Après Graeme, au revoir Anne…

Cette année 2020 voit disparaître deux de mes idoles d’enfance. Au revoir Anne Sylvestre.

Anne Sylvestre le 11 Décembre 1965 à l’émission Fan club © R. Frings / Wikimedia Commons

Le trio de mon enfance

Graeme Allwright en début d’année, Anne Sylvestre ce 1er décembre… décidément 2020 restera comme une sale année. Espérons que l’adage jamais deux sans trois ne sera pas vérifié, et que Steve Waring gardera la santé encore longtemps. A eux trois, ils constituaient le trio de mon enfance. Il faut que je m’en aille, J’ai une maison pleine de fenêtres et La baleine bleue… trois chansons qui me viennent instantanément à l’esprit quand je pense à mes années d’école primaire, voire maternelle.

Forcément le nom d’Anne Sylvestre m’évoque les Fabulettes, ces comptines remplies de poésie, de douceur et de légèreté. Je revois le disque 33 tours qu’on déposait délicatement sur la chaîne Hi-Fi du salon. Des écritures d’écoliers, des lettres et des mots colorés comme dans les livres pour apprendre à lire, des illustrations semblant sorties de rêves éveillés, les paroles que l’on suivait en écoutant les chansons, ou encore l’odeur de la pochette en carton… l’odeur de l’enfance.

Un disque pour la maison

Ce que j’ai pu l’écouter ce disque ! Et chanter à tue-tête en simultané ! Dans ma fusée, Chat c’est toi le chat, Flocon papillon…Au bout de quelques temps, même plus besoin de lire les paroles sur la pochette, on les connaissait par cœur. Et je me souviens aussi de la pochette d’un autre album, celui Chansons pour

A la différence de Graeme Allwright, dont le souvenir reste essentiellement lié aux trajets en voiture, ou aux feux de camp en colos, Anne Sylvestre évoque plutôt l’intérieur rassurant du foyer. Le cocon familial chaleureux (on n’employait pas encore le terme « cosy » à l’époque), les mercredis ou dimanches après-midi, les activités de pâte à modeler, de dessin, de découpage, ou de pâte à sel, les puzzles ou les marionnettes avec le théâtre en bois et tissu.

Mais même en restant à la maison, notamment en hiver, les chansons d’Anne Sylvestre permettaient de faire des voyages sans limites. S’envoler Dans ma fusée ou avec les Oiseaux, aller au Bal des champignons, partir dans une autre ville à la rencontre de Une dame de Dijon, s’imaginer que Si le renard tousse, il venait peut-être de la même planète que Le Petit Prince

Et puis quand une chanson s’appelle Mon vélo est blanc, et que justement on a appris à pédaler sans les petites roulettes sur un vélo blanc, ce disque nous ramenait instantanément aux vacances à l’île d’Oléron, au camping de la Combinette…

Des chansons à transmettre

Et puis plus tard, devenu père à mon tour, j’ai eu envie de faire écouter les chansons de mon enfance à mes filles. Et Anne sylvestre était bien sûr en bonne position. Mais surtout, quel plaisir d’en découvrir de nouvelles ! Car la chanteuse ne s’est jamais arrêtée, et a continué de publier des Fabulettes tout au long des années, à chaque fois en les regroupant par thèmes : les Fabulettes en vacances, à l’école, à manger, ou même à lunettes un disque qui a accompagné ma fille aînée lorsqu’elle a dû avoir « Un petit vélo sur le bout du nez »

Ouvrez la vidéo sur YouTube pour accéder à la playlist complète de l’album « Fabulettes à lunettes »

Des mélodies limpides, très travaillées, qui semblent simples de prime abord, mais qui témoignent d’une grande sensibilité musicale. Des rythmes qui emportent, qui enveloppent, qui donnent l’envie de sautiller, de siffloter, de rire, de vivre. Et en lisant les notes de pochette je découvre que les arrangements et la direction d’orchestre sont depuis toujours de François Rauber, compagnon musical de Jacques Brel, entre autres. Des orchestrations toujours très fines et d’un goût exquis, qui s’accordent à merveille avec la musicalité des textes d’Anne Sylvestre.

Et puis une compilation sur l’environnement que je découvre au début des années 2000. Plusieurs chansons issues d’albums précédents, et regroupées autour d’un message de sensibilisation des enfants au côté précieux de notre planète, de nos terres et nos océans :

Des paroles jamais infantilisantes, jamais simplistes. Toujours une once d’humour, de clins d’œils, de malice, et surtout beaucoup de tendresse et de bienveillance.

« J’ai l’impression d’avoir été un peu le doudou de pas mal d’enfants. Je suis très fière de ça parce que j’ai su leur donner une matière, des notions.»

Anne Sylvestre

Effectivement, ses textes ont permis d’insuffler des messages de façon subtile et poétique. En laissant germer des idées et des concepts dans les petites têtes rondes d’enfants, qui en devenant adultes, ont su ou sauront s’en souvenir pour les mettre à profit et les transmettre à leur tour.

