Le dernier album des Doors avec Morrison, ‘L.A. Woman’, a 50 ans

Le 19 avril 1971 sortait dans les bacs l’ultime album du vivant de Jim Morrison. Même si les Doors ont continué ensuite sans leur chanteur, ‘L.A. Woman’ constitue bien leur chant du cygne.

Un album de pur classic-rock

Le dernier album des Doors (oui j’ai du mal à considérer les post-Morrison dans leur discographie) est paradoxalement le premier du groupe que j’ai écouté. Celui par lequel je les ai découvert. J’ai ainsi abordé les Doors sous l’angle blues-rock, avant d’entendre leurs explorations mystiques et psyché, teintées de pop californienne et singulière des albums précédents.

Pour être tout à fait exact, j’avais déjà entendu Light my fire, mais en version single, c’est-à-dire sans la longue improvisation limite free-jazz du milieu. Donc à part ce tube, je ne connaissais rien des Doors quand je suis tombé sur ce disque, quelque part vers 1989. Et d’emblée le coup de foudre. Rien à jeter. Un pur bonheur du début à la fin. Une ambiance résolument blues et rock. Et un morceau-titre qui déchire, avec la guitare de Robby Krieger et le piano de Ray Manzarek qui se disputent à qui aura le meilleur solo. Verdict : les deux au sommet, ex-aequo !

Un groupe étoffé…

L’enregistrement se fait dans des conditions quasi-live avec l’adjonction d’un bassiste (chose courante sur tous les albums des Doors) et aussi d’un second guitariste (une première). Cela n’empêche pas Robby Krieger de rajouter quand même des overdubs sur Been down so Long où il double son solo, l’un en slide et l’autre non. De même sur The changeling où il harmonise plusieurs leads sur une mélodie hispanisante. Sur L’America, il ne fait aucun doute qu’il joue aussi bien le riff inquiétant que le solo enjoué, et il y a fort à parier pour que les deux parties de guitare sur Love her madly ainsi que Hyacinth House soient de son fait. Sans parler des titres avec une seule guitare comme The WASP et Riders on the storm. Par conséquent, la contribution de Marc Benno à la guitare rythmique est plus qu’épisodique : Been down so long, Crawling king snake, Cars Hiss by My Window et le morceau-titre, à peine la moitié de l’album. Mais cette participation sur un album devenu mythique a forcément pesé lourd dans son CV.

…et en grande forme

Toutes les interventions de Krieger sont en revanche mémorables : de la wah-wah et les solos harmonisées à couleur de corrida sur le titre d’ouverture jusqu’aux phrases discrètes teintées de tremolo sur le morceau final, en passant par les solos bluesy de plusieurs morceaux, le guitariste des Doors illumine l’album par ses solos inspirés.

Mais ironie du sort, il se fait voler la vedette par Morrison sur le final de Cars Hiss by My Window. Passablement éméché, le chanteur se lance dans l’imitation improvisée d’une guitare mi wah-wah mi slide. Quelques décennies avant un certain Michael Gregorio, Jim Morrison imite le son de la six-cordes de façon magistrale. Pendant les premières notes, l’illusion est parfaite. Il faut attendre la toute fin pour réaliser qu’il s’agit de la voix du chanteur. Le « solo » démarre à 3:30

Sur tout le disque, Morrison chante merveilleusement bien. Un chant habité qu’il retrouve comme au premier jour. Fini le détachement désabusé de The soft parade. Déjà Morrison Hotel l’avait remis sur les rails du blues, mais avec L.A Woman, le grand Jim montre qu’il est de retour pour de bon, même si malheureusement ce sera de courte durée… Il ne sait pas que ce disque sera son épitaphe, mais il se donne à fond. Et pour sa dernière représentation, le Roi Lézard se mue en Roi Serpent, sur la reprise de John Lee Hooker Crawling king snake. Une reprise d’un standard du blues qui rappelle les premières heures des Doors avec le Back door man de Willie Dixon sur le premier album.

