Sorti en février 80, un album qui a fait date et a consacré le succès de Renaud. Des tubes, des chansons coup de poing, et des textes maîtrisés. Retour sur un grand cru.
En 1980, Renaud a déjà connu le succès avec Laisse béton, sorti en 1978. Fini la période dandy-gavroche à casquette des débuts en 1975 avec Hexagone et Camarade bourgeois, c’est maintenant le loubard en perfecto et santiags qui taquine la bien-pensance, toujours en gouailleur parisien, mêlant argot et calembours coluchiens. Place de ma mob (1978), Ma gonzesse (1979), Marche à l’ombre (1980), et Le retour de Gérard Lambert (1981) : quatre albums dans cette nouvelle panoplie de motard-voyou, qui joue de la clé à molette et de la chaîne de vélo, mais constamment avec décalage et ironie. Viendront après, l’appel du large et des embruns, et la paternité assortie de nostalgie de l’enfance.
Au sein de ce ces 4 albums, Marche à l’ombre tient une place centrale. Dédié à Jacques Mesrine (décédé en 1979), c’est le disque le plus rock dans la discographie du chanteur. Un disque moteur avec ses chansons phares. Le succès va aller bien au delà de celui de Laisse Béton et Ma gonzesse. Les deux tubes Dans mon HLM et le morceau-titre propulsent littéralement Renaud sur le devant de la scène. Mais chaque titre vaut son pesant de cacahuètes.
Sommaire
Marche à l’ombre
La chanson-titre est bien sûr devenue un grand classique du répertoire de Renaud, et figure au générique du film du même nom de Michel Blanc, sorti en 1984.
Je me souviens qu’à l’époque mon frère aîné avait le 45 tours, et cette image du chanteur pas souriant devant une vitre cassée m’avait marqué. Le foulard rouge (qui apparaît pour la première fois), le blouson noir, ça faisait de l’effet, et même si du haut de mes 9 ans, je ne saisissais pas toutes les subtilités des paroles, je sentais bien qu’on était en présence de quelque chose de nouveau et différent par rapport à ce qu’on entendait communément à la radio.
Une autre version live à la télévision, plus rare, avec un accompagnement carrément bluegrass :
C’était un autre temps, où on jouait live dans les émissions de télévision…
Les aventures de Gérard Lambert
Personnage haut en couleur, sorte de croisement entre le Lucien de Margerin et Brando dans L’équipée sauvage, ce Gérard est en fait inspiré du bien réel Gérard Lanvin. Ce même Lanvin qui était en couple avec une certaine Dominique… devenue plus tard l’épouse de Renaud. Et c’est un peu pour le railler que le chanteur a créé ce personnage à la fois drôle et pathétique. La musique aux accents morriconiens est signée Alain Ranval, plus connu sous le nom de Ramon Pipin (► Mon interview) , et qui a réalisé l’album
A noter que Renaud avait déjà fait allusion à Gérard Lanvin dans Ma gonzesse avec le vers « son mari, y veut pas, il dit qu’on est trop jeunes ». C’était en effet la période où le chanteur se produisait à la Pizza du Marais et flirtait déjà avec Dominique, alors qu’elle était encore en couple avec Lanvin. Une situation qui est restée un peu floue quelque temps… une histoire qui fait penser à celles que contait Brassens, l’idole de Renaud.
Dans mon HLM
Le deuxième tube de l’album. Paroles percutantes et sans concessions. Ce n’était pas si courant en 1980 de dépeindre la banlieue de cette façon.
Ce titre est devenu un incontournable en concert avec son riff blues-rock imparable.
Dans cette version du live Paris-Provinces en 1995, on reconnait à la guitare un certain Manu Galvin, que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors du concert de Maxime Le Forestier en décembre dernier.
La teigne
Pour moi la plus belle chanson de l’album et une des plus belles de Renaud. Un texte déchirant et fort. Une mélodie limpide, des arrangements sobres. A chaque écoute, ma gorge se serre et les larmes ne sont pas loin.
Abandonnée des setlists après 1982, elle a fait un retour plus qu’apprécié lors de la tournée de 1995, dans une très belle version, qui figure sur le live Paris-Provinces :
C’est a priori la dernière fois que Renaud a interprété La teigne sur scène
Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ?
« Cette chanson quand je l’ai écrite, je crois que j’étais vraiment énervé par la colère »
« Une bien teigneuse », c’est ainsi que le chanteur présente la chanson lors de son meddley solo-acoustique sur le live Paris-Provinces en 1995 :
Renaud a avoué par la suite que ce n’était pas sa chanson préférée, et sur bien des sujets, il a mis de l’eau dans son vin dans ses textes ultérieurs, notamment concernant la police. Mais elle témoigne de tout ce qu’il avait sur le cœur à cette époque, et il l’a chantée sur toutes les tournées jusque dans les années 90
Cette version mixe la vidéo du Casino de Paris avec l’audio de Lièges, deux dates de la tournée acoustique de 1992.
