Les 12 et 13 mars 1971, le Allman Brothers Band jouait à New York. 2 concerts qui ont servi pour le fameux ‘Live at Fillmore East’ sorti en juillet de la même année.
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Un groupe taillé pour le live
S’il est des concerts de légende dans l’Histoire du Rock, ceux des Allman Brothers à New York en mars 1971 en font indubitablement partie. Ils ont été en partie immortalisés sur le double vinyle Live at Fillmore east sorti quelques mois plus tard, en juillet.
Un groupe à son apogée, 2 ans seulement après sa formation, et uniquement 2 albums studio.
Mais c’est justement sur scène que le Allman Brothers Band va bâtir sa réputation. Une alchimie parfaite entre les 6 musiciens, qui permet des improvisations épiques pouvant dépasser la demi-heure ! Comme par exemple cette Mountain jam, figurant sur l’édition deluxe, et qui synthétise toute la musique des Allman Brothers :
Rien à jeter
7 titres à l’origine, qui ont par la suite été agrémentés de bonus sur différentes rééditions. Mais déjà, rien qu’avec ces morceaux on pouvait sentir l’essence même qui émanait de ces concerts mythiques. Et si à l’époque on pouvait regretter de ne pas disposer d’un concert en intégralité, le bon côté était la cohésion d’ensemble, un double album parfaitement équilibré, où chaque morceau atteint le sublime. Pas une seule mesure à jeter.
Des effluves psychédéliques parcourant les longues parties instrumentales, aux riffs carrés et implacables des classiques du blues, en passant par la voix gorgée de soul de Greg Allman, tous les ingrédients concourent à l’aboutissement de ce qu’il n’est pas usurpé de qualifier de chefs-d’œuvre.
Et la force de cette musique est de briser les frontières entre blues et rock psychédélique, entre jazz et rock sudiste. Le Allman Brothers Band savait nous emmener loin, très loin. En faisant exploser les structures harmoniques et rythmiques du blues, les 6 musiciens exploraient des contrées musicales qui allaient bien au-delà de l’univers du classic-rock, bien avant qu’on commence à parler de fusion ou de jazz-rock.
Deux guitaristes de génie
Même si le mérite de leur musique revient bien évidemment à l’ensemble du groupe, il est impossible de ne pas voir dans les deux guitaristes la force motrice et créatrice du Allman Brothers Band. Deux styles différents mais complémentaires. Aucune lutte d’ego, aucune compétition, mais au contraire une osmose, une subtile fusion, qui transcendait aussi bien les mélodies harmonisées, que les questions-réponses.
A ma gauche Duane Allman, chien fou dont chaque solo semble jaillir de sa guitare comme s’il devait la dompter, la retenir pour éviter qu’elle n’explose. Maitre du bottleneck mais pas uniquement, et devenu célèbre pour avoir joué sur le célèbre album Layla and other assorted love songs de Derek and the Dominos, avec un certain Eric Clapton. (► Ma chronique de l’album)
A ma droite Dickey Betts, au jeu moins incandescent de prime abord, mais tout en finesse et subtilité. Un phrasé fluide et parfois plus jazzy que son partenaire. Il insufflera même une couleur country au groupe dans les années suivantes.
Pour les distinguer sur le disque Live at Fillmore East, c’est très simple : Duane est mixé à gauche, tandis que Dickey est à droite, leurs places respectives sur scène. La sonorité de Duane est souvent plus agressive, plus écorchée, que celle de Dickey, qui semble couler de façon limpide.
Slide et solos harmonisés
Duane joue du bottleneck sur les deux premiers titres de l’édition originale Statesboro Blues et Done Somebody Wrong, ainsi que sur Trouble No More, Don’t Keep Me Wonderin’, Drunken Hearted Boy et certains passages de Mountain Jam. Sur les autres morceaux, il joue de façon classique et délivre des solos tout aussi fabuleux. Les fans de l’album Layla reconnaitront sa signature très reconnaissable dans le final de You don’t love me, avec ces phrases jouées à l’octave, comme il l’avait fait sur les solos de Little wing.
Quant à Dickey, il insère des mélodies toujours à propos, jamais ostentatoires. Tout dans la retenue quand il le faut, et dans l’éloquence au moment adéquat. Son riff mi funky mi jazz-rock sur la jam de You don’t love me tombe juste au moment où on l’attend : comment relancer le morceau après les licks plaintifs de Duane. Et sa longue introduction sur In Memory Of Elizabeth Reed avec l’effet violon (via le bouton de volume) est de toute beauté :
Hot ‘Lanta est encore un autre exemple de la symbiose de ce duo. Des guitares qui s’entremêlent, qui semblent ne faire qu’une. Le tout au sein d’un climat qu’on pourrait presque qualifier de « rock latino » avec ses ambiances très Santana.
Un final épique
Même si les éditions ultérieures attestent que ce n’était pas le final des concerts, difficile d’imaginer ne pas terminer ce Live at Fillmore East par l’épopée que constitue Whipping Post. Un joyau de 23 minutes où la notion de tourbillon prend tout son sens. Chaque instrument semble tournoyer dans un feu d’artifice final, pour clore un album live monument.
La tension de l’intro laisse place à la voix chaude et puissante de Greg Allman, et un refrain « blues-fusion », tandis que les solos se succèdent, tous plus époustouflants les uns que les autres. Les guitares nous emmènent dans les hautes sphères, soutenues par la rythmique à deux batteries et la basse qui gronde et groove en même temps. Sans oublier l’orgue Hammond qui tisse un tapis sonore sur lequel les guitares dialoguent à loisir. Qu’elles pleurent leur chagrin entre 13:30 et 15:30, ou qu’elles soient dans l’urgence, au bord du précipice comme entre 16:20 et 16:50. Sublime.
Essayer de dépeindre un tel morceau revient à vouloir décrire l’indescriptible. Le mieux c’est encore de l’écouter. Enregistré il y a tout juste 50 ans aujourd’hui, ce final refermait en beauté le dernier disque sorti du vivant de Duane Allman, parti rejoindre les anges du blues le 29 octobre 1971. Un concert légendaire, pour un album live qui ne l’est pas moins.
© Jean-François Convert – Mars 2021