Densmore et Manzarek ne sont pas en reste. Le premier continue de délivrer des parties de batterie subtiles et métronomiques, toujours à la frontière du jazz, comme par exemple les breaks sur Love her madly, tandis que le second démontre tout son talent au piano et à l’orgue, et même à la guitare rythmique comme on peut le voir sur cette photo prise pendant les sessions :

Les deux morceaux sans claviers étant Been down so Long et Cars Hiss by My Window c’est donc sur l’un des deux que Manzarek joue de la guitare. La photo montrant Krieger au bottleneck, il s’agirait a priori de Been down so Long. A l’écoute, difficile de l’identifier car le morceau comporte deux guitares solo à mon avis jouées par Krieger et un riff rythmique que je suppose par Benno. A moins que ce dernier soit joué par Manzarek, auquel cas les deux guitares solo seraient Benno (canal gauche) et Krieger (canal droit, slide) ? Ou alors il y a deux rythmiques, mais j’avoue avoir du mal à les distinguer.

Mais si Manzarek brille sur cet album, c’est avant tout pour sa maitrise incontestable du clavier. Qu’il sonne piano bastringue sur Love her madly ou L.A Woman, orgue Hammond sur The changeling, ou pianos électriques de différents modèles, il emmène la musique des Doors vers des contrées musicales bien au-delà du rock : Le jazz, la soul, le Rhythm and blues, et même le classique lorsqu’il cite Chopin et sa Polonaise opus 53, dite « héroïque » dans Hyacinth House (à 2:09) :

Un final d’anthologie

Et le claviériste des Doors termine le dernier album du groupe par un chef d’œuvre de plus de 7 minutes, avec un solo au piano Fender Rhodes resté dans les mémoires. Des cascades de notes comme des gouttes de pluie tombant sur le pare-brise, une ambiance à la fois moite et nocturne, chaude et glacée en même temps. Si en 1971 on ne parle pas encore vraiment de jazz-rock, Ray Manzarek brise les frontières entre ces deux genres musicaux, et les fait se rejoindre sur un passage instrumental d’anthologie.

Riders on the storm vu par © Denys Legros

Quant aux paroles de Morrison, elles peuvent paraitre obscures, mais auraient une explication dans le passé de Jim, lorsqu’il était à l’université en Floride, en 1962, et qu’il faisait du stop pour voir une fille. Stephen Davies en parle dans sa biographie du chanteur, parue en 2005 :

« Ces journées solitaires sur la route chaude et poussiéreuse de Floride, pouce levé et son imagination en effervescence pleine de luxure, de poésie, de Nietzsche  et Dieu sait quoi d’autre – prendre des risques avec des ploucs de camionneurs, des homos fugitifs, et des prédateurs en vadrouille – ont laissé une cicatrice indélébile dans l’esprit de Jimmy, dont les carnets ont commencé à comporter des gribouillages obsessionnels et des dessins d’un auto-stoppeur solitaire, un voyageur existentiel, sans visage et dangereux, un étranger à la dérive avec des fantasmes violents, un clochard de mystère : le tueur sur la route. »

‘Jim Morrison: Life, Death, Legend’ de Stephen Davis

Un texte teinté d’ésotérisme comme les affectionnait Morrison. Rien ne retranscrit mieux son univers que ce morceau où le fantasmagorique s’immisce dans le réel, sans prévenir. Le mélange de blues brut et de poésie mystique, à l’instar de cette gravure sur la pochette intérieure représentant une femme crucifiée, synthétise l’œuvre des Doors dans le dernier album du groupe (si on excepte ceux après la mort de Morrison). Un album sorti il y a tout juste un demi-siècle aujourd’hui, et dont l’édition 40ème anniversaire en 2012 avait proposé une version alternative :

« The Changeling » (Version Alternative)
« Love Her Madly » (Version Alternative)
« Been Down So Long » (Version Alternative)
« Cars Hiss By My Windows » (Version Alternative)
« L.A. Woman » (Version Alternative)
« The WASP (Texas Radio & The Big Beat) » (Version Alternative)
« (You Need Meat) Don’t Go No Further »
« She Smells So Nice »
« Rock Me »
« Riders On The Storm » (Version Alternative)

© Jean-François Convert – Avril 2021

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