Le 15 avril 1966 arrivait dans les bacs cet album des Rolling Stones (leur quatrième album britannique et leur sixième américain). L’amorce d’un virage légèrement pop.
Sommaire
Deux éditions
En 1966, les Rolling Stones ne sont pas encore le plus grand groupe de rock du monde. Loin de là. Mais ils talonnent de plus en plus les Beatles et s’affichent clairement comme leurs challengers pour le titre. Avec Aftermath, ils opèrent un léger virage pop tout en conservant leurs racines Rhythm & Blues. Et c’est leur premier disque ne comprenant que des compositions originales du tandem Jagger/Richards (pas encore surnommé The Glimmer Twins, pseudo qui apparaitra plus tard pour créditer leurs productions).
Comme pour les précédents, l’album sort en deux versions : anglaise et américaine. Avec pas exactement les mêmes titres, pas le même nombre, et dans des ordres différents.
Edition anglaise (53 min)
Face A
- Mother’s Little Helper
- Stupid Girl
- Lady Jane
- Under My Thumb
- Doncha Bother Me
- Goin’ Home
Face B
- Flight 505
- High and Dry
- Out of Time
- It’s Not Easy
- I Am Waiting
- Take It or Leave It
- Think
- What to Do
Edition américaine (42 min)
Face A
- Paint It, Black
- Stupid Girl
- Lady Jane
- Under My Thumb
- Doncha Bother Me
- Think
Face B
- Flight 505
- High and Dry
- It’s Not Easy
- I Am Waiting
- Goin’ Home
L’édition américaine, qui n’utilise même pas la photo iconique du groupe, ne comporte pas les titres Out of Time, Take It or Leave It et What to Do, car l’éditeur américain publiait par habitude des albums de 11 chansons et non 14. Les quatre autres chansons sont publiées dans les compilations suivantes. De plus, le succès Paint It, Black remplace Mother’s Little Helper. Le marché américain se prive ainsi du morceau d’ouverture de l’édition anglaise qui marque pourtant un réel tournant dans la discographie des Stones.
Un disque plus pop et plus social
Mother’s Little Helper tranche en effet avec les précédents opus stoniens. Jusqu’à présent, les pierres qui roulent nous avaient habitués soit à des reprises de blues ou de Chuck Berry, soit à des compositions sur des thèmes qui tournent essentiellement autour de liaisons amoureuses comme sur Play with fire, ou d’insatisfaction adolescente avec le plus que célèbre (I can’t get no) satisfaction.
Mais ici, le duo Jagger/Richards s’attaque à un sujet hautement plus polémique : les conditions de vie des femmes au foyer et les abus de médicaments tranquillisants afin de tenir le coup face à la surcharge de tâches ménagères. Les Rolling Stones débutent ainsi leur album avec une thématique tabou de la société anglaise de l’époque. A noter que parmi les nombreuses reprises, la chanson a été interprétée par Liz Phair pour la bande son de la série Desperate Housewives.
Et cette maturité dans les textes s’accompagne également d’une nouvelle couleur musicale dans les arrangements. C’est Brian Jones qui insuffle un côté pop avec le riff singulier, souvent attribué par erreur à un sitar. Il s’agit en fait de la combinaison d’une mandoline et d’une guitare slide 12 cordes.
L’ange blond apporte son savoir-faire de multi-instrumentiste sur plusieurs morceaux : Sitar sur Paint it black, Marimbas et Vibraphone sur Under my thumb et Out of time, Harmonica sur Goin’ home et High and Dry, guitare slide sur Doncha Bother Me, orgue sur Take It or Leave It, Dulcimer sur I Am Waiting et la très belle ballade Lady jane. On peut le voir jouer de cet instrument traditionnel des Appalaches dans plusieurs apparitions à la télévision :
Mais toujours l’influence Rhythm & Blues
Ces nouvelles couleurs pop n’empêchent pas les Stones de garder leurs racines blues. Et le même Brian Jones qui s’aventure ver le sitar et le dulcimer continue de jouer brillamment de l’harmonica (Goin’ home et High and Dry), et de la guitare slide (Doncha Bother Me). Le groupe jamme pendant plus de 11 minutes sur Goin’ home, et continue d’aligner des rythmiques rockn’roll sur Flight 505, It’s Not Easy, Think… preuve qu’il compte bien garder les deux pieds dans le style qui l’a lancé. Et les sexistes Under my thumb et Stupid girl tendent à confirmer leur statut de bad boys.
« Laisseriez-vous votre fille épouser un Rolling Stone ? » disait un slogan à l’époque… Le manager Andrew Loog Oldham savait ce qu’il faisait en fabriquant cette étiquette de mauvais garçons. Et même sur un album qui semble s’orienter un peu plus vers la pop (le suivant, Between the buttons, le sera encore plus), les Rolling Stones gardent leur image savamment façonnée.
Ce mariage entre pop et rock, les Rolling Stones vont le cultiver de plus en plus durant les deux années suivantes, avant de revenir à un blues-rock sauvage et primal sur Beggars banquet en 1968. Album qui sonnera le glas de l’ère Brian Jones (excepté deux brèves interventions anecdotiques sur l’album Let it bleed). Mais en attendant, l’apogée des Stones première mouture, avec Jagger et Richards aux compos et Jones aux arrangements, se situe bien sur cet Aftermath, sorti il y a tout juste 55 ans.
© Jean-François Convert – Avril 2021