Ce 1er novembre sort une édition luxueuse de “La parade molle” du groupe de Morrison. Jugé comme le plus mauvais de la discographie des Doors, il comporte quand même quelques éclairs de lucidité. Retour sur un album mal aimé
Sommaire
Un groupe dans le creux de la vague
Fin 1968, le quatuor de Venice beach n’est pas au mieux de sa forme : l’album précédent Waiting fo the sun est descendu un léger cran en dessous des 2 premiers opus, en partie parce qu’il ne correspond pas à ce que voulait Morrison : un long poème The celebration of the lizard king, entrecoupé de pièces musicales. Passablement tronqué, il n’en reste que quelques bribes dans Not to touch the earth. De plus, le morceau qui ouvrait l’album Hello I love you est suspecté de plagiat envers All day and all the night des Kinks.
Enfin, le 1er mars 1969 est marqué par le fameux incident dit de Miami, où le chanteur des Doors aurait soi-disant exhibé ses parties génitales en concert. Procès d’intention a posteriori infondé, quand on sait qu’il y a 2 ans la justice de Floride a décidé de réhabiliter Jim Morrison, considérant 45 ans plus tard que les preuves des accusations dont il faisait l’objet étaient insuffisantes. Mais à l’époque, l’affaire mine l’artiste, et le groupe en pâtit.
Un album laborieux
C’est dans cette ambiance morose que sort le 4ème album du groupe, le 18 juillet 1969. Il a été enregistré en presque 12 mois (entre juillet 68 et juin 69). Une gestation laborieuse avec un Morrison qui se désintéresse de plus en plus de la musique, et qui assiste aux séances studio en pointillé. Lors d’un énième retard du chanteur, le batteur John Densmore claque la porte. Il revient néanmoins le lendemain.
Cette désertion provisoire de Morrison pousse le guitariste Robbie Krieger à prendre les rennes du groupe et à composer une grosse partie des chansons : sur les 9 titres, 4 sont de Krieger, 4 sont de Morrison, et 1 est co-signé par les deux. Krieger avait déjà largement contribué aux compositions sur les précédents albums, offrant même son premier tube au groupe avec Light my fire, mais jusqu’à présent les morceaux étaient tous signés “The Doors”. Sur cet opus, il chante même sur Running blue, et apparait donc aux crédits des morceaux à égalité avec le leader historique du groupe.
Paradoxalement, c’est Morrison qui exige que les auteurs des chansons soient identifiés sur la pochette. La raison est simple : il est excédé par le vers « Tell all the people « Get your gun » » (dans la chanson Tell All the People de Krieger). Il s’indigne : « On ne peut pas conseiller aux gens de prendre leur flingue ! »
Il en résulte un disque foncièrement différent des précédentes réalisations des Doors. Paul Rothchild adjoint au groupe une section de cuivres afin de donner un son différent. Le moins que l’on puisse dire est qu’effectivement, cet album sonne très différemment des autres. Certains le qualifient de pompeux, sirupeux, empâté voire carrément raté. Certes, on comprend qu’il a pu décevoir, mais heureusement, on y trouve quand même quelques morceaux bien sentis :
Les bonnes chansons de l’album
Touch me
Composé et écrit par Krieger, les paroles originelles disaient « come on hit me girl » (« frappe moi »). Mais Morrison craignait qu’il soit pris au pied de la lettre en concert…et ne voulant prendre le risque de subir les assauts de ses groupies, il demande à Krieger de changer les paroles, qui deviennent « Touch me ».
La section cuivres est ici plutôt bien utilisée. La rythmique funky accentue la tension sous-jacente du morceau, Morrison chante merveilleusement bien, et le solo de saxo transpire une sensualité moite, en phase avec le texte.
Cette vidéo montre des images assez surréalistes de musiciens classiques en costume-cravate, jouant des cordes et des cuivres, accompagnant le chanteur jugé le plus sulfureux de sa génération !
Shaman’s blues
Deux termes qui résument les influences majeures du groupe : le blues pour la musique, et le shamanisme pour l’inspiration mystique de Jim. Un riff hypnotique en spirale, et un chant incantatoire qui invite à la transe.
Wild Child
Le morceau est signé Morrison seul, mais on imagine aisément que le riff à la guitare est l’œuvre de Krieger. Cet “enfant sauvage” est le digne successeur de Back door man, Love me two times et Five to one. A l’instar de Shaman’s blues, on ressent ici aussi des racines amérindiennes, chères aux chanteur.
