Le premier album de Lynyrd Skynyrd fête son demi-siècle

Le 13 août 1973 arrivait dans les bacs le premier opus de Lynyrd Skynyrd, avec un titre nous précisant comment prononcer le nom de ce groupe de rock sudiste.

Un nom souvent mal prononcé

Quand on voit ce nom avec tous ces « Y », nous autres les frenchies aurions envie de dire « Laïneurd Skaïneurd ». Et pourtant il faut dire « Lineurd Skineurd ». Le groupe originaire de Jacksonville en Floride (et non pas d’Alabama) s’est forgé un nom, souvent mal prononcé, grâce à un prof de sport ! Quand ils ont fondé ce qui allait devenir la tête de file du rock sudiste, Ronnie Van Zant, Gary Rossington et Bob Burns tous trois scolarisés dans le même lycée, se sont souvenu de leur professeur d’éducation physique particulièrement intransigeant sur la longueur des cheveux. Il s’appelait Leonard Skinner, et la prononciation très accentuée de son patronyme en guise de moquerie donne ainsi Lynyrd Skynyrd. Le premier album qui sort en 1973 porte tout naturellement ce nom en affichant bien la façon dont il faut le prononcer, « Pronounced ‘lĕh-‘nérd ‘skin-‘nérd », suscitant par la même occasion un jeu de mots (Nerd signifiant « binoclard » ou « fayot » en anglais).

Les bases du southern rock

Mais au delà de l’anecdote du nom du groupe, c’est bien évidemment le style musical de Lynyrd Skynyrd qui fait mouche dès ce premier opus. A l’instar des anglais qui depuis la fin des années 60 ont poussé les watts et monté le volume donnant naissance au hard-rock, les américains recyclent le blues et le rock’n’roll en apportant plus de puissance, avec un ingrédient supplémentaire : la country. Le « rock sudiste » devient l’étendard de l’Amérique, en revendiquant une fierté et une identité nationale, qui parfois pourra être mal comprise, déformée, voire exagérée. Il est vrai qu’afficher ostensiblement le drapeau confédéré sur scène ne prédestinait pas Lynyrd Skynyrd à la nuance !

Mais qu’importe, on n’écoute pas Lynyrd Skynyrd pour entendre de la dentelle, ce qu’on veut c’est du nerveux, du riff solide comme le roc, des guitares en fusion, une rythmique rouleau-compresseur… et ce premier album nous offre toute la panoplie du « southern rock », dès l’ouverture sur I ain’t the one avec son riff accrocheur.

Pas encore la « guitar army »

Lynyrd Skynyrd deviendra plus tard un fleuron des groupes de guitares avec ce qu’on appelle la « guitar army », un trio de guitaristes tous autant solistes les uns que les autres, là où la majorité des groupes de rock dépasse plus que rarement le duo. Mais cette formule qui fera sa renommée n’est pas encore en place sur ce premier album. Au départ, le groupe s’est formé avec deux guitaristes : Gary Rossington et Allen Collins, qui alternent aussi bien rythmiques que solos.

Une des photos prises en 73 pour la pochette de l’album. © Wikimedia Commons

Peu de temps avant d’entrer en studio, le bassiste Leon Wilkeson, peu sûr d’être à la hauteur, quitte le groupe. Il est remplacé par le guitariste de Strawberry Alarm Clock, Ed King, qui reprend toutes ses parties de basse qu’il avait écrites. À la fin de l’enregistrement, Ronnie Van Zant demande à Leon Wilkeson de revenir dans le groupe, ce qui permet à Ed King d’en devenir le troisième guitariste. Wilkeson apparait ainsi sur la pochette, et King joue tout de même un solo de guitare sur Mississippi Kid.

Du rock sudiste mais avec des tubes

La force de Lynyrd Skynyrd est d’avoir su mixer gros son et riffs en acier trempé avec mélodies qui restent dans la tête et arrangements mainstream capables de captiver le grand public. On navigue donc entre schémas typiquement heavy-rock et ballades beaucoup plus propices à passer en boucle à la radio. Pour le premier style, on a par exemple Gimme three steps, l’archétype du bon vieux boogie-blues-rock destiné au public redneck.

Du binaire, trois accords principaux (mais avec une petite variante quand même), un piano honkytonk, des guitares rageuses, les sources du rock’n’roll, et donc forcément une ambiance qui retranscrit bien l’Amérique profonde.

Pour le second, on pense évidemment à Tuesday’s gone qui pourrait aujourd’hui presque passer pour le slow de l’été, notamment avec ses violons, en fait un mellotron assuré par Al Kooper, qui a également joué de la basse, de la mandoline et de l’orgue, et surtout produit le disque, sous le pseudonyme Roosvelt Gook. Les versions live étaient forcément dans un arrangement plus brut.

Entre les deux, il y a la ballade rock Simple Man, qui est devenue l’un des plus gros tubes de Lynyrd Skynyrd, toujours plébiscité en concert. Un propos paternaliste transposé côté maternel (« ma mère m’a dit de rester un homme simple ») et des arpèges instantanément reconnaissables qui seront singés plus tard par Scorpions dans Always Somewhere.