It is not because you are
Charles Aznavour avait déjà tenté les jeux de mots franglais avec For me, formidable en 1964, mais là, Renaud utilise un ton franchement décalé, dont l’esprit peut rappeler La Rubrique-A-Brac de Gotlib (et son fameux « how do you do – yau d’poêle »). Un humour singulier que j’ai découvert par la version à Bobino, avant la version studio et son « musical bridge »
En 1993, pour la promo du film Germinal, Renaud s’offre un duo avec un autre Gérard, qui lui aussi joue dans le film
Mis à part quelques seconds rôles ou de figuration dans les années 70, ou dans sa jeunesse (le très poétique ballon rouge à l’âge de 4 ans), et deux-trois apparitions clins d’œils, Renaud ne renouvellera l’expérience d’acteur qu’une seule fois : Wanted en 2003, où il retrouvera son compère Depardieu, ainsi que Johnny Hallyday.
Baston !
Encore une chanson-portrait. Angelo est un marginal comme les affectionne Renaud. Un gars sans avenir et désespéré, symbole d’une frange de la population dont on n’entend pas beaucoup parler dans cette France encore sous Giscard.
Toujours un grand succès en concert, comme ici en 1986, pour le live connu sous le nom Le retour de la chetron sauvage.
Baston ! a été joué en concert encore jusqu’en 2007, lors de la tournée Rouge sang.
Mimi l’ennui
Renaud s’attache aux paumé·es et laissé·es pour compte. Cette Mimi est sans doute une sœur ou lointaine cousine d’Angelo : la vie ne lui a pas fait de cadeau, et plutôt que la rage, Renaud nous chante ici la mélancolie, celle qui ne vous quitte jamais.
La chanson a aussi été jouée à la Fête de L’Huma en 1984, peut-être bien pour la dernière fois en concert :
C’est la dernière chanson « sérieuse » de l’album, avant les deux semi-farces de fin.
L’auto-stoppeuse
On retrouve le Renaud gouailleur et caustique, un peu comme sur la chanson-titre. Un bon riff rock ternaire et un texte qui pourrait être le petit frère du sketch de Coluche, mais cette fois vu du côté du conducteur.
Ce personnage d’auto-stoppeuse semble être le précurseur d’une certaine Pépette qu’on retrouvera dans les albums Morgane de toi et Mistral gagnant.
A priori, le morceau n’a plus été joué en live après 1982
Pourquoi d’abord ?
La dernière chanson du disque pousse encore plus loin l’humour potache. Un ton sarcastique, à mi-chemin entre les Monty Python façon final Vie de Brian, et la bande à Choron-Cavanna-Reiser-Wolinski. Le “chanteur énervant” utilise la blague sur fond de musique-menuet, pour déclamer à la fois ce qui le hérisse et ce qui le fait vibrer.
C’est vrai qu’elle est un peu bâclée
C’est parce que sur mon disque
Des chansons j’en avais que neuf
Et y m’en fallait dix
Ce qui peut au premier abord apparaître comme un comblement bâclé et vite expédié, s’avère finalement comme un aveu sincère de l’amour des plaisirs simples de la vie.
J’aime la vie et les coquillettes
Le musette et la bière
Pis fumer une vieille Goldo
En écoutant chanter Bruant!
Et il faut bien avouer qu’au départ de la chanson, on ne s’attendait pas à l’entendre citer Bruant !
Le morceau n’a été joué que sur la tournée ayant suivi l’album, en 1980.
Au final, un album parfaitement équilibré (le meilleur ?) entre textes vindicatifs, constats amers, humour et tendresse, rythmes rock et ballades mélancoliques. Renaud au sommet de son art. C’était il y a tout juste 40 ans ce mois-ci…
C’est vrai qu’il dépote sec ce quatrième album de Renaud ! De bons portraits , de chouettes mélodies , une pochette accrocheuse et quatre gros tubes au compteur : « Marche à l’ombre », « Dans mon HLM », « It is not because you are » et « Les aventures de Gérard Lambert ». On ajoute à ça une bonne médiatisation et hop , le voila Chanteur populaire habitué des plateaux télés des Carpentiers, de Guy Lux et des Hit Parades. Ça fera chier les fans puristes mais bon…
A chaque fois qu’il me gonfle avec ses états d’âme et ses chansons conformistes, je me dis qu’il a longtemps fait des bons trucs, et que peut être que moi aussi je me suis rangé des voitures(apparemment d’après ceux qui me connaissent depuis longtemps, non).alors j’écoute le vrai Renaud, le loubard, le révolté! l’autre est un retraité un peu dépassé