‘Selling England By The Pound’ de Genesis sortait il y a 50 ans

Le 12 octobre 1973 arrivait dans les bacs cet album de Genesis qui reste le préféré de Steve Hackett. C’est aussi mon cas.

Mon album préféré de Genesis

Dans la discographie de Genesis, j’aime tout de Trespass à Wind and wuthering. Mais Selling England By The Pound reste mon préféré, tout comme celui de Steve Hackett. Dès la première écoute j’ai tout de suite été enivré par la beauté des mélodies, la richesse des arrangements, les atmosphères à la fois lyriques, romantiques et mystérieuses, les grandes envolées et les moments plus calmes, les longs passages instrumentaux… la quintessence du rock progressif, et le sommet artistique de Genesis à mon goût.

Genesis le 20 novembre 1973 à New York (de gauche à droite : Steve Hackett, Mike Rutherford, Peter Gabriel, Phil Collins, Tony Banks) © David Gahr/Getty Images

C’est aussi le sommet commercial du groupe dans sa formule avec Peter Gabriel. L’album contient le premier single de Genesis à atteindre la 17e place dans les charts anglais en avril 1974, avec I Know What I Like (In Your Wardrobe). Une chanson pop à la mélodie reconnaissable qui va faire connaitre le groupe au grand public. Mais c’est surtout un album foisonnant de thématiques autour de l’Angleterre, qu’elle soit médiévale ou contemporaine. Des légendes mythologiques côtoient des préoccupations plus actuelles, et le tout forme un ensemble de huit morceaux qui même s’ils peuvent paraitres hétérogènes pour certains, s’imbriquent parfaitement du début à la fin du disque

L’album chanson par chanson

Dancing with the Moonlit Knight

Quasiment le morceau-titre, puisque c’est une phrase des paroles qui donne son nom à l’album. Le thème de la chanson porte sur la mythologie ancestrale de l’Angleterre, la presse musicale jugeant que Genesis faisait trop d’efforts pour attirer le public américain. La musique alterne classicisme et envolées épiques. Bien avant Van Halen, Steve Hackett utilise le tapping comme il l’avait déjà fait dans Supper’s Ready. En le combinant à l’effet violon avec une pédale de volume, il produit un son qu’on pourrait croire venu d’un clavier. Pour ce morceau en live, Peter Gabriel était vêtu d’une robe, d’un casque et d’une lance de l’Union Jack :

I Know What I Like (In Your Wardrobe)

Avec cette chanson, Genesis met un pied dans la pop de grande écoute. Un refrain entêtant, les deux voix de Gabriel et Collins, et des paroles inspirées par le tableau The Dream de Betty Swanwick figurant sur la pochette : « I’m just a lawn mower » (« je suis juste une tondeuse à gazon »). Le riff principal viendrait de Steve Hackett, alors qu’il le jouait en jammant avec Phil Collins. Un petit bijou pop avec une mélodie imparable, mais qui n’empêche pas l’incursion de la flûte traversière :

Plus tard, lorsque Gabriel aura quitté le groupe, ce morceau deviendra un terrain de jeu pour Collins qui fera le clown au tambourin, et les autres musiciens en profiteront pour glisser quelques citations musicales, notamment Stagnation issu de Trespass. La flute sera remplacée par le Mellotron de Banks.

Firth of Fifth

Le chef-d’œuvre de l’album à mon goût et mon morceau préféré de Genesis où tout est parfait. Il revêt pour moi une consonnance personnelle particulière et je lui ai consacré une chronique dédiée :

More Fool Me

On pourrait trouver que cette chanson acoustique fait tâche au milieu de l’album. Mais personnellement elle ne me dérange pas. Elle ajoute de la dynamique sur le disque et permet de faire retomber la tension entre deux pièces épiques. C’est le producteur John Burns qui serait à l’origine de cette « pause émotionnelle au milieu du disque ». Phil Collins chante seul, accompagné uniquement par la guitare de Rutherford (qui co-signe la chanson avec Collins). C’est donc un des rares (sinon le seul) morceaux de Genesis où ne figure pas Tony Banks !

Sur les rééditions CD, il est précisé « Vocals Phil » après le titre du morceau, alors que ça ne l’était pas pour For Absent Friends (sur Nursery Cryme), pourtant chanté aussi par Collins.

The Battle of Epping Forest

Si on met de côté Supper’s Ready qui est hors concours (et qui plus est, présenté comme une suite de 7 tableaux), The Battle of Epping Forest est sans doute l’un des morceaux les plus complexes composés par Genesis. Les ruptures mélodiques, rythmiques, harmoniques sont légion, et il est difficile de s’y retrouver aux premières écoutes. Le texte raconte l’histoire de deux bandes rivales qui se disputent les territoires sous leur contrôle. Peter Gabriel joue plusieurs personnages en changeant de voix et d’accent. Il dira plus tard que cette chanson était selon lui celle du répertoire du groupe où la musique était le plus en décalage avec les paroles. Compte-tenu du titre et des couleurs instrumentales, on pourrait effectivement avoir l’impression d’être dans une ambiance médiévale, alors qu’il s’agit en réalité d’une histoire moderne inspirée par un reportage dans l’un des journaux locaux.

