‘Tubular Bells’ de Mike Oldfield a 50 ans

Le 25 mai 1973 arrivait dans les bacs ce premier album du label Virgin et d’un multi-instrumentiste surdoué.

Une popularité immédiate

Comment un jeune musicien à la timidité maladive a pu devenir à ce point célèbre ? Pour faire court, le talent et un concours de circonstances. Agé de 17 ans et musicien au sein du groupe de The Whole World mené par Kevin Ayers, le jeune Mike Oldfield compose différents thèmes musicaux qu’il enregistre sur une bande demo. Dans le même temps il rencontre un certain Richard Branson, patron de Virgin Records à l’époque seulement distributeur de disques. Mais quand celui-ci décide de lancer un nouveau label et offre à Oldfield la possibilité d’enregistrer dans le tout nouveau studio d’enregistrement The Manor quand celui-ci n’est pas utilisé, on peut déjà dire qu’un premier alignement des étoiles se produit. Et quelques mois plus tard, lorsque William Friedkin choisit un extrait du disque pour la bande originale de son film L’Exorciste qui sort aux Etats-Unis en décembre de la même année, la musique de Mike Oldfield va être propulsée sur le devant de la scène internationale.

Grâce à cet effet en quelque sorte promotionnel, Tubular Bells devient rapidement un disque à succès. Pourtant, son style musical n’était a priori pas destiné à un public de masse.

Une symphonie rock…

Certes, l’année 1973 regorge d’artistes de rock progressif, et on est habitué aux longues pièces instrumentales, qui parfois occupent toute la face d’un vinyle. Mais d’une part ce sont souvent des morceaux comportant aussi du chant, et d’autre part l’autre face est habituellement composée de morceaux plus courts, par exemple sur des albums comme Foxtrot, Close to the edge, Meddle, Atom heart mother… Mike Oldfield pousse la démarche au maximum : un morceau par face et (presque) intégralement instrumental. Des mouvements qui s’enchainent dans un esprit très musique classique, et aucun passage qui pourrait s’apparenter à une « chanson ». La vidéo ci-dessous nous permet de suivre en temps réel le son du morceau (partie 1) tout en lisant la partition :

La complexité de la composition ne fait aucun doute, et pourtant les différents mouvements s’enchainent plutôt naturellement. Le thème d’introduction angoissant utilisé pour L’Exorciste laisse place au bout de quelques minutes à de multiples autres ambiances bien différentes. Les indications sur la pochette originale ne donnent pas de précisions puisque les morceaux s’intitulent sobrement Part 1 et Part 2. Mais lorsqu’en 2003, Mike Oldfield décide de réenregistrer Tubular Bells, il détaille les différentes sections avec des intitulés parlants et des durées précises, indiquant qu’il avait forcément composé ces bribes de façon disparate avant de les assembler, procédé très courant dans l’élaboration de longues pièces musicales :

Cette « découverte » du nom des différents passages après la sortie de l’édition originale rappelle un peu la même chose que le morceau A Saucerful Of Secrets de Pink Floyd qui n’était désigné que par son titre sur l’album du même nom, et dont on a appris sur ummagumma qu’il est en fait composé de 4 parties.

… inspirée en partie par Ravel

Les influences musicales sont multiples et lorgnent aussi bien du côté de la musique contemporaine, du rock, du folk ou du jazz et même du blues. Quant au final de la première partie, il est calqué sur la même démarche que le Boléro de Ravel : une rythmique obsédante sur laquelle s’enchevêtrent plusieurs instruments jouant tous la même mélodie de façon répétitive. A la différence que le crescendo et son éclatement final sont suivis d’un retour au calme qui fait retomber la pression.

Le compositeur classique Doug Helvering a suivi la partition en écoutant la musique et nous partage ses réflexions et analyses sur la construction à tiroirs de cette œuvre musicale :

Une deuxième partie moins connue

Quant on évoque Tubular Bells, on pense instantanément à l’intro au piano et à L’Exorciste, ainsi qu’au final de la première partie avec son leitmotiv entêtant. Mais ce qui s’appelle « Finale » ne constitue en réalité que la fin de la première face et donc de la première partie. Le disque n’en est qu’à la moitié de l’œuvre, et Part.2 offre à entendre encore d’autres passages qui peuvent être moins connus du grand public.

Une partie intitulée Caveman attire toutefois l’attention. On y entend la voix de Mike mais complètement déformée. L’enregistrement s’est fait avec le magnétophone tournant en accéléré, et qui relu à la vitesse normale produit ce chant guttural, qui ressemblerait presque à ce qui se pratiquera bien plus tard dans le death metal. Mais encore plus singulier, je lui trouve personnellement une analogie frappante avec une voix de démon… ce qui peut quand même interpeler quand on sait le lien futur entre Tubular Bells et L’Exorciste

Tout comme pour la face 1, Doug Helvering nous livre son ressenti à l’écoute de la face 2 :

Des instruments et des sons atypiques

Mike Oldfield compose ainsi deux longs morceaux occupant chacun l’intégralité d’une face de vinyle. Nul doute que s’il avait pu lier le tout sans interruption il l’aurait fait. Il y parviendra d’ailleurs en 1990 sur Amarok en composant un morceau d’une heure, et bénéficiant alors de la technologie du CD. Mais ce jeune prodige ne se contente pas de signer une œuvre novatrice sur le plan de l’écriture musicale, il s’octroie en plus le luxe de jouer quasiment tous les instruments !