La chanson est entrée dans la culture américaine comme un pilier inébranlable, et est apparue dans des publicités, mais aussi dans le jeu vidéo Rock Band, ce qui a poussé le groupe à la mettre en téléchargement le 15 avril 2008. On la trouve également au générique de la série de documentaires Mountain’s Men de la chaîne History Channel, ou encore dans le film Almost Famous.

Tuesday’s gone, Simple Man, deux énormes tubes qui vont rapidement propulser Lynyrd Synyrd au sommet des charts et leur donner une popularité jamais démentie. Un début de discographie en fanfare. Mais ce premier album est aussi et surtout l’écrin d’un titre légendaire.

Un morceau de légende

En plus de poser les bases d’un genre qui fera les choux gras de l’industrie discographique, ce premier opus s’offre en prime une apothéose en guise de clôture : Free bird reste l’une des chansons les plus connues du groupe avec Sweet Home Alabama. Plus de 9 minutes sur la version studio, avoisinant le quart d’heure en live, c’est le morceau de bravoure du disque et de toute la carrière de Lynyrd Skynyrd. Parmi les longs titres diffusés intégralement sur les radios américaines, deux se sont longtemps tiré la bourre : Free bird et Stairway to heaven. Deux épopées musicales, deux crescendos jouissifs, deux morceaux légendaires.

Ça commence comme une ballade romantique avec le piano mélodique de Powell et la slide aérienne de Rossington. Puis Van Zant nous chante le premier vers (qu’on pourrait presque taxer de prémonitoire) qui aurait été inspiré par Kathy Jones, la femme de Allen Collins : « If I leave here tomorrow, would you still remember me ? » (« Si je m’en allais demain, est-ce que tu te souviendrais encore de moi ? »). À chaque fois que cette chanson était jouée en concert, Ronnie Van Zant la dédicaçait à Duane Allman et Berry Oakley, membres décédés du Allman Brothers Band pour qui il avait une grande fascination. Duane Allman était un grand ami de Ronnie Van Zant, qui ajoute à chaque concert : « C’est un oiseau libre désormais… ».

La tranquille ballade va se transformer en joute échevelée de guitares semblant faire la course. Sur la version studio, seul Allen Collins est aux commandes, sa partie de guitare étant doublée par lui-même. Mais sur les versions live, le solo final de Free Bird donne l’occasion de confronter deux guitaristes. Entre 1973 et la première moitié de l’année 1975, c’est Ed King qui rejoint Collins avec la plupart du temps une SG, comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessus, ou sur celle ci-dessous (à 54:40).

Lorsqu’Ed King quitte le groupe en 1975 pendant le ‘Torture Tour’, Lynyrd Skynyrd se retrouve un temps de nouveau avec seulement deux guitaristes (vidéo du Old Grey Whistle Test plus haut et album Gimme Back My Bullets). Mais l’année suivante est embauché Steve Gaines, frère cadet de Cassie Gaines, une des choristes du groupe.

Dès lors, le solo de Free Bird reprend ses atours de duel épique. La version figurant sur le live One more from the road de 1976 est souvent considérée comme une des meilleures. La combinaison de la Firebird de Collins et de la Les Paul de Gaines donne lieu à des phrases véloces, précises et jouissives.

Sur les vidéos de l’époque, on ne peut que constater la complicité entre les deux guitaristes sur ce solo de guitare, considéré par certains comme l’un des plus grands de l’histoire du rock. On peut certes le trouver un peu répétitif et un poil démonstratif, mais il est difficile de ne pas ressentir des fourmis dans les jambes et l’envie irrésistible de secouer sauvagement la tête à l’écoute de ces cascades de notes et cette montée orgasmique qui semble ne jamais vouloir s’arrêter.

L’année 1977 sera malheureusement fatidique pour le groupe avec l’accident d’avion coûtant la vie à Ronnie Van Zant, Steve Gaines et Cassie Gaines, les autres membres se retrouvant grièvement blessés mais malgré tout survivants. Dix ans plus tard, une tournée hommage est organisée par Gary Rossington, Leon Wilkeson, Billy Powell et Artimus Pyle (batteur depuis fin 74) qui sont rejoints par Ed King, Randall Hall en remplacement d’Allen Collins paralysé suite à un grave accident de la route en 1986, et enfin par Johnny Van Zant, le frère de Ronnie.

Collins se contente d’avoir un rôle de consultant mais profite néanmoins de l’occasion pour prendre quelques minutes afin de mettre les fans du groupe en garde contre la dangerosité de la conduite sous l’influence de l’alcool et de la drogue. Et Ed King reprend ainsi le solo de Free Bird en duo avec Randall Hall :

En 2003, Free Bird est classée par Rolling Stone magazine au 191e rang parmi les 500 meilleures chansons de tous les temps. Une chanson qui refermait le premier album d’un groupe devenu rapidement fer de lance du rock sudiste. Un album sorti il y a tout juste 50 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Août 2023

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