Le 20 août 1979 arrivait dans les bacs ‘Slow train coming’, le premier album de la trilogie chrétienne de Bob Dylan. Parmi les musiciens… un certain Mark Knopfler à la guitare.

Une collaboration rétrospectivement symbolique

Au printemps 1979, Bob Dylan assiste à un concert de Dire Straits au Roxy à Los Angeles. Le groupe qui tourne pour la première fois aux Etats-Unis vient d’enregistrer son deuxième album Communiqué, produit par Barry Becket et Jerry Wexler. Ces derniers suggèrent à Dylan d’inviter Mark Knopfler et le batteur Pick Withers sur son prochain disque, Slow train coming, enregistré aux célèbres Studios Muscle Shoals Sound en Alabama.

Il se trouve que cet album coïncide avec la conversion de Bob Dylan au christianisme. Il sortira en tout trois opus liés à sa nouvelle spiritualité : Slow train coming (1979), Saved (1980), et Shot of Love (1981). En 1983, il mettra fin à cette parenthèse « born again », en publiant Infidels dont la photo du verso le montre à Jérusalem, comme une sorte de retour aux sources de son judaïsme. Ironiquement, cet album sera co-produit par Knopfler qui aura ainsi participé au début et à la fin de cette période particulière dans la vie et carrière de Dylan.

En dehors de ces considérations religieuses, la musique de cet album est un réel plaisir à écouter. Les arrangements doivent beaucoup à la guitare de Mark, la batterie de Pick, mais aussi à la basse de Tim Drummond et aux claviers de Barry Beckett.

L’album chanson par chanson

Gotta Serve Somebody

Pour ce morceau d’ouverture, Mark Knopfler se fait discret sur le canal gauche. C’est plutôt le piano électrique de Barry Beckett qui mène la danse, soutenu par les chœurs aux intonations gospel. Mais le guitariste de Dire Straits parvient tout de même à instiller son style inimitable, par petites touches.

Precious Angel

Ici la guitare de Mark se fait plus luxuriante. Ses interventions lumineuses répondent à la mélodie et au chant passionné de Dylan. Des cuivres viennent renforcer cette atmosphère entrainante et pleine de détermination. Louis Bertignac a adapté cette chanson en français en la renommant J’aime tout de toi dans son album Origines en 2018, pour lequel j’ai eu le plaisir de l’interviewer. Precious Angel est sorti en single avec le titre Trouble in mind (qui ne figure pas sur l’album) en face B.

I Believe in You

Très belle ballade avec un son de guitare portant le toucher caractéristique de Mark Knopfler. La pédale de volume aide à produire ces notes pleurantes et une ambiance qui contribue fortement à l’émotion générale de la chanson.

Slow Train

Le morceau-titre offre à Mark Knopfler l’occasion de jouer plus blues qu’à son habitude. D’après Ingo Raven, la guitare utilisée serait une Gibson ES-335 empruntée aux studios sur place, et suggérée par Barry Beckett. A noter que la rythmique sur le canal gauche est aussi jouée par Knopfler dans ce style de fingerpicking si particulier, et très vraisemblablement sur Strato.

Gonna Change My Way of Thinking

Le phrasé est ici encore plus bluesy et plus agressif. C’est musicalement mon morceau préféré de l’album. Rarement dans cette première période de Dire Straits on a entendu Mark Knopfler sonner aussi rageur et rugueux. La sonorité laisse à penser qu’il s’agit de la même guitare que sur le morceau précédent, à savoir la Gibson ES-335. Quant au texte, Dylan affirme qu’il a « changé sa manière de penser ».

Do Right to Me Baby (Do Unto Others)

Notre guitariste favori apporte toute sa palette de jeu avec sur cette chanson un subtil fingerpicking sur la fameuse guitare National. Un côté country-laid-back pour débuter la deuxième face, où la partition de Knopfler s’allie merveilleusement bien avec le piano électrique jazzy de Beckett, la basse groovy de Drummond et la batterie subtile de Withers.

When You Gonna Wake Up

Cette deuxième face ne favorise décidemment pas les solos de guitare, et Knopfler se « contente » ici d’une rythmique à la Strat sur le canal gauche, en contrepoint du piano de Beckett sur le canal droit. Les cuivres assurent le riff principal, tantôt supplantés par l’orgue qui prend le lead.

Man Gave Names to All the Animals

Le second single de l’album, avec Precious Angel. Un hit en France et en Belgique. Rythmique syncopée façon reggae, et une guitare acoustique (a priori une Ovation Adamas) jouée par Knopfler sur la canal gauche… au mediator. Le texte a été inspiré par un passage de la Bible dans lequel Adam nomme les animaux et les oiseaux. Les paroles s’adressent aux enfants en faisant rimer le nom de l’animal avec l’une de ses caractéristiques.

When He Returns

L’album se referme sur un duo piano-voix, et on peut dire sans exagérer que Dylan y chante très bien, et avec passion. Le titre évoque sans doute le retour du messie pour le jugement dernier… mais en tout cas, on retrouve dans les paroles un thème cher à l’auteur : les hommes ont des yeux mais ils ne voient pas, ils ont des oreilles mais ils n’entendent pas.

Les morceaux bonus

Gotta Serve Somebody

Le morceau d’ouverture a été enregistré dans une version plus rapide que celle retenue au final. On peut la trouver sur les archives The Bootleg Serie Vol 13 :

Ye shall be changed

Un des morceaux enregistrés durant les sessions mais non retenus pour l’album. Sur cette prophétie adressée à l’assistance (« vous serez changés »), également disponible sur The Bootleg Series Vol 13, on entend bien la Stratocaster de Knopfler :

Trouble in Mind

Un autre morceau enregistré durant les sessions mais non retenu pour l’album. Il sort toutefois en face B des singles Precious Angel et Man Gave Names to All the Animals. Ambiance blues pesante pour ce titre disponible lui aussi sur The Bootleg Series Vol 13 :

Ain’t No Man Righteous, No Not One

Un autre morceau enregistré durant les sessions mais non retenu pour l’album, mais disponible lui aussi sur The Bootleg Series Vol 13. On entend de la slide sur ce qui semble être la guitare National :

Au final, un album singulier puisqu’il marque un moment bien précis dans le chemin personnel de Bob Dylan, et qu’il représente pour les fans de Dire Straits une pépite de la première période du groupe avec des interventions lumineuses de la guitare de Mark Knopfler. Les deux artistes se recroiseront en 1983 pour Infidels, puis en 2011-2012 sur une tournée commune.

Knopfler a toujours admiré Dylan, et dès ses débuts en tant que musicien à succès, il a eu l’honneur de jouer avec son mentor, sur cet album sorti il y a tout juste 45 ans aujourd’hui.

© Jean-François Convert – Août 2024