C’était hier soir, en séance unique dans les cinémas Pathé: le film “Western Stars”, où le Boss se livre à cœur ouvert. Alternance de séquences semi-intimistes, et concert acoustico-symphonique donné dans la grange de son ranch au New Jersey, avec les 13 chansons de son dernier album du même nom, et une reprise de Glenn Campbell.
Sommaire
Les deux faces de l’Amérique
Le film débute par de superbes images typiquement américaines : des chevaux galopent dans des plaines désertiques, sous le soleil écrasant. Springsteen parcourt ces grands espaces à pied ou à bord d’un pickup. De longues routes droites à perte de vue.
Plusieurs scènes du film ont été tournées dans le désert californien de Mojave, connu pour ses fameux “arbres de Josué” (qui ont d’ailleurs donné son titre à l’album The Joshua Tree de U2) et également pour avoir été la dernière demeure du légendaire Gram Parsons. Le lieu passe aussi pour avoir été à la convergence de nombreux artistes folk-rock des années 70 : The Byrds, Crosby, Stills & Nash, Tom Waits, Neil Young ou même The Eagles. Et ce n’est sans doute pas un hasard, si ce dernier album “Western Stars” s’envole vers des contrées plus folk et country que rock.
Dans ces plans magnifiques, on ressent à la fois une plénitude et une immensité qui donne le vertige. L’Homme semble perdu dans un monde trop vaste.
Et puis, la voix familière du Boss vient nous parler à l’oreille. Simplement, sincèrement, sans détours, sans fioritures. Bruce nous raconte son cheminement personnel, son amour de la musique, et comment et pourquoi il a réalisé ce film.
Il nous explique que l’Amérique a deux faces : l’une un peu individualiste et solitaire, et l’autre fraternelle et solidaire. Et entre les deux, le chanteur a clairement choisi.
Les deux faces de Bruce
Mais s’il a trouvé aujourd’hui l’apaisement et la sérénité, l’auteur de Two faces raconte aussi que cela n’a pas été toujours simple. “Deux personnalités” chantait-il en 1987 dans son album Tunnel of love. C’est aussi un peu ce qu’il décrit à travers son parcours, où il n’hésite pas à évoquer un “côté destructeur”, aujourd’hui dernière lui. Et si j’évoque ce morceau de 1987, c’est aussi parce j’ai ressenti des analogies entre l’album sorti il y a plus de 30 ans, et ce “Western Stars”. A l’époque, si on exclut Nebraska en 1982, Tunnel of love est le premier véritable album solo de Spingsteen. Il s’affranchit du E-Street Band, et abandonne provisoirement les sonorités rock pour aller vers quelque chose de plus aérien. C’était la fin des eighties, et les claviers très présents peuvent sembler aujourd’hui un brin datés. Mais la démarche entreprise cette année dans Western Stars n’est pas si éloignée : sortir des arrangements typiques guitares-claviers-basse-batterie pour embrasser une dimension presque symphonique : le mariage du country-folk et d’un orchestre classique.
Et pour mettre en valeur cette musicalité “cinématique”, quoi de mieux que de jouer en direct avec cordes, cuivres et choristes…
Un concert filmé chez lui
Habitué aux performances fleuves dans les stades, la rock-star a opté ici pour un dispositif plus intimiste : quelques amis invités dans sa grange, chez lui dans son ranch au New Jersey. Un public sans doute moins nombreux que les musiciens ! Les applaudissements sont discrets, mais l’ambiance est chaleureuse. Le groupe joue merveilleusement bien, et le Boss est impérial. La grande classe.
Avant chaque chanson, Bruce nous en explique l’origine ou la signification. En voix off, ou depuis chez lui, ou dans son pickup. La performance live, quant à elle, est tirée au cordeau : peu de place à l’improvisation, mais un jeu fluide, une voix posée, la sagesse et la maturité incarnées.
Le dispositif technique est tellement parfait et presque invisible, qu’on a plus l’impression de voir un clip qu’un concert. Pendant quelques instants, j’en suis même venu à me demander si certains morceaux étaient en playback ou non… Ce n’est bien évidemment pas le cas, mais c’est représentatif du rendu visuel et sonore, presque un poil trop policé. Il se peut également qu’il y ait eu quelques raccords de montage entre différentes prises : en effet à la fin du film, on entend Bruce dire au réalisateur Thom Zimny quelque chose comme “quand on a joué celle-ci l’autre soir” , preuve qu’il y a eu plusieurs concerts.
La playlist des chansons du film
Question arrangements, les versions du film ne sont pas très éloignées de celles de l’album. Ce n’était d’ailleurs pas le but. Tout au plus quelques intros un peu rallongées, parfois en fond sonore des explications de l’auteur à propos de ses chansons.
Les 13 morceaux sont joués exactement dans le même ordre que le disque. En bonus, le concert filmé se termine par une reprise de Glenn Campbell : Rhinestone Cowboy
Après ce dernier titre, le générique de fin défile sur les images de la grange vide où reste seul un balayeur, et Bruce discutant avec son épouse Patti. On peut d’ailleurs voir tout au long du show leur évidente complicité, mais tout en pudeur, sans effervescence déplacée. Quelques regards, des sourires discrets, qui racontent quelque chose de solide, débuté il y a 30 ans…
Des images d’archives personnelles
Si j’ai fait le parallèle avec Tunnel of love ce n’est pas un hasard. C’était un nouveau départ musical pour le Boss, mais aussi le début d’une nouvelle vie avec sa choriste Patti Scialfa, présente dans le E-Street Band depuis 1984 (tournée Born In The USA). Il divorce de Julianne Philips en 1989 pour épouser Patti en 1991, avec qui il a trois enfants. Mais c’est réellement sur l’album de 1987 que Patti commence à prendre sa place dans la vie de Bruce. On l’entend très distinctement au chœurs sur plusieurs chansons, et on l’aperçoit brièvement dans le clip du morceau-titre.
Le film Western Stars rend compte de cette union qui a su résister au temps et à la vie des tournées. Les séquences entre les morceaux live sont ainsi émaillées d’images issues des archives familiales et personnelles de l’artiste. Que ce soit dans sa jeunesse à moto, en studio, avec Patti ou avec ses enfants.
Une façon de se montrer tel qu’il est, avec ses “Deux faces” : l’homme public et le père de famille, le rockeur et le mélodiste, la star et tout simplement l’homme, avec ses joies, mais aussi ses failles, ses tourments.
Un artiste qui a su rester profondément humain, et nous l’a montré une fois de plus, si besoin en était, dans ce film Western Stars. Assurément, des images, des paroles et des musiques qui resteront longtemps gravées en mémoire.
© Jean-François Convert – Novembre 2019
Le Boss, c’est pas usurpé comme pseudo…je me suis toujours demandé pourquoi Springsteen n’avait jamais joué au cinéma, il a une gueule, et une présence.
Superbe article, Jeff, merci.