Sorti en 1955, ce disque est resté une référence en matière de patrimoine de la chanson française. Retour sur un vinyle que j’ai usé à force de l’écouter en boucle durant mon adolescence.
Sommaire
Un artiste vedette
En 1955, Yves Montand est depuis plusieurs années une star de la chanson française. Son récital au théâtre de l’Etoile en 1953 a fait un triomphe pendant 8 mois à guichets fermés, de même que le disque enregistré en public, et sorti en 1954. Le chanteur réitéra ce succès dans la même salle en 1958, avec à nouveau un 33 tours (double cette fois), lui aussi très prisé du public.
Parallèlement, il est aussi un acteur reconnu, notamment depuis son rôle dans Le salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot, là aussi en 1953, une année décidément phare pour l’artiste. Mais de son propre aveu, Montand n’acceptera ce second statut réellement qu’en 1965, soit plus de 10 ans plus tard, avec Compartiments Tueurs de Costa-Gavras, film qu’il juge comme son véritable premier rôle pleinement assumé.
Enfin, sur le plan amoureux, il est bien loin le temps où Edith Piaf l’avait pris sous son aile à son arrivée à Paris en 1944. Maintenant c’est avec Simone Signoret, rencontrée en 1949 et épousée en 1951, qu’il forme l’un des couples français les plus en vogue du monde du spectacle. L’aventure avec Marilyn n’est pas encore arrivée (ce sera en 1960 sur le tournage du Milliardaire de George Cukor), les désillusions de la tournée en URSS non plus (en 1957), et on peut vraiment dire que tout sourit à Montand en cette année 1955 : outre les succès discographiques et cinématographiques, le couple Montand-Signoret triomphe au théâtre avec la pièce Les Sorcières de Salem, écrite par Arthur Miller (mari de Marilyn), traduite et adaptée en français par Marcel Aymé, et mise en scène par Raymond Rouleau.
Un disque atypique
C’est dans cet état de grâce artistique et médiatique que Montand sort un disque entièrement composé de chansons traditionnelles françaises. Plutôt que de se reposer sur ses lauriers et se contenter de la formule frenchy-jazzy-music-hall qui fait son succès depuis une bonne dizaine d’années, le chanteur opte pour une plongée au cœur du patrimoine français avec des classiques plus ou moins connus.
L’album s’ouvre sur la période du Moyen-Age, au temps des ménestrels, avec Le roi Renaud de guerre revient. Le ton est donné d’emblée, avec des orchestrations classiques dignes des films en costumes, et chorales de musique sacrée.
S’enchaînent ensuite plusieurs chansons traditionnelles, de la fin de la Renaissance jusqu’au lendemain de la Révolution. Elles évoquent des amours contrariées (Le Roi a fait battre tambour, vraisemblablement inspirée par la mort de Gabrielle d’Estrées, favorite d’Henri IV) ou au contraire idylliques (Aux marches du palais), mais le plus souvent traitent de destins tragiques : La très célèbre Complainte de Mandrin, Le soldat mécontent ou la poignante Chanson du capitaine (Je me suis t’engagé)
L’exception du disque vient avec J’avions reçu commandement, qui tranche en utilisant la fibre humoristique et légère, pour distiller un antimilitarisme affirmé. Rien d’étonnant quand on connait les convictions de Montand. Et la gravure de la prise de la Bastille qui orne la pochette confirme l’engagement révolutionnaire affiché par le disque, et le chanteur.
Des chansons qui expriment la révolte
La deuxième face est essentiellement composée de chansons poético-réalistes des 19ème et 20ème siècles : titres-phares de la Commune (Le temps de Cerises), de la révolte sociale (Les Canuts de Bruant), de la grande guerre (La butte rouge), contre la montée du nazisme dans les années 30 (Giroflé, Girofla), et en conclusion, Le Chant des partisans dont on peut imaginer quelle était encore la portée symbolique seulement 10 ans après la fin de seconde guerre mondiale, surtout avec l’inclusion de chants allemands et pétainistes, pour dresser le décor.
Les arrangements musicaux collent aux époques, mais ne passent jamais devant les textes. Le douceur bucolique du Temps des cerises ne saurait faire oublier la violence de la Commune, de même que l’apparente gaieté façon musette de La butte rouge n’occulte pas la dramatique boucherie de la guerre de 14-18, et le rythme dansant de Giroflé, Girofla rappelle un peu la veine de Bella Ciao, autre chant anti-fasciste de la même période (que Montand a d’ailleurs aussi enregistré)
On retiendra au final un disque empreint de solennité, mais aussi de romance à l’ancienne, de messages pour la paix et la fraternité, et de lutte contre les oppresseurs de tous poils.
Une résonance personnelle
Pour ma part, alors que dans les années 80 les radios diffusaient en boucle de la New Wave, du post-disco, du hard-rock-FM ou de la variété francophone, je passais plutôt mes heures perdues à écouter les Brassens, Brel, Piaf et Montand, dont ce fameux album qui est longtemps resté un de mes disques de chevet, et que je réécoute encore aujourd’hui, toujours avec grand plaisir.
Pour l’anecdote, le réveillon avec les oncles, tantes, cousins et cousines du 31 décembre 1985 était une soirée à thème où il fallait arborer un signe évoquant « la chanson française ». Alors que certains avaient choisi une trace de rouge à lèvres sur la joue pour Premiers baisers ou une écharpe en coton pour C’est la ouate, mon père avait eu l’idée de nous faire porter un foulard rouge autour du coup… et personne dans l’assistance n’avait trouvé à quelle chanson cela faisait référence… Nous représentions les communards, et j’ai accompagné au piano mon père chantant Le Temps des cerises.
Un disque sorti il y a 65 ans, un réveillon d’il y a 35 ans…. le temps passe, mais les souvenirs restent.
© Jean-François Convert – Janvier 2020
j’aurais bien écouté le temps des cerises par la Convert Family, il n’y aurait pas un enregistrement? Merci Jeff pour cette plongée dans l’histoire
Ah non, malheureusement pas d’enregistrement. Nous n’avions pas encore de caméscope Hi8 à l’époque… 🙂 En revanche, Je crois que j’en ai un de bien plus tard, en 1999, où je l’accompagne à la guitare. Mais ça n’a pas le niveau pour figurer ici 😉