Il y a 45 ans, Jeff Beck passait au jazz-rock avec “Blow by blow”

Sorti le 29 mars 1975, cet album reste une référence en guitare jazz-rock-fusion.

Un virage vers le jazz-rock

A mi-parcours des seventies, Jeff Beck a déjà une décennie bien remplie derrière lui : après avoir remplacé Eric Clapton au sein des Yardbirds (sur les conseils de Jimmy Page) en 1965, après avoir fondé le premier Jeff Beck Group (avec Rod Stewart et Ron Wood) dans un registre heavy-rock tendance concurrent de Led Zeppelin en 1967, puis le second Jeff Beck Group plutôt soul et Rhythm and Blues en 1971, et enfin le power trio Beck Bogert and Appice en 1972, le guitariste taciturne se retrouve sans projet précis au milieu des années 70.

En août 1974, il joue avec le groupe UPP, lors d’une émission à la BBC. Et on y entend ce nouveau style prisé par le musicien : le jazz rock

Entre deux morceaux, le guitariste explique au présentateur par le menu détail les différents éléments qui compose sa chaîne sonore : la guitare Les Paul, l’amplificateur, et surtout les effets…

Outre les classiques booster et wah, un effet novateur attire l’attention : la talk-box, qui permet de moduler le son de la guitare avec la voix, donnant ainsi l’illusion de faire parler l’instrument.

Et Jeff Beck l’utilise dans sa reprise très personnelle de She’s a woman des Beatles :

Un morceau qui va justement figurer sur l’album à venir…

Un album entièrement instrumental

Dans ses disques précédents, Jeff Beck a déjà enregistré de nombreux instrumentaux, déjà à l’époque des Yardbirds. Mais Blow by blow est son premier album entièrement instrumental. Et c’est surtout la première fois qu’il publie sous son nom seul.

Il retrouve aux claviers Max Middleton qui avait fait partie du Jeff Beck Group deuxième version. Ce dernier jouera plus tard avec Chris Rea. La section rythmique est constituée de pointures de studio : Phil Chenn est à la basse et Richard Bailey à la batterie. Et bien qu’il ne soit pas crédité, on entend également Stevie Wonder au clavinet sur Thelonious, un titre de sa composition. Car outre She’s a woman des Beatles, l’album comporte 3 autres morceaux non-originaux, ou en tout cas qui ne sont pas l’oeuvre de Beck et ses musiciens :

 Le magnifique final Diamond Dust est signé Bernie Holland, guitariste du groupe Hummingbird, formé par les anciens membres du Jeff Beck Group

► Deux titres sont de Stevie Wonder :

  • Thelonius, jamais enregistré par le jeune prodige aveugle, et avec donc sa participation (non créditée) au clavinet (clavecin électrique). C’est aussi le deuxième morceau de l’album où on entend la Talk-box
  • Cause We’ve Ended as Lovers, écrit pour sa femme Syreeta Wright, mais que Jeff Beck transcende littéralement, au point d’en faire un de ses morceaux phares, notamment en concert

Un des morceaux les plus connus de Jeff Beck

Sur les crédits au dos de la pochette apparaît la mention suivante :

« Dédié à Roy Buchanan, et merci à Stevie – signé Jeff Beck »

Pourquoi remercier Stevie Wonder, particulièrement sur ce morceau (et pas sur Thelonius) ? La version de Syreeta Wright sort en 1974, et Jeff Beck est donc autorisé à enregistrer sa propre version à peine un an plus tard, pour ce qui va finalement devenir un de ses morceaux les plus connus.

Il faut se rappeler qu’un autre morceau, plus que célèbre, lie les deux musiciens : Superstition a en effet été co-composé par le duo, mais n’est attribué officiellement qu’à Wonder. Quand Beck le « reprend » avec Boggert et Appice en 73, le morceau est crédité uniquement à Stevie Wonder, qui en a fait un tube 1 an plus tôt. On peut imaginer l’amertume du guitariste, qui serait l’auteur du riff emblématique.

Ainsi, certains évoquent l’idée que Stevie Wonder aurait « offert » Cause We’ve Ended as Lovers à Jeff Beck, un peu comme un juste retour de son mega-succès avec Superstition.

