Le 26 mars 1973 arrivait dans les bacs cet album qui ne connaitra malheureusement pas de suite
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Un supergroupe avorté
En 1970, après la dissolution du premier Jeff Beck Group (avec Rod Stewart et Ron Wood), le guitariste taciturne envisage de jouer avec la section rythmique de Vanilla Vudge : le bassiste Tim Bogert et le batteur Carmine Appice. Mais Jeff Beck subit un accident de voiture ce qui avorte le projet et les deux musiciens américains fondent le groupe Cactus. De son côté, Beck enregistre Rough and Ready et l’album éponyme du nouveau Jeff Beck Group. Cactus se sépare en 1972 (il se reformera en 1975) et le trio peut ainsi se réunir et enregistrer entre décembre 72 et janvier 73.
Il se murmure que l’idée originale de Beck en 69-70 était de jouer avec Bogert et Appice tout en gardant Stewart au chant afin de constituer un supergroupe. Celui-ci étant parti avec Wood rejoindre les Small Faces (devenant les Faces), ce sont Bogert et Appice qui assurent principalement le chant dans le power trio. Toutefois, Jeff Beck chante sur le morceau d’ouverture, Black Cat Moan.
Du rock plus soft en studio qu’en live
Dès ce premier titre signé Don Nix (le coproducteur de l’album), on est d’emblée dans un registre familier de l’époque : riff marqué, rythmique lourde, guitare slide saturée, et grille classique 12 mesures. Du heavy-blues qui colle bien à l’identité musicale des trois artistes. Impression confirmée par le deuxième morceau Lady, chanté par Appice, qui délivre en même temps des breaks ravageurs. Mais à partir de la troisième chanson Oh to love you (toujours Appice au chant), on bascule dans une ballade aux accents Pop, avec piano, mellotron, chœurs et ce qui semble être un sitar électrique (pas sûr, étant donné la capacité de Beck à faire sonner sa guitare de façon singulière). Couleur qu’on retrouve ensuite dans Sweet sweet surrender.
De même, l’album se clôt sur une reprise de Curtis Mayfield I’m so proud, avec slide aérienne et chœurs Soul langoureux. Ces trois morceaux sont très beaux et donnent du relief et de la dynamique au disque en lui évitant de rester sur une ligne purement heavy-rock. Mais ces ambiances Pop-Soul tranchent avec le rendu sonore que le groupe va donner sur scène. Un power trio au son énorme et qu’on pourrait qualifier plutôt de hard-blues-rock psychédélique.
Contrairement au live, Carmine Appice ne se livre à aucun solo sur l’album (alors que Ginger Baker et John Bonham l’avaient bien fait). En revanche, on remarque un mixage singulier de la batterie : la grosse caisse à gauche, et la caisse claire et les toms à droite… pas courant… à moins que le master utilisé pour le CD ait été le mixage quadriphonique de l’époque ?
Le batteur chante la majorité des morceaux (Lady, Oh to Love You, Sweet Sweet Surrender, Livin’ Alone, I’m So Proud) tandis que Bogert en assure trois : Why Should I Care, Lose Myself with You et… Superstition.
Une reprise de Stevie Wonder… et de Beck
Lorsque l’album Beck, Bogert & Appice sort en mars 1973, Stevie Wonder a déjà publié son disque Talking Book six mois auparavant en octobre 1972. Et ce quinzième opus du musicien prodige contient bien évidemment le mega-tube Superstition. Le morceau est en fait né lors d’une jam session entre Beck et Wonder au cours de l’année 72. Le guitariste est arrivé avec l’intro de batterie et Wonder a improvisé dessus, trouvant le fameux riff au clavinet, en jouant uniquement sur les touches noires du fait de sa cécité, ce qui donne cette tonalité en Mib.
Jeff Beck la joue en Mi, tonalité bien plus adaptée à la guitare, et surtout dans une version résolument plus rock. En concert, il rajoute la Talk-Box, bien avant l’enregistrement de Blow by Blow, où il l’utilisera sur She’s a woman et Thelonious.
Jeff Beck aurait-il dû être co-crédité sur Supersition ? On peut raisonnablement le penser, tant son apport à la chanson semble être plus que simplement l’intro de batterie… En « échange » de cette collaboration qui fait les choux gras de Wonder, celui-ci offre au guitariste deux chansons : I Got to Have a Song sur Rough and Ready et Cause We’ve Ended as Lovers sur Blow by Blow qui deviendra l’un des morceaux les plus connus de Jeff Beck. Ce dernier remercie d’ailleurs Stevie Wonder sur la pochette de Blow by Blow.
Un deuxième album inachevé et un live rare
Le trio part en tournée internationale, et un album live est issu des concerts à Osaka les 18 et 19 mai 1973. Mais le Beck, Bogert & Appice Live, connu aussi sous le nom Live in Japan ne sort qu’au Japon en tirage limité. Il devient ainsi pendant longtemps une rareté. Il a depuis été réédité pour son 40ème anniversaire.
Cet album live révèle véritablement la force et la puissance du trio. On y entend Beck utiliser massivement la talk-Box, et quand il sort en 1974, on est encore deux ans avant Frampton Comes Alive! qui est souvent cité comme le disque ayant popularisé cet effet. Une preuve supplémentaire, si besoin en était, que Jeff Beck a toujours été en avance sur son temps.
Mais aussi, ce n’est un secret pour personne, un caractère difficile. Alors que le groupe retourne ensuite en studio pour enregistrer un second album, le guitariste décide de tout arrêter et plaque les deux autres sans préavis. Une fin quelque peu amère d’une formation culte et qui promettait sans doute de belles productions musicales comme en témoignent des enregistrements pirates des sessions pour le deuxième album.
Jeff Beck choisira de passer au jazz-rock instrumental et abandonnera ce heavy-blues-rock qui avait fait sa renommée à la fin des sixties et au début des seventies. Reste aujourd’hui cet unique album Beck, Bogert & Appice qui est souvent considéré comme l’apogée de sa carrière. C’est en tout cas un de mes préférés. Un album sorti il y a tout juste 50 ans aujourd’hui.
© Jean-François Convert – Mars 2023
Berry Gordy avait flairé le potentiel énorme de « Superstition ». Et en tant que chairman de Motown, il a plus ou moins forcé la sortie de ce titre par Stevie Wonder, brisant ipso facto le deal entre les deux musiciens.
Flash back bizarre this morning… Je me souviens de la sortie de cet album comme je me souviens aussi du Why dont Cha de West Bruce and Laing et du Hot and Sweety de Cactus. But those Times are far away.
Ce fut un temps où des groupes géniaux firent long feu mais laissèrent des albums que l’on écoute encore avec de l’autre côté de l’océan les premiers Led Zep, Cream et Purple ou Free. Tout cela n’a finalement dure que quelques années ; avant l’intrusion massive du jazz -rock et l’avènement du format MIDI et la standardisation vers le son » rock FM ».
C’est pourquoi ces albums demeurent des pépites profondes: le rock c’est toujours One Way or Another!