Demain 9 juillet sort en salles le film d’animation ‘Rock Bottom’ de María Trénor, basé sur la génèse du célèbre album de Robert Wyatt en 1974.




L’album Rock Bottom de Robert Wyatt sorti en 1974 est un disque de référence dans le rock progressif et le pop-rock tout court. Il a été composé en partie à la suite de l’accident qui a laissé le musicien paralysé des membres inférieurs (une chute de plusieurs étages survenue lors d’une soirée). Auparavant batteur au sein du groupe Matching Mole, Wyatt se met au piano et au chant et signe six titres aux mélodies étranges et paroles tout aussi surréalistes, parfois des « méta-paroles » qui parlent elles-mêmes de la chanson qu’on est en train d’écouter.
Ce disque culte a servi d’inspiration à la réalisatrice espagnole María Trénor pour son long-métrage d’animation Rock Bottom qui sort en salles demain, mercredi 9 juillet. Le scénario suit l’ordre chronologique des morceaux de l’album, mais fonctionne également en flash-backs. L’histoire suit deux personnages, Bob et Alfie, qui sont en réalité Robert Wyatt et Alfreda Benge (parolière et illustratrice britannique d’origine autrichienne, et femme de Wyatt)… mais comme il est précisé sur le carton de fin, « bien que ce film est partiellement inspiré de faits réels, la plupart de son contenu a été fictionnalisée ».
Dès la séquence d’ouverture, on est plongé dans le New York de 1973. Deux filles vont chez un disquaire où on aperçoit les pochettes de Foxtrot de Genesis ou Superfly de Curtis Mayfield, entre autres. Elles écoutent une version funky-soul-pre-disco (à grand renfort de wah-wah) de You’re so vain de Carly Simon (chanson qu’on reprend dans notre set avec Alaia). Plusieurs clins d’œil émaillent les scènes suivantes, le plus mémorable étant lors de la party où Bob demande des nouvelles de Syd (Barrett bien sûr), et rétorque « j’aimerais tant qu’il soit là », soit en V.O « How I wish he were here », en référence bien sûr à la chanson et l’album du même nom. On croise également Nick Mason (producteur de l’album Rock Bottom) qui « ne sait plus quoi faire de tout cet argent gagné lors de la tournée », celle faisant bien évidemment suite au succès phénoménal de The dark side of the moon.
Les couleurs sont vives et éclatantes et reflètent bien les effluves psychédéliques de l’époque. D’une manière générale, les teintes successives du film retranscrivent l’atmosphère onirique et chimérique de l’album de Robert Wyatt. La réalisatrice a d’ailleurs tenu à ce que « chaque séquence soit baignée dans une palette de couleurs symboliques différente. »
L’impression de flottement entre rêve et réalité est renforcée dans les séquences où se mélangent dessins et images réelles, fixes ou animées, notamment celles du film expérimental d’Alfie. Les visions peuvent alors virer du paradisiaque au cauchemardesque. L’omniprésence de la drogue y est pour beaucoup. On pense parfois au film More, qui lui se déroule à Ibiza, tandis qu’ici on est à Majorque, mais dans un contexte assez similaire.
La traduction des paroles des chansons apporte un vrai plus et permet de mieux saisir cet album qui de prime abord peut sembler opaque. Maria Trénor précise que le fait que le long-métrage suive l’ordre chronologique des morceaux est un souhait de Robert Wyatt lui-même, et qu’il « s’agit d’un film d’auteur ».
Dans la dernière partie du film, j’ai retenu deux allusions qu’on pourrait qualifier de prémonitoire. La première est lorsque Bob explique que « On n’a pas gagné beaucoup en tournée. L’argent vient des albums »... Quand on connait l’évolution du marché de la musique sur ces 50 dernières années, la réplique fait sourire. La deuxième est beaucoup moins légère puisqu’on y voit des images du 11 septembre 2001, alors que l’histoire se déroule en 1973-74… Faut-il y voir la thèse que la musique de Robert Wyatt dépasse la notion de temps et d’espace ?


En tout cas, ce film Rock Bottom nous invite à envisager la réalité différemment, en même temps qu’il démonte aussi quelques idées reçues, en particulier sur la révolution sexuelle qui n’a pas particulièrement profité aux femmes. Rien d’étonnant que ce thème soit ainsi abordé, puisque le projet a été produit par Alba Sotorra qui soutient régulièrement des causes féministes.
Maria Trénor raconte : « nous avons fait connaissance à une rencontre de réalisatrices. je lui ai montré mon projet qu’elle a beaucoup aimé. Alba n’avait jamais produit de films d’animation, mais elle aime les projets risqués et uniques en leur genre. »

Elle ajoute : « je crois que le script s’est amélioré quand on a donné plus de poids au personnage d’Alfie. Vous savez, on dit que Robert Wyatt n’existerait pas sans Alfreda Benge et vice versa. Alfie a également écrit les paroles de certaines chansons de Robert. »
Cette importance donnée au personnage féminin s’accompagne d’une remise en question sur l’idéalisation de ces années hippies. Maria Trénor précise : « La révolution sexuelle, la pilule En réalité, le rôle des femmes à cette époque n’avait pas changé, même s’il semblait plus moderne »


Au final, un très beau film qui nous emporte dans l’univers de Robert Wyatt tout en apportant un éclairage singulier sur une époque qui a fait beaucoup fantasmer. Courrez le voir sans hésitation, et surtout restez bien jusqu’à la fin, il y a une scène post-générique !
© Jean-François Convert – Juillet 2025
Infos via François Gaboret
Propos de Maria Trénor recueillis en juin 2024 par Carolina López Caballero et traduits par Charles Tatum Jr. pour Blink Blank, la revue du film d’animation, n°10, automne-hiver 2024