decide, Rock’n’Roll Ruby, You win again…
Des « nouvelles » guitares
Après avoir traversé les années 80 et début 90 avec un certain nombre de guitares iconiques, Mark Knopfler abordait ce milieu des nineties avec une autre approche, question guitares. Les eighties avaient été celles des Schecter, puis des Pensa-Suhr, et quelques à-côtés typiques de l’époque (Steinberger, Gibson Chet Atkins Nylon…). Dans l’ensemble, mis à part la mythique National des années 30, toutes les autres étaient des guitares modernes. Même la Les Paul utilisée en 1985-86 sur Money for nothing et Brothers in arms était un modèle reissue fabriqué en 1984.
Mais en 1994-95, le guitar-hero fait l’acquisition de deux antiques Les Paul, une de 1958, l’autre de 1959, des années réputées comme parmi les meilleurs millésimes de la firme Gibson. Et c’est justement lors de ce concert qu’on peut les voir pour quasiment la première fois (on en voit une dans les clips de Darling pretty et Cannibals, ainsi que dans celui de Big river de Jimmy Nail en 1995). Mark joue la majeure partie du concert sur la Les Paul 58, tandis que la 59 trône au fond de la scène devant les amplis. Et à côté d’elle, une guitare de légende, celle figurant sur les premiers enregistrements de Dire Straits, des démos de juillet 1977, et des deux premiers albums : la Fender Stratocaster de 1961. Elle n’était pas réapparue depuis le documentaire Arena sur la BBC au printemps 1980 (bien qu’elle soit présente à priori sur la version studio du morceau On every street). Elle ne sera pas jouée sur cette tournée et ne fera son réel comeback qu’en 2000-2001. Mais elle est là, sur le plateau de ce concert, comme pour marquer un retour aux sources.
L’attrait de Mark pour les guitares vintage va se confirmer avec la « jurassic strat » de 1954, puis plus tard la Strato blanche de 1964, ou encore des modèles Gretsch, Teisco, Eko, ES-335, etc… sans parler des acoustiques comme sa Martin D18, ses Gibson southerner et Advanced Jumbo…
Et dans le même temps, une nouvelle Pensa fait son apparition : une finition « flamed » et 3 micros simples. On peut la voir et l’entendre sur Golden heart :
Quant à la mythique Pensa-Suhr MKI, elle vit sa dernière tournée, ici sur Gravy Train et Romeo and Juliet. Ainsi que plus tard en tournée sur Telegraph road et… Sultans of swing…
Une sortie en VHS puis en DVD… raccourci !
Vous avez dit Sultans of swing ? Mais le morceau n’apparait pas dans la playlist officielle du concert ni le DVD. Pourtant il a bien été joué lors de ce concert sur le plateau de la BBC, dans une version proche de ce qui sera celle de la tournée (mais avec le break au piano pas encore autant développé que quelques semaines plus tard) :
Tout comme Money for nothing, Sultans of swing figurait bien sur l’édition VHS du concert, sortie sous le titre A night in London. Lors de la réédition en DVD, les deux titres ont été tout bonnement supprimés ! On n’en connait pas la raison exacte. Mark était-il à ce point insatisfait des performances de ces deux morceaux ?
Alors que généralement, les rééditons en formats numériques offrent souvent l’occasion d’ajouter des bonus, Mark Knopfler est sans doute un des rares artistes (sinon le seul) à proposer un concert dont la version DVD comporte moins de chansons que la version VHS ! Encore un mystère insondable de notre homme et des affres de sa maison de disques…
La jaquette avec une photo tirée de la tournée On every street n’était pas non plus des plus judicieuses, mais c’est cette photo qui ornera les affiches de la tournée. Une démarche marketing à destination d’une partie du public qui n’aurait pas forcément fait le lien entre Mark Knopfler et Dire Straits. Pour sa première tournée solo, le guitar-hero devait encore se montrer sous l’étiquette vendeuse « la voix et la guitare de Dire Straits ».
Pourtant, avec ce showcase A night in London, et son ambiance intimiste à l’opposé des concerts en stades, on sentait bien la volonté de Mark Knopfler de tourner la page et de passer à autre chose. C’était il y a tout juste 25 ans aujourd’hui.
© Jean-François Convert – Avril 2021