Les Beatles revus et corrigés par Les Excellents

Vendredi soir, le groupe Les Excellents emmené par Ramon Pipin était en concert au Café de la Danse pour revisiter l’album ‘Revolver’ des Beatles, ainsi que de nombreux autres grands classiques du rock et de la pop, dans leur inimitable style irrévérencieux. Ils récidiveront le 14 octobre. Ne les ratez pas car c’est vraiment « excellent »!

Voilà des années que je suis cet excellent groupe bien nommé les Excellents. Cette formation qui parodie les grands standards du rock et de la pop à travers des adaptations françaises hilarantes est emmenée par le génial Ramon Pipin que j’ai eu le plaisir d’interviewer à deux reprises : pour son album Qu’est-ce que c’est beau est 2019, et la récente sortie de son Best-Œuf en 2023.

Le principe qu’il a choisi avec Les Excellents est de réécrire les paroles de morceaux connus avec des textes français s’apparentant phonétiquement aux originaux. C’est ainsi que I feel good se transforme en « La fille boude », que Love me do devient « Pompidou », HonkyTonk Women se métamorphose en « ha qu’ces tongs », que les cloches de l’enfer d’AC/DC se prononcent tout simplement « Elle bêle », et que Massachussetts nous parle de… « chaussettes ». On trouve dans quelques rares cas des « traductions fidèles », tout au moins pour certains mots, mais très vite ça dérive des paroles d’origine. Si Simone Grégoire nous chante que les temps sont en train de changer, ce n’est pas vraiment en lien avec la chanson de Dylan mais plutôt sur les nouveaux rapports homme-femme, et quand Ramon nous vante les mérites d’un hôtel, celui-ci n’est pas en Californie mais au contraire en bordure de périphérique, dans la catégorie low cost… Et même quand il imagine un monde meilleur, c’est d’abord un monde où Les Excellents vendent 12 millions de CD !

Côté musiques, les arrangements sont reproduits de façon très fidèles, mais sur ukulélés. C’est la marque de fabrique des Excellents : jouer sur des instruments simples, voire de fortune, avec un aspect amateur revendiqué, bien que les musiciens soient aguerris, comme Ramon très bon guitariste, ou Amaury Blanchard à la batterie, fidèle compagnon de route de Pipin et Renaud, entre autres. L’ambiance volontairement foutraque des vidéos sur Internet prend d’ailleurs en concert une autre dimension avec jusqu’à 10 musiciens sur scène, l’ajout d’un quatuor à cordes, ainsi que des cuivres.

C’est surtout dans la deuxième partie du spectacle que la performance scénique atteint son apogée. Ramon et sa bande ont décidé de s’attaquer à l’un des chefs-d’œuvre des Beatles : l’album Revolver sorti en 1966, figurant parmi les disques les plus novateurs de la pop music. Pour introduire cette représentation inédite, le spécialiste Jacques Volcouve est venu dire quelques mots, reconnaissant à la démarche de Ramon Pipin une réelle originalité, alors même qu’il a déjà entendu des tonnes de groupes reprenant les Fab Four, et surtout qu’il « n’aime pas trop qu’on se moque des Beatles ». En discutant avec lui après le concert, il m’a confié une formule qui résume bien l’esprit des Excellents :

« C’est irrévérencieux, mais avec beaucoup de respect »

Jacques Volcouve

Il est en effet évident que Ramon Pipin adule les Beatles. D’ailleurs comme il le dit à un moment de la soirée « une chanson courte des Beatles, c’est toujours mieux qu’un truc long et chiant de Pink Floyd ou Iron Buttrefly ! ». Et force est de constater que la musique de Revolver est ici reproduite dans ses moindre détails. On aurait pu imaginer impossible d’interpréter les fameux sons à l’envers de l’album…? Qu’à cela ne tienne, le comédien et chanteur Eric Massot s’en charge à la voix, produisant des cris de mouettes plus vrais que nature sur Tomorrow never knows, tandis que Ramon singe les solos de guitares inversés sur I’m only sleeping.

