Le 30 septembre, l’INA et Diggers Factory ont sorti le concert unique que donna Yves Montand en faveur de réfugiés chiliens, début 1974 à l’Olympia.
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Un concert resté inédit jusqu’à présent
En 1974, le Montand vedette du music-hall a, depuis quelques années, cédé la place au Montand comédien. Alors que son dernier récital remonte à 1968, quand le coup d’état de Pinochet au Chili entraîne l’arrivée en France d’un grand nombre de réfugiés politiques, il ne peut y rester indifférent. L’acteur-chanteur décide de remonter sur scène pour un concert unique en leur faveur, le 12 février 1974. De ce concert, on ne connaissait que les répétitions grâce au film La solitude du chanteur de fond, de Chris Marker…
Aujourd’hui, ce double album inédit édité par INA et Diggers Factory propose de revivre ce moment unique où Montand revisite les succès de ses débuts, les chants de la Commune, qu’il a contribué à faire connaître, ou les chansons de Jacques Prévert. Le tout accompagné de Bob Castella et de son orchestre, avec une énergie furieusement joyeuse !
madelen, la plateforme de streaming illimité de l’INA, permet également de retrouver une riche sélection de programmes consacrés à Yves Montand, comme les documentaires Ivo Livi, dit Yves Montand, de Patrick Rotman, ou Yves Montand de Jean-Claude Delannoy.
Un Graal personnel
Parmi les disques à la maison que j’écoutais adolescent, il y avait ce 33 tours intitulé Pour les enfants du Chili et regroupant un collectif de différents artistes phares de la chanson française : Brassens, Ferrat, Sylvestre, Mouloudji, Le Forestier, Reggiani… et Montand. La plupart des versions étaient les originales, faisant de ce disque une sorte de compilation.
Mais dans le cas de Montand, il s’agissait d’un enregistrement en public des Feuilles Mortes que je ne trouvais nulle part ailleurs, avec la particularité d’avoir l’intro chantée à la différence du concert à L’Olympia en 1981 où elle est parlée. Et un solo de trompette bouchée remplaçait celui de piano.
Le disque étant daté de 1977, il ne pouvait bien évidemment pas s’agir d’une prise alternative de la tournée du début des années 80. Et comme Montand avait mis la scène entre parenthèse dans les années 70, j’ai longtemps pensé que la version provenait de son récital à L’Olympia en 1968. Mais celui-ci n’étant pas édité, je ne pouvais le vérifier.
Ces dernières années j’ai tenté en vain de retrouver cet enregistrement sur Internet. Aucune recherche avec les mots clé « Montand « , « Feuilles Mortes », « Chili », etc… n’a été fructueuse. Aussi, quel bonheur de trouver enfin ce concert de 1974 à L’Olympia dont est tirée cette fameuse version des Feuilles Mortes.
Le tatillon que je suis constate tout de même quelques très légères différences avec le vinyle, notamment au niveau du piano. Mixage différent ? Autre prise pour un autre concert ? Pourtant il semble bien qu’il n’y ait eu qu’un seul et unique concert le 12 février 1974, comme l’indique le chapitre sur le livre Yves Montand par Joëlle Montserrat :
La chanson aurait-elle été interprétée à nouveau en rappel ? Ou un mix avec des prises des répétitions comme on peut le voir dans le documentaire La solitude du chanteur de fond, de Chris Marker ? Néanmoins, mis à part ces détails à peine perceptibles, je retrouve la version que j’ai dans la tête depuis bientôt une quarantaine d’années, et c’est le principal. Et le reste du concert offre de bien belles surprises.
Mes impressions sur le concert
Le double album Olympia 81 restant pour moi la référence de Montand en public, je n’ai pu m’empêcher d’établir des comparaisons en écoutant ce concert de 1974, qui s’avère être calqué sur son tour de chant de 1968, mais que je ne connais pas non plus, faute de parution officielle à ce jour (hormis un ou deux morceaux sur le coffret Inédits, rares et Indispensables sorti en 2001).
Chacun des deux disques s’ouvre sur un instrumental qu’on imagine accompagnant l’arrivée du chanteur sur scène (sans doute y avait-il un entracte, chose très coutumière à l’époque). Mais alors qu’en 81, les instrumentaux sont des morceaux de jazz, ici on a droit à deux tubes de Montand, que par conséquent il ne chantera pas : À Paris et Du soleil plein la tête.
Chaque morceau se termine en fondu, si bien qu’on ne peut affirmer avec certitude si l’ordre sur les disques est bien celui du concert. Les notes de pochette affichent une durée totale de 01h18m29s et indiquent que le concert a été enregistré par l’ORTF et diffusé en direct le 12 février 1974 sur France Inter.
