Dans l’intimité de Bruce Springsteen

Je suis allé voir le film ‘Springsteen: Deliver Me from Nowhere‘ qui nous invite à découvrir une facette intime du Boss, pendant une période particulière de sa vie et sa carrière : celle de la genèse de l’album ‘Nebraska’ au début des années 80.

Quan on prononce le nom de Bruce Springsteen, on pense rock star, concerts marathons dans des stades géants, énergie rock’n’roll, force inébranlable… Mais justement, le film Deliver Me from Nowhere réalisé par Scott Cooper et inspiré par le livre de Warren Zanes au même titre (tiré d’un vers de la chanson State Trooper) nous donne à voir un homme avec ses fêlures, ses angoisses, ses démons, et les rares scènes de concerts le montrent dans des clubs accompagnant des musiciens locaux, loin des grand-messes avec le E-Street Band.

La première séquence live est tout de même un concert Springsteenien en diable avec l’une de mes chansons préférées du Boss : Born to run. Rien que le fait de débuter ainsi m’a tout de suite fait adhérer au film. Jeremy Allen White adopte la gestuelle, l’attitude et les mimiques du Boss, et de surcroit il chante lui-même. Bien évidemment, des internautes n’ont pas pu s’empêcher de comparer l’acteur et le musicien :

Mais on comprend très vite que le propos de Deliver Me from Nowhere n’est pas de relater les tournées ni l’ascension fulgurante de Springsteen. L’histoire s’attarde plutôt sur la dépression de l’homme, juste après la tournée The River. Tout comme le livre dont il est adapté, le long-métrage explore la génèse de l’album Nebraska. Le songwriter s’isole dans une maison à la campagne et enregistre seul ce qui au départ ne devait être que des maquettes.

Mais insatisfait de la réinterprétation des chansons avec son groupe en studio, le Boss imposera de sortir l’enregistrement tel quel : une cassette (dont tout le monde cherche désespérément le boitier, running gag du film) transférer directement sur vinyle. Son manager Jon Landau (magnifiquement interprété par Jeremy Strong) finira par parvenir (non sans mal) à convaincre la maison de disques CBS de publier l’album dans sa forme originelle, sans tournée, sans single, et sans promotion médiatique !

Je connaissais déjà un peu ce contexte autour de l’album. En revanche, je n’avais pas conscience des traumas de Springsteen liés à son enfance. Le film aborde la relation difficile avec son père et les blessures qui sont remontées durant cette période d’introspection en 1981-82. Jusqu’à présent, le seul lien entre le Boss et son père qui me venait à l’esprit était celui qu’il évoque dans l’introduction très émouvante de la version live de The River. J’ai découvert avec ce film la nature bien plus complexe des rapports père-fils dans la famille Springsteen, et ses incidences sur certains textes des chansons de l’album Nebraska.

Ce n’est aussi que récemment que j’ai appris qu’une bonne partie de ces sessions avait donné lieu à des morceaux mis de côté et ressortis pour l’album suivant Born in the USA qui déclenchera véritablement le statut de superstar à Springsteen. La sortie du coffret Nebraska 82 : Expanded Edition le mois dernier a permis de découvrir ces versions, et le film revient à plusieurs reprises sur ces morceaux qui vont forger le succès de l’album le plus connu de la carrière du Boss.

Le générique de fin confirme que c’est bien Jeremy Allen White qui interprète les chansons que l’on entend dans le film. Certains passages empruntent peut-être aux vraies versions originales, mais la transition est quasiment inaudible, tant l’acteur s’est glissé dans la voix de son modèle. Et Antoine de Caunes (grand fan du Boss devant l’éternel) n’a pas résisté à interviewer les deux ensemble :

Pour les soucieux de détails comme moi, on peut lire dans les crédits de fin qu’un luthier a été réquisitionné spécialement pour fabriquer une réplique parfaite de la célèbre Esquire. En revanche, j’ai été surpris de voir apparaitre à un moment une ES-335 dans la chambre du Boss. De mémoire et ma connaissance, je n’ai jamais vu Springsteen jouer sur un tel modèle de guitare, mais on imagine que pour ce genre de projet cinématographique les conseillers techniques sont pointus et que ce type de détail a dû forcément être étudié de près.

Enfin, on constate que tout son entourage l’appelait régulièrement « Boss » alors qu’il est connu pour détester ce surnom, qui lui avait été donné à ses débuts par le groupe, quand il payait ses musiciens après chaque concert.

Le « patron » du rock apparait ici comme un simple quidam avec ses questionnements intérieurs. C’est souvent un parti-pris de nombreux « Biopics » (qui n’en sont pas vraiment) et c’est une bonne chose de désacraliser les star à mon sens. Celles-ci se montrent ainsi plus humaines, même si dans le cas de Springsteen ce n’est pas une surprise et je l’imaginais déjà bien comme ça auparavant. Ici, pas question de « distinguer l’homme de l’artiste », au contraire une même et belle personne, que ce film aborde intelligemment.

© Jean-François Convert – Novembre 2025


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