Décédé en 1972, Boby Lapointe, de son vrai nom Robert Lapointe, est né le 16 avril 1922.
Sommaire
Un amoureux des mots
Si on aime jouer avec les mots, forcément on ne peut qu’aimer Boby Lapointe. Tout comme Brassens, Devos, Coluche, Ramon Pipin, Stéphane de Groodt, Edouard Baer, François Morel, … ou encore Renaud qui d’ailleurs lui adresse un petit clin d’œil dans Près des autos tamponneuses avec « la glace à la viande hachée qui coule le long du cornet… »
Les textes de Boby Lapointe sont un festival de calembours, de contrepèteries, d’allitérations et de paronomases. Cette dernière figure de style consiste à rapprocher deux mots aux sens différents, mais à la phonétique très proche, ce qui joue volontairement sur l’ambiguïté de la signification. Si Brassens et Renaud ont chacun leur exemple avec L’orage (« Lui parler de la pluie, lui parler du gros temps » et non du beau temps) et Où C’est Que J’ai Mis Mon Flingue ? (« À qui qu’ce soit que je m’agresse » et non m’adresse), Boby Lapointe arrivait à écrire des chansons entièrement constituées d’une suite de paronomases, comme par exemple Andréa c’est toi ou Le tube de toilette.
Cette dernière est mimée en playback lors de la dernière apparition télé du chansonnier : La Lucarne magique de Christophe Izard, le 4 octobre 1971.
L’autre morceau que je trouve fabuleux pour son utilisation de la langue française et cette façon inimitable de scinder les mots à cheval sur deux vers est Aubade à Lydie en Do. Les rimes se font ainsi sur des syllabes situées au milieu des mots. Du grand art :
Les textes de Boby Lapointe sont le plus souvent si tarabiscotés qu’on ne peut en saisir toute la subtilité dès la première écoute. Il faut prêter l’oreille attentivement pour entendre tous les détails, aussi absurdes soient-ils. À tel point que pour la séquence du film Tirez sur le pianiste, où le chansonnier interprète Framboise (Marcelle figure également dans la B.O), Truffaut juge utile d’y ajouter des sous-titres !
Une vie et une carrière en dents de scie
Vie singulière que celle de Robert Jean-François Joseph Pascal Lapointe, né et mort à Pézenas, ville de l’Hérault qu’il cite justement dans la chanson Framboise. Après s’être évadé d’Autriche en 1943 où il avait été envoyé pour le STO, il rejoint sa région natale en 1944 et devient scaphandrier au port de La Ciotat, essentiellement pour échapper aux recherches.
Sa carrière en dents de scie (musicale aurait-il peut-être ajouté) l’amène à exercer les métiers aussi divers que marchand de layette, installateur d’antennes, mathématicien… avant de commencer à connaitre le succès à partir de1954, début de sa carrière musicale.
Il connait des hauts et des bas dans les années soixante, Brassens vient même à sa rescousse pour éponger une partie des dettes de son Café Concert Le Cadran Bleu. Après Tirez sur le pianiste, on se souvient de Boby Lapointe l’acteur, notamment dans La veuve Couderc de Pierre Granier-Deferre ou deux films de Claude Sautet : il fait partie du gang de Max et les ferrailleurs et il conduit la camionnette fatale dans Les Choses de la vie.
Chanteur, humoriste et poète
Ce qu’on retient de Boby Lapointe ce sont bien sûr avant tout ses chansons colorées, festives, humoristiques, et son côté iconoclaste. Mais il savait aussi aborder des sujets tabous (L’idole et l’enfant) ou au contraire se faire romantique (ça va… ça vient…) et délicatement touchant (Insomnie). Malgré tout, on se souviendra de lui comme un trublion inclassable avec des ritournelles devenues depuis des références incontournables du patrimoine français. Outre les déjà cités précédemment, impossible d’oublier : Aragon et Castille, Ta Katie t’a quitté, Bobo Léon, La Peinture à l’huile, L’été où est-il ?, La Maman des poissons, J’ai fantaisie, L’Ami Zantrop, La Banane Anana, Sentimental Bourreau… la liste est trop longue.
Et puis il savait embarquer quiconque avec lui dans son univers potache. Ses apparitions avec d’autres artistes avait le don de les faire basculer dans une autre dimension :
Mais si je ne devais retenir qu’un seul texte de Boby Lapointe, ce ne serait même pas une chanson. Plutôt un sketch qu’on pourrait situer quelque part à mi-chemin entre Devos, Coluche et les Monty Python : La leçon de guitare sommaire est pour moi un monument d’humour absurde, complètement décalé, sans queue ni tête, et qui symbolise parfaitement ce chansonnier-poète-comédien-humoriste-musicien.
À chaque écoute, je ne peux m’empêcher de rapprocher la phrase « Cette corde-ci que nous appellerons la corde SI et cette corde-là que nous appellerons la corde MI » à celle du sketch de Raymond Devos : « Sur cette bicyclette-ci, vous avez cette sonnette-là, qui fait SI… et sur cette bicyclette-là, vous avez cette sonnette-ci, qui fait LA. »
Quel honneur d’avoir le même prénom que l’un des siens (Robert Jean-François Joseph Pascal). Comme je n’aurai jamais sa plume, je vais au moins tenter d’approcher son niveau de guitar-hero. Je m’y colle de suite : Dix lignes de Bling et dix lignes de Blang. Joyeux centenaire Boby.
© Jean-François Convert – Avril 2022