DISQUE 1
- À Paris (instrumental) –1’04
- Mon frère – 2’15
- Battling Joe – 3’31
- L’Étrangère – 2’56
- Quelqu’un – 2’13
- Clémentine – 3’14
- La Colombe de l’arche – 1’53
- La Bicyclette – 2’47
- Coucher avec elle – 2’25
- Bella Ciao – 1’58
- Sir Godfrey – 4’28
- Dans ma maison – 4’32
- Les Grands Boulevards – 1’32
- Le Temps des cerises – 3’19
- Ne rèvez pas
- Les Saltimbanques – 2’56
DISQUE 2
- Du soleil plein la tête (instrumental) – 2’19
- En sortant de l’école – 2’26
- Je me souviens – 2’09
- La Complainte de Mandrin – 3’05
- Luna Park – 1’57
- Planter café – 4’02
- Idylle Philomènale – 1’35
- Sanguine, joli fruit – 2’43
- Quand un soldat – 2’16
- Le Télégramme (Avec Simone Signoret) – 4’00
- Le Cireur de souliers de Broadway – 3’27
- Les Feuilles mortes – 3’52
- Le Chant des partisans – 4’07
On remarque quelques chansons « rares » dans les enregistrements public du chanteur, ou qui le deviendront en tout cas par rapport à la tournée des années 80 : Bella Ciao, La Complainte de Mandrin, Coucher avec elle, Le Temps des cerises…
Les arrangements sont eux aussi différents de ce qu’on a pu connaitre par ailleurs : Batting Joe comporte une wah-wah forcément très en vogue dans les seventies, La Complainte de Mandrin est étonnamment jazzy pour un texte tragique, et Planter Café est ralenti par rapport aux années 60, avec une basse dodelinante, annonçant la superbe version qui figurera dans l’émission de Jean-Christophe Averty Montand d’hier et d’aujourd’hui, en 1981.
Quant au Chant des partisans qui clôt avec émotion ce concert faisant suite à l’instauration du régime fasciste de Pinochet au Chili, Montand le débute directement en chantant, contrairement à la version sur le disque de 1955 Chansons populaires de France, où le chanteur préférait l’introduire en parlant. Mais le chant allemand des années d’occupation en introduction subsiste bien lors du concert, comme pour rappeler la fragilité de la démocratie et qu’à tout moment le totalitarisme peut revenir, comme c’était justement le cas en Amérique du Sud en ce milieu des années 70.
Toujours féru de noter des détails insignifiants pour la plupart des auditeurs, j’ai remarqué que le chanteur se trompe dans les paroles de Quand un soldat (première strophe, il trébuche sur ce qui devrait être « quand un soldat revient de guerre »), ainsi que dans celles de La Bicyclette (je crois entendre une sorte de « nous étions d’autres bons copains » au lieu de « quelques bons copains »). D’ailleurs, sur le livret, cette chanson est créditée par erreur à René Alquier, Bourvil, et Étienne Lorin. La faute à l’homonymie du titre de Montand (originellement À bicyclette) avec celui du morceau de Bourvil, et qui avait dû être changé et enregistré à la SACEM sous la nom La Bicyclette. Mais la chanson qu’on entend sur le disque de Montand est bien évidemment signée Pierre Barouh pour les paroles et Francis Lai pour la musique.
Pour présenter Le cireur de souliers de Broadway, le chanteur emploie la même introduction qu’il reprendra en 1981 : « la chanson a peut-être vieilli, mais le petit cireur a grandi ». En revanche, dans le sketch Le télégramme, il ajoute une facétie que je n’avais jamais entendue auparavant : « Eugène Sue, mais oui vous savez bien, Les Misérables, Les 3 mousquetaires… » et sa justification pour préférer le télégramme au téléphone fait rire l’assistance aux éclats :
Un sketch qui rappelait le Montand comédien, facette de l’artiste alors bien plus en avant en 1974 que son profil de chanteur. C’est pourquoi ce concert unique a une saveur particulière dans la carrière de Montand. Et après être resté inédit pendant plus de quatre décennies, il est enfin disponible pour notre plus grand plaisir.
© Jean-François Convert – Octobre 2022
Bonjour j’ai lu avec délectation votre critique. Je me permets d’ajouter une précision : l’Olympia 68 à bien été édité, j’ai grandi avec le 33T de mon papa comprenant les versions live de « la plus belle des mers », « je t’aime » etc avec un Montand à son sommet de maîtrise vocale. J’ajouterai qu’il a même été re-edité e doiv’e CD, j’en ai 3 exemplaires !
merci pour cette précision
je vais m’empresser de me le procurer, et j’ai prévu une chronique en octobre pour les 55 ans