Le quatuor à cordes restitue à merveille la partition de Eleanor Rigby… enfin plutôt de Elle adore le rugby… car cette musique parfaitement exécutée n’est là que pour soutenir les facéties linguistiques et les élucubrations scéniques de cette bande de joyeux drilles. Chaque vers est ponctué de rires nourris dans la salle, le public se délectant des analogies phonétiques avec les paroles originales. Un procédé qui rappelle ce que certains youtubeurs présentent comme des « hallucinations auditives » : croire entendre des phrases françaises au sein de textes anglophones.

Sauf qu’ici, Ramon Pipin pousse la démarche à un niveau d’écriture qui mélange des jeux de mots façon Raymond Devos à un humour potache que n’auraient pas renié Jango Edwards ou Les Nuls. Lennon a écrit Doctor Robert ? Ramon s’en empare à pleines mains pour nous parler de chirurgie mammaire… Love You To regorge de Sitar ? Et bien justement, Pourquoi viens-tu, sitar ? je vous pose la question… Vous entendiez For no one ? Ramon vous répond Capharnaüm

Et cette recherche de ressemblance phonétique n’est pas toujours aisée… Ramon l’avoue lui-même lorsqu’il a dû trouver des consonnances se rapprochant du superbe Here, there and Everywhere de Paul… Il a opté pour… Hitler ! Et sous l’humour potache affleurent souvent des messages pas si bêtes que ça : que ce soit la chance de vivre en démocratie dans ce Hitler et les dictatures militaires, la nouvelle recomposition des genres dans Gisèle Gisèle (remplaçant She said, she said) ou une adresse ironique à l’encontre des pourfendeurs du wokisme avec These boots are made for walkin’ transformé en Debout contre le wokisme.

Car après l’intégralité de Revolver, on a encore droit à près d’une dizaine de morceaux qui clôturent la soirée en beauté : des adaptations toujours aussi loufoques et en même temps impressionnantes musicalement de Kashmir (« un des plus grands morceaux du rock » selon Ramon qui en profite même pour glisser au passage une citation de The Lemon song), Baba O’Riley (question dessert, vous êtes plutôt baba au rhum ou riz au lait ?), Papa was a Rolling Stone (où Ramon se rêve en fils de Charlie Watts), YMCA où les Village People ajoutent un bûcheron dans leur équipe, et surtout A day in the life, inspirée par le fait que Mark Zuckerberg s’est fait construire un abri antiatomique d’où il pourrait continuer à piloter Facebook après l’Apocalypse. Mais alors, se demande Ramon, comment qu’il ferait en cas de WC bouchés avec plus aucun plombier de disponible sur la planète ?

Question existentialiste à laquelle nous n’aurons pas franchement de réponse. Mais en revanche, quel bonheur d’avoir ri tout en savourant ces musiques que je connais par cœur. Un grand plaisir d’avoir croisé Jean-Pierre Kalfon (que j’avais interviewé par téléphone à l’occasion de son album Mefistofélange), d’avoir rencontré en chair et en os Amaury Blanchard, le batteur entendu sur tant de chansons de Renaud (et que le chanteur énervant cite même dans À quelle heure on arrive ?), et surtout d’avoir échangé quelques mots avec Ramon, enfin en direct, après deux appels téléphoniques. Il était visiblement content du concert en remerciant chaleureusement le public après le final Superstition (avec Rachelle Plas invitée à l’harmonica).

En définitive, une super soirée, non pas avec Jean-Pierre, mais avec Les Excellents et deux grands moments jouissifs en début de concert : mon tube favori du groupe par lequel je les ai découvert et ne les ai plus quittés (Chatte), et un autre visiblement très apprécié du public qui l’a repris religieusement en chœur (Ah les nouilles). Des nouilles qu’il faut déguster comme il se doit, selon la recette lennonienne, c’est-à-dire accompagnées de LSD, qui rappelons-le signifie Légumes Salade Detox !

Dépêchez-vous de réserver pour le 14 octobre !

© Jean-François Convert – Octobre 2024

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