En ce qui concerne la dédicace à Roy Buchanan, on peut supposer une grande admiration de la part de Jeff Beck pour ce bluesman blanc, discret et sous-estimé, qui n’a pas eu le succès et la reconnaissance à la hauteur de son talent.

Une des particularités de son jeu était ces notes étirés, à l’effet « violon » (le volume de la guitare se montant juste après l’attaque), que Jeff Beck reproduit avec une déconcertante facilité dans l’intro. Roy Buchanan était également un adepte de la Telecaster, et Beck a longtemps interprété ce morceau sur ce même modèle de guitare, comme ici lors d’un concert avec Eric Clapton

Un disque de référence pour tous les guitaristes

C’est avec cet album que Jeff Beck gagne réellement son aura de virtuose de la six-cordes. Non pas que ses opus précédents soient de moindre qualité, mais sur celui-ci, il a fait preuve d’un perfectionnisme presque maladif, au point de refaire les solos à de nombreuses reprises.

Le producteur George Martin racontait cette anecdote où Jeff Beck lui avait demandé à réenregistrer une énième fois une partie de guitare, plusieurs semaines après le début des sessions, et Martin lui aurait répondu : « Jeff, je crois que le disque est déjà dans les bacs »

L’ex-mentor des Beatles a en effet rajouté sa patte sur ce disque de guitare. Les riffs qui mêlent funk, fusion, jazz et rock, sont encore plus mis en valeur par la production léchée de George Martin. Et le patron des nouveaux studios AIR (donnant son titre au morceau Air Blower) apporte tout son talent d’arrangeur avec les parties de cordes sur les deux morceaux qui referment chacune des faces : le thème entêtant de Scatterbrain, et le final lyrique sur Diamond Dust

Pour les versions live de Scatterbrain et Diamond Dust, les parties de cordes seront jouées aux claviers. Jeff Beck rencontre Jan Hammer avec qui il va se lier d’amitié, et qui va lui donner le goût des synthétiseurs, au point qu’il envisagera un temps d’abandonner la guitare pour se consacrer à ces nouveaux instruments qui déferlent sur le monde de la musique en cette deuxième moitié des seventies…

Mais heureusement, le guitariste n’ira pas au bout de sa démarche et restera fidèle à son instrument de prédilection, pour le bonheur de tous les aficionados de six-cordes.

A partir de Blow by blow, tous les albums suivants de Jeff Beck vont rivaliser de virtuosité et d’excellence sonore. Un monstre de technique, mais qui l’utilise à bon escient, sans démonstration, et toujours au service d’une musicalité raffinée.

Une légende de la guitare que j’ai eu la chance de voir sur la scène du théâtre antique de Vienne en 2018. ► Ma chronique du concert

45 ans après sa sortie, Blow by blow reste LA référence en matière de guitare jazz-rock-fusion. Mais il n’est pas nécessaire d’être guitariste pour l’apprécier pleinement. Son groove et son sens mélodique en font un chef d’oeuvre musical à part entière. Si vous ne le connaissez pas encore, c’est l’occasion de le découvrir.

© Jean-François Convert – Mars 2020

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5 commentaires sur “Il y a 45 ans, Jeff Beck passait au jazz-rock avec “Blow by blow”

  1. BONSOIR
    J’ ETAIS AUSSI A VIENNE EN 2018
    QUEL CONCERT

    IL AVAIT ANNULE 2 OU 3 ANS AVANT.

    1
    1. oui effectivement, super concert. j’en garde un excellent souvenir

  2. Un grand artiste. Comme pour beaucoup j »ai découvert Jeff Beck avec cet album.
    Mais une de mes musiques préférées de Jeff Beck : Brush With The Blues sur l’album Who Else!

    2
    1. C’est un morceau de Charlie Mingus, qui a été repris par de nombreux musiciens parmi les plus grands: John McLaughlin, Marcus Miller, Stanley Clarke, Joni Mitchell (avec Jaco Pastorius), Gil Evans, Carla Bley, …
      Je suis fan de ce morceau et de cette interprétation aussi. Celle très émouvante de Joni Mitchell de Pasto est à écouter, mais elles sont toutes intéressantes, quand un morceau est bon, il est bon 🙂

      1
    2. Oops, j’ai oublié de donner le titre du morceau 😀
      C’est « Goodbye Pork Pie Hat » – écrit en hommage à Lester Young.

      (et désolé pour la faute dans mon message précédant)

      1

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