Le 28 juin 1968 arrivait dans les bacs ce deuxième album de Pink Floyd, celui faisant la jonction entre Syd Barrett et David Gilmour.
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Pink Floyd à cinq
Après des débuts en quatuor avec Syd Barrett comme leader-auteur-compositeur et un premier album fleuron du rock psychédélique anglais, le groupe Pink Floyd se retrouve assez rapidement en proie au doute quant à son avenir. Le chanteur-guitariste lunaire affiche un comportement souvent difficile à gérer. L’absorption régulière de LSD et une pathologie psychologique qui sera plus tard diagnostiquée comme de la schizophrénie pousse Barrett à des crises souvent incontrôlables par les autres membres du groupe. A l’instar d’un Brian Jones ou un Brian Wilson, il deviendra un autre génie maudit du rock, incapable de gérer le succès grandissant et glissera vers la folie.
N’arrivant plus à le canaliser et ne pouvant ainsi plus assurer les concerts, Waters, Wright et Mason décident d’appeler à la rescousse un ami d’enfance de Syd : David Gilmour. Le guitariste qui au départ souhaitait avant tout « jouer du blues » rejoint le quatuor qui devient ainsi quintet le 7 janvier 1968 (source : page Facebook officielle du groupe).
Cette formule à 5 ne va pas durer. Assez rapidement, Barrett est écarté du groupe. Et dès le mois de février 1968, Pink Floyd se produit sans lui. Waters dira plus tard assez cyniquement : « je crois qu’un jour on est parti pour un concert et qu’on s’est aperçu en route qu’on avait oublié Syd, et finalement on s’est dit que c’était pas plus mal ».
Alors qu’au départ Gilmour n’avait été appelé qu’en renfort, il prend en définitive la place de Syd Barrett. Au début il adopte d’ailleurs la même guitare que son prédécesseur : une Telecaster. Il assure également les parties vocales qui étaient dévolues à l’ancien leader.
Un album entre deux rives
Le « nouveau » groupe entre en studio dès janvier-février 68 pour poursuivre l’album qui avait été commencé fin 67 avec Barrett. C’est ainsi qu’on va retrouver sur ce disque les deux guitaristes de Pink Floyd mais qui ne jouent « ensemble » que sur un seul morceau : l’hypnotique Set the Controls for the Heart of the Sun composé et chanté par Waters. « Ensemble » est un bien grand mot, dans la mesure où il s’agit de différentes parties de guitares enregistrées à différents moments, et qu’on a parfois du mal à discerner. Malgré tout, c’est l’unique morceau de toute la discographie du groupe à réunir les 5 musiciens.
On est ainsi pas encore complètement entré dans l’ère Gilmour, mais on n’est pas non plus tout à fait sorti de l’ère Barrett. Bien qu’il ait été évincé de Pink Floyd, la trace de son premier leader est encore présente dans cet album A saucerful of secrets : il joue les guitares (rythmique et slide) sur Remember a day, morceau écrit et chanté par Wright. Et surtout, il signe le dernier titre Jugband blues, enregistré fin 67. On y reconnait bien son style très pop psychédélique :
Les débuts de Gilmour au sein de Pink Floyd
De son côté, Gilmour figure sur tous les autres morceaux. Mais il n’a pas encore pris toute sa place, ça viendra plus tard. Pour l’heure, il assure tout de même le chant principal sur plusieurs titres. Et cette même année, le groupe enregistrera le single Julia Dream qui est véritablement la toute première chanson de Pink Floyd avec Gilmour seul au chant.
Mais en plus de chanter avec une voix angélique, il commence à se forger un style de guitare très influencé par Hendrix, notamment par l’utilisation d’une Stratocaster et d’une Fuzz, en y rajoutant l’élément qui deviendra caractéristique de son style : l’écho (à bandes bien sûr à l’époque). On l’entend particulièrement sur l’ouverture de l’album Let There Be More Light, où le guitariste assure également le chant en alternance avec Richard Wright (la chanson étant composée et écrite par Waters).
En plus de Remember a day, Richard Wright est aussi l’auteur du planant See-Saw, tandis que Waters signe le sarcastique Corporal Clegg, seul titre de toute la discographie de Pink Floyd où figure un kazoo (!) mais surtout où les quatre membres du groupe chantent ensemble : Gilmour assure les couplets et les ponts, Mason chante sur les couplets, Wright sur les refrains, et Waters aux chœurs.
Un morceau-titre précurseur
Avec Interstellar overdrive sur le premier album A piper at the gates of dawn, Pink Floyd avait déjà montré son attrait pour la musique expérimentale inspirée par la science-fiction et bien en vogue dans le swinging London. Mais cela restait du domaine de l’improvisation psychédélique, sans réelle construction bien déterminée. Sur A saucerful of secrets, le groupe affiche une ligne directrice plus marquée, avec une progression très établie et un crescendo dramatique qui instaure un climat extrêmement théâtral.
En 1968, il est encore un peu tôt pour parler de « rock progressif », mais on sent bien la volonté d’élaborer des pièces musicales plus complexes que de simples chansons. On commence à penser « mouvements » plutôt que couplets/refrains. Ce morceau-titre est d’ailleurs divisé en 4 parties, mais on ne l’apprendra que sur le live ummagumma en 1969, car sur la pochette de l’album A saucerful of secrets, il n’apparait qu’avec son simple titre. Ce n’est qu’un an plus tard qu’il est affiché avec ses 4 sections :
- I. « Something Else » (3:57)
- II. « Syncopated Pandemonium » (3:07)
- III. « Storm Signal » (1:34)
- IV. « Celestial Voices » (3:19)
Sur la version studio, les « voix célestes » du final chantées par Gilmour et Wright sont sans doute renforcées par du Mellotron (avec la sonorité « chœurs »). En live, c’était souvent Gilmour seul qui assurait cette partie.
Une pochette avec… Dr Strange !
Pour accompagner ces prémices de futur rock progressif, il fallait une imagerie à la hauteur. Pour la première fois, Pink Floyd fait appel au collectif artistique Hipgnosis pour réaliser la pochette. C’est le début d’une longue collaboration qui donnera le jour à plusieurs futures pochettes iconiques. Après les Beatles, c’était la deuxième fois qu’EMI autorisait l’un de ses groupes à faire appel à des graphistes extérieurs pour la pochette d’un album (source : Wikipedia).
Ce patchwork signé Storm Thorgerson fourmille de détails. Un des plus connus est le personnage Doctor Strange, tiré du numéro 158 de la bande dessinée Strange Tales, illustrée par Marie Severin. A noter que le morceau Cymbaline (sur la bande originale du film More en 1969) fait encore plus référence au héros Marvel, puisqu’il cite directement Stephen Strange.
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Le fantastique, les légendes, l’univers des comics et de la science-fiction… Pink Floyd était parfaitement en phase avec son époque musicale en publiant cette « soucoupe de secrets ». Un deuxième album pas forcément représentatif de leur style en devenir, mais un pilier incontournable de leur première période, avant d’aborder la suite qui allait être grandiose. Un album sorti il y a tout juste 55 ans aujourd’hui.
© Jean-François Convert – Juin 2023