Et en plus, même en grandissant on peut continuer à écouter Anne Sylvestre…

Une chanteuse engagée

Ce n’est que récemment je l’avoue, que j’ai découvert son répertoire « pour adultes ». Je savais qu’elle avait écrit et composé d’autres chansons que ses fabulettes, et qu’elle avait publié des albums pour un autre public que les enfants, mais je n’avais jamais eu l’occasion de les écouter.

Et à travers notamment ses deux 33 tours Comment je m’appelle (1977) et J’ai de bonnes nouvelles (1978), j’ai ressenti la même émotion, la même qualité d’écriture, la même profondeur dans l’utilisation des mots, que chez Brel, Brassens, Barbara, Ferrat

De la plus connue Les Gens qui doutent, à la nostalgique Douce maison, ou la lyrique et féministe Un bateau mais demain, en passant par la truculente Dis-moi Pauline et les caustiques Petit Bonhomme ou La Faute à Ève, les chansons d’Anne Sylvestre laissent transparaître une plume qui savait croquer les rapports humains, parler de la place de la femme dans la société, et titiller le machisme patriarcal de certains

« Quand j’ai commencé à entendre des gros rires d’hommes quand je chantais ‘Petit bonhomme‘ ou ‘La faute à Ève‘, je me suis dit : « Bon, eh bien ça va ! » parce que les hommes aussi ont de l’humour »

Anne Sylvestre

Mais les relations conjugales ou familiales n’étaient pas toujours traitées avec ironie. Parfois, l’écriture se faisait poignante en laissant affleurer les blessures, comme le très beau Frangines :

Le mariage homosexuel, l’avortement, la domination masculine, les violences conjugales… autant de thèmes sociétaux que l’auteure-compositrice avait abordé bien avant qu’ils ne soient au centre du débat médiatique. Visionnaire sur de nombreux sujets, constamment libre, et revendiquant l’étiquette de chanteuse féministe, elle n’a pas toujours eu la reconnaissance à la hauteur de son talent.

« Je suppose que ça m’a freinée dans ma carrière parce que j’étais l’emmerdeuse de service, mais ma foi, si c’était le prix à payer…»

Anne Sylvestre

Mais qu’importe, elle a mené sa carrière comme elle l’entendait et fait preuve d’une longévité rarement égalée : en 2017, à 83 ans, elle montait sur scène pour célébrer ses 60 ans de chanson.

Artiste jusqu’au bout

Et puis quel bonheur de l’entendre chanter en duo avec Gauvain Sers sur le dernier album du jeune creusois, en 2019, Les oubliés (► ma chronique et interview sur franceinfo culture). Un titre qui lui collait bien à la peau : Y’a pas de retraite pour les artistes

Et le chanteur à casquette en velours côtelé marron a tenu à rendre hommage aujourd’hui à celle avec qui il dit avoir partagé un « moment suspendu en studio » :

Des moments suspendus, elle en a fait vivre à plus d’une personne, dont l’auteur de ces lignes. Merci Anne pour ces textes et ces musiques qui continueront de résonner encore longtemps. Et avec les filles, on va de ce pas réécouter et chanter tous ensemble Balan Balançoire qui nous emmène « tout là-haut parmi les oiseaux », tandis que « tu voles et tu t’envoles » que « toute douce, des ailes te poussent », que tu « nages dans les nuages »… Je t’imagine avec ton tendre sourire, dans un beau ciel bleu. Bon voyage Anne.

© Jean-François Convert – Décembre 2020

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6 commentaires sur “Après Graeme, au revoir Anne…

  1. Merci Jean-François pour ce bel hommage. Un peu plus complet et intéressant que ce que nos journaleux se sont repassés entre eux. Pour moi aussi Anne Sylvestre est un monument et ça me console un peu de savoir qu’après elle son oeuvre restera. Peut-être même qu’une courageuse fera une reprise un jour. Biz. Caro and the Cesbron qui ont bien reçu leur dose de fabulettes eux aussi.

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    1. Merci Caro

  2. que d’émotions, Jeff! et comme je te comprends…En octobre 81, ce que j’ai pleuré quand l’oncle Georges s’est tiré. Un gros bout d’enfance, d’adolescence et de jeune adulte

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    1. Merci Denys. Brassens fait aussi partie de mon enfance, même en décalé. A la maison on avait un livre-disque avec les chansons illustrées : les sabots d’Hélène, le petit cheval blanc… Je ne me souviens pas de son décès, j’avais 10 ans, et je ne suivais pas les infos à cet âge. Mais sûr que si arrivait maintenant, je pleurerais aussi

  3. très bel hommage à cette chanteuse que tu connais si bien au point que je suis émerveillé d’apprendre comment tu parles et de ses chansons et surtout de tes souvenirs d’enfance….. bravo

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    1. Merci papa

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