Au début des seventies, le principe d’overdubing est bien évidemment très courant et rentré dans les usages depuis plusieurs années. Nombre de guitaristes enregistrent plusieurs pistes de guitares en studio (d’ailleurs pas forcément dans le rock progressif), mais Mike Oldfield prouve qu’il peut produire une œuvre musicale digne d’une orchestre philarmonique à lui tout seul.

Hormis La flûte jouée par Jon Field, la contrebasse par Linsday Cooper, la batterie par Steve Broughton, la voix du maitre de cérémonie Vivian Stanshall, la « chorale du Manoir » (avec Tom Newman et Simon Heyworth, ingénieur du son au Manoir et producteur), et les chœurs féminins par Mundy Ellis et Sally Oldfield (sœur du musicien), Mike Oldfield assure tout le reste des sons qu’on peut entendre sur le disque, à savoir : Toutes sortes de claviers, guitares (électriques et acoustiques), mandoline, basses, percussions (le tout avec des effets tendant à faire sonner les instruments de manière inhabituelle)… et bien sûr les fameuses cloches tubulaires qui donnent le titre à l’album.

Modèle actuel vendu chez Thomann

Il s’agit de tubes d’acier de dimensions différentes (pour jouer plusieurs hauteurs de notes) que l’on frappe habituellement avec des baguettes. Mais le jeune Mike choisit de les faire sonner en utilisant un marteau ! Outre le fait de produire un son différent, cette technique donnera également l’esthétique de l’album avec cette image de cloche tubulaire tordue, qui va devenir un logo iconique.

Un logo immédiatement identifiable, un thème d’intro lancé par un film à succès, le premier disque d’un nouveau label qui va inonder la production discographique… Tubular Bells était destiné à devenir quasiment une marque.

Une œuvre déclinée à foison

Dès la sortie du disque en 1973, Tubular Bells est joué en public : le 25 juin, au Queen Elizabeth Hall (800 places), avec plusieurs musiciens du moment comme Mick Taylor, puis en novembre 1973 dans les studios de la BBC, toujours avec Mick Taylor, mais aussi d’autres instrumentistes reconnus tels Steve Hillage, Mike Ratledge, Pierre Moerlen, ou encore son frère Terry Oldfield… Par la suite, de nombreuses autres versions live verront le jour, notamment celle figurant sur l’album Exposed en 1979, celle de Knebworth en 1980, ou à Montreux en 1981 (liste non exhaustive).

Mais surtout, Tubular Bells va connaitre d’autres versions (une orchestrale en 1975 et une réenregistrée en 2003) et même des suites ! Tubular Bells II sort en 1992, Tubular Bells III en 1998, et The Millennium Bell en 1999 reprend également la même iconographie, bien que musicalement pas basé sur le même concept, et beaucoup plus axé sur les voix féminines.

Et pour fêter le cinquantenaire de l’album, une édition spéciale deluxe est annoncée avec des bonus. Cependant, les demos enregistrées par Oldfield en 1971 étaient déjà disponibles sur l’Edition Deluxe Digitale, mise en ligne sur la chaine YouTube Officielle de l’artiste. Plus surprenant, un morceau intitulé Tubular Bells 4 Intro a été publié il y a une dizaine de jours pour annoncer cette Edition 50e anniversaire. On ne sait pas encore si un quatrième opus de la série Tubular Bells est prévu en intégralité. En tout cas pour l’instant pas d’annonce officielle.

Comme on peut l’entendre, il s’agit d’une variation qui ressemble comme deux gouttes d’eau au fameux thème originel au piano. C’est dans ce même esprit qu’Oldfield avait déjà composé Tubular Bells II en 92 : une sorte de copie-pastiche qui ferait presque penser à de la musique au mètre… ces morceaux d’illustration musicale libres de droits qui s’inspirent d’œuvres connues mais en changent quelques notes pour s’en différencier. C’est pour ça que je n’ai jamais accroché aux suites de Tubular Bells, encore moins à Tubular Bells III qui par moments vire pratiquement techno-electro. Pour être honnête, il faut dire que je n’ai jamais écouté la discographie de Mike Oldfield après Discovery (1984).

Pour célébrer le cinquantenaire du disque de 1973, plusieurs concerts sont annoncés pour l’automne au Royaume-Uni, avec un orchestre dirigé par Robin Smith, collaborateur de longue date de Mike Oldfield.

Encore une énième version de cette pièce de musique incontournable ? Il faut bien avouer qu’avec ces déclinaisons de Tubular Bells à n’en plus finir, Mike Oldfield a souvent donné l’impression de s’autoparodier et tourner un peu en rond. Dommage, car l’œuvre originale est vraiment un chef-d’œuvre. Un album qui fête ses 50 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Mai 2023

Étiqueté , , , ,

3 commentaires sur “‘Tubular Bells’ de Mike Oldfield a 50 ans

  1. Superbe article. Après Discovery, il y a Amarok et Return to Ommadawn qui sont au niveau des premiers sans l’ombrelle d’un poil de doute pour mes écoutilles.

    2
    1. Merci 🙂

      0
  2. Bonjour Jean François,
    merci pour ces précieux renseignements.
    En effet dans chacun de ses albums, il y a des similitudes avec des œuvres classiques.
    Dommage qu’il n’ai pas poursui dans ce style classico pop progressif car il a fait largement progressé ce style.
    Comme toi j’ai décroché après Discovery.
    Bye
    Pierre

    1

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error

Suivez ce blog sur les réseaux