The Battle of Epping Forest a été interprétée en concert au début de la tournée de l’album, avec Peter Gabriel attaché à un harnais, lui permettant de voler. La chanson a ensuite été écartée pour des questions de sécurité.

After the Ordeal

Très bel instrumental composé par Steve Hackett. Une première partie acoustique aux résonances moyenâgeuses, et une seconde avec le son caractéristique du guitariste. Ce dernier a du insister pour que le titre figure dans l’album. Il le joue régulièrement lors de ses tournées solo ou dans cette version minimaliste, couplée avec le solo de Firth of Fifth, avec juste un clavier en accompagnement :

The Cinema Show

L’autre monument de l’album. Les arpèges en ouverture étaient prévus au départ pour être enchainés directement après ceux de fin de Dancing with the Moonlit Knight ce qui aurait donné un morceau d’une vingtaine de minutes sur toute une face, dans le même esprit que Supper’s Ready. C’est justement pour ne pas chercher à reproduire cette pièce unique que l’idée a été abandonnée par le groupe. Pink Floyd fera de même avec Shine on you crazy diamond.

Le texte de la chanson fait référence à l’histoire de Roméo et Juliette de Shakespeare dans un contexte plus moderne, à notre époque. Les paroles, écrites par Banks et Rutherford, s’inspirent beaucoup du poème de T. S. Eliot The Waste Land. Côté musique c’est une succession de merveilles : les arpèges en intro à la Rickenbaker de Rutherford, suivis des harmonies vocales de Gabriel et Collins, la guitare chantante de Hackett, les solos de hautbois et flûte traversière de Gabriel, et bien sûr le final grandiose avec sa métrique en 7/8 et le solo de Banks de quatre minutes et demie, joué sur un ARP Pro Soloist.

Synthétiseur ARP Pro-Soloist utilisé par Tony Banks pour le solo de The Cinema Show

Un final épique, plein d’emphase et de lyrisme. Il aurait pu constituer le final de l’album tout court. Mais le groupe choisit de faire un rappel à la mélodie du premier morceau, donnant ainsi le sentiment d’une sorte de boucle (Pink Floyd aura une idée similaire dans The Wall).

Aisle of Plenty

Selling England By The Pound se termine ainsi comme il a commencé : la voix de Gabriel chante sur la même phrase mélodique entendue au début du disque. Mais cette fois, les paroles utilisent des jeux de mots tels que « Easy, love there’s the safe way home » (« Facile, l’amour, c’est le chemin le plus sûr pour rentrer à la maison ») et « Thankful for her fine fair discount, Tess co-operates » (« Reconnaissante de sa belle remise, Tess coopère »), en référence aux supermarchés britanniques. L’album se clôt sur des déclamations de promotions, comme si on était en train de « vendre l’Angleterre à la livre ».

Un album qui avait commencé dans l’Angleterre ancestrale teintée de mythologie et d’heroic fantasy, pour aboutir à celle contemporaine que Genesis perçoit avec une perte de culture populaire anglaise au profit de l’augmentation de l’influence américaine. Un constat amer porté par un groupe justement typiquement britannique. Mais surtout un magnifique album, sorti il y a tout juste un demi-siècle aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Octobre 2023

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2 commentaires sur “‘Selling England By The Pound’ de Genesis sortait il y a 50 ans

  1. « Dans la discographie de Genesis, j’aime tout de Trespass à Wind and wuthering. » : je crois que nous sommes beaucoup à être d’accord 😉
    J’ai d’abord connu Genesis par les tubes des années 80 et 90. C’est en achetant des 33T dans les brocantes vers 96/97 que je découvre ce qu’est vraiment Genesis. J’ai très vite trouver la disco en vinyle pour une bouchée de pain à l’époque.
    Les albums jusqu’à Wind & Wuthering vont donc me marquer avec notamment des morceaux comme : Super’s Ready, Fountain of Salmacis, Horizons, The Lamb Lies Down On Broadway,… et bien sûr Fith of Fifth !

    Merci encore pour cet article !!

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  2. Mille merci pour ce papier .je partage tous les commentaires et analyses. J ai encore appris des choses sur ce chef d œuvre du grand Genesis. Le rôle de hachette à toujours été sous estimé. On s en rend compte avec : and then they were 3. Firth of Firth est aussi mon préféré. A noter les xtrzmes graves à la fin du solo de Banks. Parce que la prise de son était également parfaite

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