The soft parade
Le morceau-titre (inspiré d’un texte de William Burroughs, The Soft Machine) s’inscrit dans la lignée des chansons épiques traditionnellement en clôture des albums des Doors. Five to one était plus court que les autres, mais The end et When the music’s over (et plus tard Riders on the storm, Maggie M’Gill faisant figure d’exception) restent à jamais les points d’orgues du quatuor : des morceaux qui terminent en apothéose un album, après une montée crescendo, jusqu’à l’explosion finale.
On sent que le groupe a voulu réitérer la recette avec cette “parade molle”. Mais ici, plusieurs différences:
- d’abord, le morceau ne tourne pas sur une même grille d’accords lancinante comme les autres, mais se divise en 5 parties, 5 tableaux dirait-on quelques années plus tard, au plus haut du mouvement rock progressif.
- changements de rythme, de tonalité, de mélodie… cela semble surprenant que le morceau ait été entièrement composé par Morrison, comme indiqué dans les crédits. Aurait-il chanté les lignes mélodiques aux autres membres du groupe, pour qu’ils puissent arranger leurs parties ?
- pas de long passage instrumental, pas de solo. Mais cette déclamation en introduction qui rappelle celle des 2 morceaux des 2 premiers albums, (qui étaient situées au milieu)
- enfin, le morceau ne se termine pas de façon nette, mais par un fondu, ce qui là aussi, le différencie des pièces épiques du groupe
Malgré tout, on retrouve le Morrison qu’on aime, à la fois irrévérencieux et poète, qui nous bouscule dans notre confort. Un final qui renoue avec l’esprit des Doors et heureusement contre-balance les mielleux Tell the people et Wishful sinful, le gentiment pop Do it, ou les countryesques Easy ride et Runnin’ blue. Alors oui bien sûr, ce n’est pas le meilleur album du groupe, on peut même dire le moins bon, mais un moins bon d’un groupe de la catégorie des Doors, ça reste quand même plus qu’écoutable. Tout est relatif
L’édition 50ème anniversaire
Pour fêter le demi-siècle de l’album, un coffret limité à 15 000 exemplaires est disponible en pré-commande depuis plusieurs mois. La sortie officielle est aujourd’hui, 1er novembre.
Cette édition deluxe dévoile plusieurs inédits de la période 1968-1969 : les morceaux remixés avec uniquement les membres du groupe, sans les cuivres et cordes, des interventions vocales et criantes de Ray Manzarek, la face B Who Scared You, et enfin des morceaux entièrement inédits, dont Rock is dead dans sa version complète : plus d’une heure !
Cliquez sur les titres des morceaux pour accéder aux liens officiels :
Track List
Disc 1
1. “Tell All The People”
2. “Touch Me”
3. “Shaman’s Blues”
4. “Do It”
5. “Easy Ride”
6. “Wild Child”
7. “Runnin’ Blue”
8. “Wishful Sinful”
9. “The Soft Parade”
10. “Who Scared You” — B-side
Disc 2
1. “Tell All The People” (Doors only mix)
2. “Touch Me” (Doors only mix w/new Robby Krieger guitar overdub)
3. “Runnin’ Blue” (Doors only mix w/new Robby Krieger guitar overdub)
4. “Wishful Sinful” (Doors only mix w/new Robby Krieger guitar overdub)
5. “Who Scared You” (Doors only mix)
6. “Roadhouse Blues” – Screamin’ Ray Daniels (a.k.a. Ray Manzarek) on vocal
7. “(You Need Meat) Don’t Go No Further” – Screamin’ Ray Daniels (a.k.a. Ray Manzarek) on vocal
8. “I’m Your Doctor” – Screamin’ Ray Daniels (a.k.a. Ray Manzarek) on vocal
9. “Touch Me” (Doors only mix)
10. “Runnin’ Blue” (Doors only mix)
11. “Wishful Sinful” (Doors only mix)
Disc 3
1. “I Am Troubled”
2. “Seminary School” (aka “Petition The Lord With Prayer”)
3. “Rock Is Dead” – Complete Version
4. “Chaos”
A noter qu’en 2007, une édition « 40ème anniversaire » était sortie avec déjà plusieurs inédits :